Accueil >>  VIH/Sida >>  Actualités

La pénurie d’agents de santé, défi de la lutte contre le sida en Afrique

Où les défis à relever ne sont pas uniquement financiers...


DAKAR, 7 avril 2006 (PLUSNEWS) - Des médecins qui quittent l’Afrique par milliers, des agents de santé qui décèdent du sida   sans être remplacés : la situation des travailleurs de la santé en Afrique est telle qu’elle compromet la lutte contre l’épidémie sur le continent, a averti l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ).

A l’échelle de la planète, 57 pays sont confrontés à une pénurie aigue d’agents de santé, a révélé l’OMS   dans un nouveau rapport publié vendredi à l’occasion de la Journée mondiale de la Santé, dont le thème cette année est « Travaillons ensemble pour la santé ».

Parmi ces pays, 36 sont en Afrique : à l’exception du Gabon, tous les pays des régions d’Afrique de l’Ouest et centrale sont concernés par ce phénomène, a précisé le rapport.

Dans les pays d’Afrique australe les plus touchés par le VIH  /SIDA  , « le décès [lié au virus est devenu] la principale cause de départ des travailleurs du système de santé. Ceux qui restent travaillent souvent dans des structures sous-équipées, ils croulent sous le poids des patients dont beaucoup sont infectés au VIH  , sans moyens adéquats pour les traiter », a constaté le rapport.

Jeanne, médecin au service de prise en charge VIH  /SIDA   de l’hôpital principal de Yaoundé, au Cameroun, a ainsi expliqué à PlusNews ses difficultés à faire face à « la pression des malades » depuis qu’elle travaille dans ce service, bondé du matin au soir.

« Il y a trop de pression, j’ai envie de bien faire mais je n’y arrive pas », a-t-elle raconté, alors que des patients continuaient de frapper à sa porte à la nuit tombée.

« Ce qui est difficile avec les personnes qui sont soignés pour le VIH   c’est qu’on travaille forcément avec le cœur, pas seulement avec la tête », a-t-elle poursuivi. « Avant, je donnais de l’argent pour les aider, pour qu’ils puissent rentrer chez eux, pour qu’ils achètent leurs médicaments. Mais ce n’est plus possible, on ne peut pas faire ça tout le temps. »

Selon des médecins camerounais, un médecin généraliste ne peut espérer gagner plus de 194 000 francs CFA (358 dollars) par mois au terme de sa carrière, que ce soit dans le privé ou dans le public car peu de différences existeraient en fait entre les deux grilles salariales au Cameroun.

Ainsi, a précisé Jeanne, un médecin vacataire, qui a fait ses études à l’étranger et qui travaille dans le secteur privé, ne reçoit guère plus de 50 000 francs CFA (92 dollars) par mois à Yaoundé, la capitale.

Or, les médecins consacrent en moyenne trois fois plus de temps aux personnes infectées au VIH   qu’aux malades ‘classiques’, selon des praticiens.

« Nous sommes favorables à ce que tout le monde puisse prendre en charge les patients VIH  , pour désengorger les hôpitaux, mais beaucoup de gens ne le supportent pas », a expliqué Jeanne. « Il faut nécessairement une rétribution pour ceux qui font cet effort. »

Bien que l’Afrique supporte près d’un quart de la charge mondiale de morbidité, elle ne possède que trois pour cent du personnel sanitaire à l’échelle de la planète avec des dépenses de santé qui représentent moins d’un pour cent du total mondial, a dit le rapport.

En comparaison, la région des Amériques, avec un dixième de la morbidité globale, emploie 37 pour cent du personnel sanitaire mondial et dépensent plus de la moitié du total des fonds alloués à la santé dans le monde.

Des salaires insuffisants et pas toujours réguliers, l’absence de perspective de carrière, les conditions d’hygiène inexistantes qui mettent en péril la santé des travailleurs, notamment quand ils travaillent auprès de personnes infectées au VIH   et à la tuberculose, ou encore la lourdeur de la charge de travail font partie des raisons les plus souvent citées pour justifier l’abandon du métier ou l’expatriation.

Selon l’OMS  , un quart des médecins travaillant dans les pays riches ont été formés en Afrique.

Le Ghana fait partie des pays les plus touchés par cette « fuite des cerveaux » : 3 240 médecins travaillent au Ghana, tandis que 926 se sont installés à l’étranger, principalement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

A ces déséquilibres régionaux s’ajoute une répartition inégale des travailleurs sanitaires dans les pays : la ville concentre la majorité des agents de santé et le secteur public subit une forte pénurie de personnel.

Le docteur Samuel Koala, qui travaille dans une association privée de prise en charge des personnes vivant avec le VIH  /SIDA   à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, explique ainsi que si les spécialistes ne souhaitent pas s’installer en milieu rural, « c’est pour ne pas perdre l’occasion de faire des vacations dans le secteur privé ».

« Les médecins s’agglutinent en ville pour profiter des occasions de pratiquer et de gagner de l’argent », a-t-il expliqué à PlusNews. « Il y a beaucoup d’absentéisme dans les hôpitaux parce que le temps qu’ils devraient passer à l’hôpital est utilisé en vacation. »

Ce que confirme le directeur d’un grand hôpital de Ouagadougou, dont les deux tiers des lits sont occupés par des patients infectés au VIH  . « C’est flagrant : 95 pour cent des médecins font des prestations dans le privé. »

« Du coup, les gens ne sont pas souvent à leur poste et quand ils viennent, c’est pour faire le minimum, pour ne pas se faire prendre ! », a-t-il expliqué.

Et, bien souvent, « même le minimum n’est pas assuré », a ajouté un infirmier de l’établissement, précisant que s’occuper d’un « patient VIH   demande davantage de temps et de compassion que d’habitude. Ils demandent un suivi régulier et plus long, ils nous sollicitent davantage, à l’hôpital mais aussi à domicile. »

Avec un total de 750 000 travailleurs de la santé pour 682 millions d’habitants, l’Afrique aurait besoin d’un million de professionnels supplémentaires pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD  ).

Dans le domaine de la lutte contre le sida  , les OMD   prévoient l’accès universel au traitement en 2010 et l’arrêt puis l’inversion de l’épidémie à l’horizon 2015.

Pourtant, « la communauté mondiale possède suffisamment de ressources pour faire face à la plupart des problèmes sanitaires, mais le fait est qu’aujourd’hui de nombreux systèmes nationaux de santé sont affaiblis, peu réactifs, inéquitables - voire dangereux », a regretté l’organisation onusienne.

Un plan pour lutter contre la pénurie de médecins

Pour remédier à ce phénomène, l’OMS   a élaboré un plan décennal qui, « en s’attachant aux différentes étapes de la vie professionnelle -formation, embauche et activité jusqu’à la retraite-, devrait permettre aux pays de développer [leurs] ressources humaines, avec le concours des partenaires mondiaux », a dit le rapport.

Il s’agirait ainsi de mieux préparer les candidats qui se destinent aux métiers de la santé en améliorant la qualité de leur formation, d’accroître leurs performances une fois en activité par un meilleur encadrement et une formation permanente sur le lieu de travail, ou encore de veiller à la sécurité des agents dans l’exercice de leur métier.

Pour s’assurer par exemple que des mesures d’hygiène sont prises pour protéger les travailleurs de la santé de l’infection au VIH   et leur donner accès au traitement du sida   s’ils sont infectés, l’OMS   et l’Organisation internationale du travail (OIT) ont élaboré en 2005 des directives communes pour aider les agents de santé à rester en bonne santé, a rappelé le rapport.

Pour cela, la communauté internationale doit s’engager à financer le secteur de la santé sur les 10 prochaines années, a expliqué le rapport. Mais il a aussi exhorté les pays confrontés à la crise à faire preuve de davantage de volonté politique.

Dans la Déclaration d’Abuja signée en 2001, les chefs d’Etat africains s’étaient engagés à allouer 15 pour cent de leur budget national à la santé. Cinq ans plus tard, selon l’Union africaine, seul le Botswana a tenu leurs promesses tandis que le Nigeria, le troisième pays au monde le plus lourdement touché par le VIH  /SIDA   en nombre de personnes infectées, plafonnait à quatre pour cent.

En attendant de pouvoir résoudre la pénurie d’agents de santé sur le continent, l’OMS   a rappelé que certaines mesures étaient envisageables à court terme, comme la mise en oeuvre des directives opérationnelles simplifiées en matière de gestion intégrée des maladies de l’adulte et de l’adolescent (IMAI en anglais) de l’OMS  .

Ces directives, aujourd’hui utilisées par 25 pays africains, définissent les tâches à accomplir en matière de prévention et de soins du VIH   ou de gestion de la tuberculose et de la co-infection VIH  /TB.

Elles prévoient aussi que les personnels de santé autres que médecins, tels que les infirmières ou les assistants médicaux, soient capables d’assumer ces actes.

Pour pallier provisoirement le manque de personnel, l’IMAI a également suggéré d’impliquer les personnes vivant avec le VIH   et les communautés dans certains actes paramédicaux simples ou dans le suivi des traitements, une option de plus en plus utilisée en Afrique de l’ouest et du centre.

Maintenant que les problèmes de pénuries de ressources humaines sont identifiés et que certaines solutions proposées ont fait leurs preuves, « le moment est venu de rechercher des appuis politiques », a estimé le rapport.

« Il n’y a aucun raccourci possible et le temps presse. C’est maintenant le moment d’agir, d’investir dans l’avenir et de faire avancer la santé -rapidement et équitablement », a conclu l’OMS  .


VOIR EN LIGNE : IRIN Plus News
Publié sur OSI Bouaké le mercredi 12 avril 2006

 

DANS LA MEME RUBRIQUE