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L’adoption en question : Quels risques ? Comment les prévenir et accompagner les familles ?

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OSI Bouaké - 29 septembre 2011 - SD

Livret sur les "échecs d’adoption", réalisé par Sandrine Dekens, psychologue, pour l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance du Finistère.


La notion d’« échec d’adoption » est une expression à travers laquelle les familles ayant adopté témoignent de leurs difficultés relationnelles et de leur souffrance. Actuellement, il s’agit de la forme socialement admise pour qualifier les désordres relationnels spécifiques à l’adoption, elle est le plus souvent énoncée par les parents, et constitue le pendant de la « recherche des origines », formule culturellement acceptable pour énoncer la souffrance des enfants ayant été adoptés.

Cette idée que l’adoption puisse être mise en échec révèle les enjeux de réussite qui sous-tendent cette manière de fonder une famille, présents dans l’esprit des parents, des professionnels et parfois aussi des enfants.

Les contours de la réalité ainsi désignée sont imprécis et varient selon les perspectives. En effet, du point de vue juridique, l’échec d’adoption serait un échec de l’établissement d’un lien de filiation, ce qui n’est pratiquement pas envisageable dans le cas de l’adoption plénière – qui établit un lien de filiation exclusif et irrévocable. Il semble important de différencier l’échec d’apparentement [1] de l’échec d’adoption [2]. Dans la pratique, ce que les professionnels appellent échec d’adoption est en réalité un replacement de l’enfant à l’ASE  , avec une volonté juridique de désengagement parental. Toutefois, si la filiation a été établie par adoption plénière, que le jugement ait eu lieu en France ou dans le pays d’origine, la filiation continuera d’exister et l’enfant remis à l’ASE   portera toujours le nom de famille de ses adoptants. Ceux-ci peuvent toutefois consentir à l’adoption ultérieure de l’enfant qu’ils remettent, qui ne pourra alors être qu’une adoption simple.

En réalité, cette formule permet de mettre en mots une réalité subjective, telle qu’elle est vécue par les acteurs de la rencontre, parents et/ou enfants, qui considèrent leur adoption comme un échec. Des difficultés massives conduisant à un constat d’échec peuvent apparaitre dès l’apparentement, lors de l’entrée en relation, très tôt dans la vie familiale ou encore après une période où tout semblait bien se passer. Il arrive que des difficultés très importantes perdurent en s’aggravant, loin du regard extérieur, donnant lieu à une situation de maltraitance avant une remise de l’enfant aux services sociaux par les parents. Il arrive également que l’enfant déclare ne plus pouvoir supporter la vie de famille et demande son placement lui-même. Dans tous les cas, la violence de la relation produit une grande souffrance psychique de part et d’autre.

Le nombre des échecs d’apparentement et d’adoption n’est pas connu avec précision en France. L’admission comme pupille après un échec d’adoption est une information recueillie par l’ONED depuis 2006. Selon l’étude de la situation des pupilles au 31 décembre 2009, 15 échecs d’adoption [3] sont recensés (vs 9 en 2005 [4]). Toutefois, la confusion est souvent possible entre échec d’apparentement et échec d’adoption, les caractéristiques des enfants ne sont pas précisées (âge, origine), pas plus que la durée de l’adoption avant la remise.

Par ailleurs, en 2009, l’IGAS [5] émettait un certain nombre de recommandations concernant le traitement des situations d’échec d’adoption signalées aux services territoriaux. Le rapport préconisait un recensement centralisé, une aide technique à la demande de l’équipe ASE   concernée, ainsi que l’élaboration d’un outil d’évaluation permettant une étude à plus long terme des facteurs d’échecs d’adoption. Pour l’heure, ces recommandations techniques attendent encore leur relais politique.

Ce document s’appuie à la fois sur une recherche portant sur les importantes difficultés psychopathologiques des enfants adoptés à l’étranger, et sur l’expérience de l’apparentement au sein d’ERF [6] .

Une recherche de psychologie clinique

Dans une recherche de psychologie clinique [7] menée en 2007 auprès de familles ayant adopté des enfants à l’étranger, dont certaines se considéraient en situation d’échec (avec placement ou non de l’enfant), nous nous sommes interrogés sur les déterminants de ces difficultés majeures qualifiées d’échecs d’adoption afin de mener un travail préventif, quand bien même il n’existerait pas de « garantie de réussite » en matière d’agencements humains et qu’une part de prise de risque doive être assumée par les professionnels de l’adoption.

Entre décembre 2004 et avril 2006, 11 familles ont été reçues en consultation dans le cadre de cette recherche-action. Les enfants étaient âgés entre 6 et 25 ans, pour un âge moyen de 14 ans.

  • Les enfants étaient issus de plusieurs continents d’origine. 5 enfants avaient été adoptés en Afrique, 2 en Asie, 1 en Haïti, 1 en Europe de l’Est, 1 au Moyen-Orient, 1 en Amérique latine ;
  • Les difficultés surviennent quel qu’ait été l’âge de l’enfant au moment de son adoption. Les enfants avaient été adoptés entre l’âge de 6 semaines et 8 ans, avec un âge moyen à l’adoption de 3 ans et demi ;
  • Le passé institutionnel semble grever l’adoption. Tous les enfants étaient passés par une institution collective, certains également par une famille d’accueil. La plupart avaient été maltraités ou subi des violences. Tous avaient en commun le fait d’avoir été soustraits, grâce à leur adoption, à une grande misère et à une mort probable ;
  • Les garçons étaient surreprésentés. Ils étaient 4 filles et 7 garçons.
  • Les adoptions étaient toutes plénières. 3 enfants avaient conservé leur prénom de naissance, 6 portaient un prénom donné par les parents adoptifs, 2 enfants portaient un prénom composé (prénom de naissance/prénom d’adoption).
  • Les enfants vivaient en fratrie. 5 familles avaient déjà au moins un enfant biologique au moment de l’adoption. Les familles consultantes étaient composées d’une moyenne de 2,1 enfants. 5 enfants vivaient dans une famille ayant adopté 2 enfants ;

Quant aux parents, 10 familles vivaient en couple au moment de l’adoption, une femme avait adopté seule. Ce qui a motivé l’adoption était : pour 6 familles, une difficulté ou impossibilité à procréer (stérilité, hypofertilité, homosexualité, maladie héréditaire), et pour 5 autres une motivation plutôt « humanitaire [8] ».

La psychopathologie de l’adoption

La psychopathologie de l’adoption ne se résume pas à un ou des symptômes singuliers qui seraient réservés aux enfants adoptés, mais elle se présente sous la forme d’une constellation de troubles qui peut être saisie en un tableau clinique spécifique.

Les manifestations psychopathologiques prennent la forme d’une dépression majeure (qui peut s’accompagner de crises de larmes, menaces de suicide, sentiments négatifs sur soi et sur les autres), de symptômes psychotiques (hallucinations, dépersonnalisation, déréalisation), de troubles du comportement (fugues, désinvestissement scolaire), d’atteintes cognitives (troubles de l’attention, de la concentration, du langage) et somatiques (problèmes cutanés divers, sommeil, alimentation). Le rapport à leur couleur de peau peut être complexe et teinté d’ambivalence. Certains enfants témoignent de leur déception lorsqu’ils ont compris qu’ils ne deviendraient pas blancs ; d’autres refusent de se résigner et espèrent longtemps la transformation, frottant leur peau colorée avec des lingettes d’eau de javel.

En grandissant, le rapport à soi et aux autres pose de plus en plus problème. La zone d’âge située autour de 12 ans est apparue critique, lorsque la question de la construction par l’enfant de son propre avenir commence à se poser. Aux parents, et souvent à la mère, sont destinés les crises de colère, la projection et la destruction d’objets, les coups, les morsures, les insultes. En dehors des périodes de crise, certains enfants sont décrits comme « manipulateurs » ou « séducteurs » par leur entourage. Pour leur part, les enfants disent avoir du mal à être eux-mêmes, ne pas savoir qui ils sont réellement, ne pouvoir dire/faire que ce qu’ils pensent que les autres attendent d’eux. Ces états de crise, quand ils deviennent paroxystiques, conduisent les enfants adoptés à l’étranger à des comportements délictueux et transgressifs. Ils peuvent fuguer de la maison, rencontrer des substances toxiques dont ils font un usage intensif (tabac, alcool, cannabis, ecstasy). Chez les jeunes adultes, des comportements délictueux sont souvent associés (comme le vol d’argent aux parents), pouvant les mener à l’incarcération.

Globalement et chez de nombreux enfants, l’anxiété se manifeste autant dans les comportements que dans les discours. Ils ont des peurs envahissantes aux contours variables : peur d’être échangé, abandonné, peur de décevoir, peur des maladies, des accidents, de mourir ou que leurs parents meurent, peur de perdre sa sœur dans les magasins, peur d’avoir mal, peur des médecins, des vieilles personnes… Ces peurs les saisissent brutalement et fortement, en décalage avec la situation réelle : elles apparaissent disproportionnées aux parents, manifestation d’une inquiétude dont l’objet n’est pas directement repérable.

Lorsque la tension est à son comble entre les parents et l’enfant qui ne se supportent plus mutuellement, l’enfant peut attaquer les figures parentales (particulièrement la mère), verbalement (insultes, menaces) et physiquement (coups, morsures), les biens familiaux (vol, incendie). Les parents perçoivent l’enfant comme un/e étranger/e et non pas comme leur fils/fille. Ils peuvent alors avoir peur de lui et le risque de passage à l’acte est important de part et d’autre.

Pour arrêter l’escalade négative, des mesures d’éloignement familial doivent être envisagées aussi sereinement que possible et accompagnées, afin qu’elles ne soient pas vécues comme la marque de l’échec, mais comme une mesure de protection des uns et des autres.

Les risques multiples inhérents à l’adoption

Les entretiens qualitatifs et thérapeutiques menés lors de cette recherche ont permis d’identifier un cumul de difficultés sur trois niveaux et la plupart du temps au sein-même de chacun des niveaux :

- Le vécu et les caractéristiques de l’enfant

Le premier niveau de difficulté se situe du côté de l’enfant, de ce qu’il a vécu et des blessures qu’il en conserve - ces blessures diminuant les ressources adaptatives dont il dispose. Les enfants adoptés à l’étranger que nous avons reçu cumulaient plusieurs types de difficultés : carences précoces (alimentaires et affectives), traumatisme individuel (maltraitance, abus) ou collectif (violences de guerre), placements et ruptures affectives multiples (deuils à répétition dans la fratrie ou des figures d’attachement), vie en collectivité (institutions, hôpital, etc.) ou errance (vie dans la rue). Ils témoignaient également de représentations de l’adoption et de la famille nourries de leur propre culture et éloignées de la réalité française, l’exemple le plus fréquent étant l’absence d’un désir de filiation au profit d’un désir de migration.

- Le parcours des parents

Du côté des parents, les blessures antérieures à l’adoption sont également repérables. Elles fragilisent la parentalité en réduisant les ressources adaptatives : risques associés à la parentalité (enfance difficile, carencée, vocation précoce au sauvetage, monoparentalité, parcours d’obstacles pour faire famille (PMA  ), etc.), isolement social, dislocation des liens familiaux avec la famille élargie, condamnation du projet d’adoption par l’entourage, maladies graves avec pronostic vital engagé, forte ambivalence dans le désir d’enfant, impétuosité du désir, formulation d’enjeux massifs de réussite, etc.

- L’organisation de l’adoption

Le troisième niveau des difficultés est constitué par l’inadaptation des pratiques professionnelles et institutionnelles ayant organisé l’adoption [9]. Ces difficultés peuvent se situer au niveau d’une mauvaise évaluation de l’adoptabilité de l’enfant, de l’infiltration d’enjeux de sauvetage humanitaire par les intermédiaires, de l’absence de préparation des enfants et des parents à la réalité de l’adoption, de l’imprécision de la notice d’agrément permettant la réalisation de projets très variés, du non-respect du projet évalué pendant l’agrément ou de la notice par les intermédiaires, d’un écart important entre enfant/parents imaginaires et réels, de l’organisation d’une rencontre rapide et brutale (ex : à l’aéroport de l’arrivée), etc.

Ainsi, les échecs d’adoption et les situations de crise familiale très graves que nous avons analysées, mettent en évidence la multiplicité et le cumul important des déterminants. Ceux-ci sont à rechercher du côté de la rencontre entre diverses fragilités qui concernent à la fois enfants et parents, et qui se rencontrent dans un événement à hauts risques psychologiques, puisqu’il suppose une transformation identitaire de l’enfant et de la famille. Cette rencontre est autorisée et organisée par des intermédiaires qui engagent la responsabilité des États. C’est donc à l’endroit des pratiques des intermédiaires, la plupart professionnels, qu’il est envisageable de penser la prévention des risques.

Un agencement humain fabriqué par des professionnels

Pour comprendre ces situations de tension extrême entre parents et enfants, nous avons évoqué à la fois la vulnérabilité psychologique de l’enfant et celle de chacun des parents, liées à leur vécu individuel antérieur à l’adoption. Toutefois, les fragilités personnelles des acteurs ne peuvent suffire à expliquer la flambée conflictuelle, qui prend fortement racine dans la manière dont la relation s’est tissée entre les personnes. Ce tissage relationnel est, quant à lui, le produit de la manière dont l’adoption a été évaluée, élaborée, préparée et accompagnée par les différents professionnels qui fabriquent les adoptions.

L’agrément des parents est une période qui permet de faire émerger un projet parental et d’évaluer les capacités parentales au regard des caractéristiques du projet et des personnes. L’agrément d’adoption donne lieu à la rédaction d’une notice qui définit le projet parental, et reflète au mieux l’enfant imaginaire des candidats, celui que ces personnes sont autorisées à adopter.

En parallèle, l’adoptabilité psychosociale de l’enfant doit également être évaluée et accompagnée, afin de déterminer si l’adoption est la meilleure réponse à sa problématique, de préciser le type d’adoption qui répondra aux besoins de l’enfant, etc. A cette occasion, l’enfant peut exprimer ses désirs, ses attentes, ses représentations de la famille et de ses nouveaux parents. Le bilan d’adoptabilité permet au projet « enfantal [10] » de s’exprimer et d’être pris en compte.

Le projet d’adoption qui est formé doit alors tenir compte à la fois des caractéristiques de l’enfant qui a été imaginé par les futurs parents (l’enfant de l’agrément) et des besoins de l’enfant pour lequel des intermédiaires recherchent des parents. L’apparentement est le processus qui permet de mettre en relation deux profils se correspondant au plus juste. Alors, l’enfant réel qui arrive dans sa nouvelle famille est déjà proche de l’enfant qui préexistait dans l’imagination des parents, et les nouveaux parents réels correspondent un peu à ce que l’enfant avait désiré et imaginé. L’adaptation les uns aux autres est alors d’un coût psychique réduit et supportable pour chacun, pour peu qu’elle soit accompagnée de près par des professionnels qui connaissent les spécificités de cette manière particulière de fonder une famille.

Le travail de l’apparentement, c’est-à-dire de l’ajustement psychologique les uns aux autres, est donc une clé de voute dans la constitution d’une famille par adoption. Lorsque tout se met à aller mal, nous avons constaté que la fabrication de l’agencement est à interroger.

- Un écart trop important entre imaginaire et réalité

Du côté des parents, il arrive que les limites concernant les caractéristiques de l’enfant imaginaire n’aient pas pu être élaborées et énoncées par les postulants au moment de l’agrément, parce que les personnes ne se sont pas senties autorisées à poser des limites, ou qu’elles étaient dans une stratégie d’augmentation de leurs chances d’adopter. Il arrive également que les restrictions au projet n’aient pas été entendues par les professionnels au moment de l’agrément, ou que les intermédiaires n’aient pas respecté la notice. Il est par exemple fréquent que l’enfant attribué soit beaucoup plus âgé que l’enfant imaginé par le couple.

Du côté de l’enfant, il arrive que l’adoptabilité psychologique n’ait pas été évaluée, que l’enfant ne soit pas en « appétit de filiation [11] », n’ait pas de représentation de l’adoption, qu’il en ignore les réalités ou encore qu’il s’en fasse une idée erronée. Pour les enfants de l’étranger, la représentation de l’adoption est nourrie à la fois des conceptions culturelles de la famille, et de l’image du mode de vie occidental véhiculée par les expatriés et les médias. Parmi les enfants en difficulté, leur imaginaire peut être très pauvre ou à l’inverse saturé de représentations éloignées de la réalité.

Lorsque les imaginaires qui seront mis en relation par l’adoption sont si éloignés des réalités qui seront rencontrées, la confrontation des uns et des autres va demander à chacun d’importantes ressources psychiques. Un exemple classique de ce choc des imaginaires est celui d’un projet parental enraciné dans un désir de bébé proche de l’enfant biologique, qui aboutit finalement à l’adoption d’un enfant colombien de 8 ans ayant vécu dans les rues de Bogota ayant investit l’adoption comme un moyen de survie. Il résulte donc un écart important entre l’imaginaire et le réel de chacun des acteurs qui risque de déborder leurs ressources adaptatives. Il en va de même dans les exemples suivants : plusieurs enfants arrivés en même temps alors que le projet initial était un seul enfant, enfant révélant une particularité dont la prise en charge dépasse ce que la famille pouvait accepter, monoparentalité d’une femme seule avec un enfant qui rêvait d’un père etc.

- Un accompagnement insuffisant des parents

Bien entendu, l’absence de respect du projet parental et du projet enfantal est aggravée lorsqu’il existe de la psychopathologie individuelle du côté des parents qui n’a pas été détectée lors de l’évaluation. Mais le cas le plus fréquent concerne les situations où la relation à l’enfant s’installe sur un mode pathologique. Il existe par exemple des mécanismes psychologiques qui conduisent à l’appropriation, ou à l’inverse au rejet, de l’enfant par un parent qui ne tient pas compte de l’enfant réel et qui s’adresse à l’enfant imaginaire.

Globalement, il apparaît que les postulants ne sont pas suffisamment préparés aux réalités de l’adoption, aux spécificités de ce mode de parentalité, aux besoins des enfants réels, la mise en relation avec l’enfant n’a pas été suffisamment accompagnée, ils se sont trouvés isolés pour faire face à l’arrivée de l’enfant et démunis pour comprendre les réactions et comportements de l’enfant. La relation qui s’engage a toutes les chances de partir sur un pied difficile.

- Des manques dans l’évaluation de l’adoptabilité de l’enfant

Au niveau de l’enfant, la question de la psychopathologie individuelle, de la disponibilité des ressources psychiques, de son estime de lui-même, de la place prise dans son imaginaire par son histoire, ses parents biologiques, son parcours de vie, etc. doivent faire l’objet d’un bilan d’adoptabilité. Il arrive fréquemment que ce bilan n’ait pas été fait et que l’enfant n’ait pas été accompagné dans les mois qui précèdent une adoption brutale et dénuée de sens. L’enfant est alors considéré comme un « bénéficiaire » de l’adoption, maintenu dans la position passive de celui dont on va faire le bonheur. Son imaginaire n’est pas respecté, ni son rythme, ni ses attentes subjectives ne sont prises en compte, ce qui est susceptible de le fragiliser davantage et de déborder ses ressources psychiques.

Le terme d’adoptabilité est construit sur le même modèle que celui de parentalité. Il s’agit d’un état transitoire, résultant d’un processus dynamique qui peut évoluer et varier selon les personnes et les moments. L’adoptabilité de l’enfant doit faire l’objet d’un bilan qui permet d’évaluer la pertinence de l’adoption, donc de la création d’un lien de filiation exclusif (plénière) ou non (simple), comme étant la meilleure réponse, parmi d’autres possibles, à la problématique de l’enfant, à son histoire familiale et personnelle. Ce bilan repose sur le recueil de certains éléments ayant trait à l’histoire de vie de l’enfant, sa problématique actuelle, la possibilité d’installation d’un lien transitionnel, et de la position prise par la famille qui accueille l’enfant [12].

Les outils de la prévention existent

Ainsi, la recherche a mis en évidence l’importance du travail des professionnels, qui constitue une prise solide pour la mise en œuvre d’une prévention. La prévention de ces difficultés consiste donc à renforcer et outiller les pratiques professionnelles qui jalonnent le parcours des familles. Ainsi, il est possible de prévenir les risques en amont de la rencontre (agrément des parents, bilan d’adoptabilité de l’enfant), au moment de l’apparentement (dispositif d’accompagnement et de préparation des différents acteurs) et de la mise en relation (organisation de la rencontre), ainsi qu’en accompagnant la famille après l’arrivée de l’enfant (suivi post-adoption).

L’expérience montre la nécessité de fonctionnaliser ces outils existants, de les renforcer en les complétant, d’améliorer la continuité professionnelle au sein du processus d’adoption, ainsi que la cohérence entre les différents temps d’une intervention actuellement très insuffisamment coordonnée.

Le traitement professionnel des échecs d’adoption

- L’échec comme blessure narcissique

La blessure psychologique que constitue l’échec d’adoption révèle la pression pour la réussite qui pèse sur les protagonistes. D’une part, les parents doivent réussir à être de « bons parents » pour rassurer sur leurs capacités parentales, tout en sauvant un enfant. D’autre part, l’enfant doit être réparé par l’adoption et réussir sa vie, pour démontrer qu’il est digne d’être aimé tout en donnant du sens au geste d’abandon. Pour finir, la réussite de l’adoption vient valider la qualité du travail des professionnels qui ont accompli leur mission en identifiant une famille à laquelle la responsabilité légale sur l’enfant a été transférée. Si ce transfert de responsabilité aboutit à un échec, il peut générer de la culpabilité chez les professionnels qui risquent de s’identifier à un « mauvais parent », voire au parent abandonnant.

Pour l’enfant, l’échec d’adoption peut venir confirmer les expériences antérieures négatives qui l’ont conduit à penser qu’il n’est pas aimable. Le premier temps de cette série d’expériences peut être antérieur à l’abandon, il s’ancre dans le parcours de délaissement parental, il est ensuite relayé par l’abandon, puis dans un troisième temps, amplifié par le parcours au sein de l’ASE  . Dans un tel contexte, le sentiment d’échec de son adoption peut être hautement dépressiogène pour l’enfant car il constitue une forte blessure narcissique, « je ne suis pas digne d’être aimé ».

Pour les parents, l’échec d’adoption s’inscrit également du côté de la blessure narcissique car il vient confirmer l’idée que l’on n’est pas capable d’être parent. Il existe chez les parents un vécu de perte de valeur de soi, d’incompétence parentale, de valeur de sa vie qui peuvent là encore aboutir à une grave dépression.

Pour les uns comme pour les autres, la réaction à une telle blessure narcissique est potentiellement un risque de défense projective agressive pour évacuer la culpabilité et lutter contre la dépression : l’autre est mauvais, il n’a pas su, il n’a pas pu. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’escalade conflictuelle, les accusations mutuelles et la flambée agressive que nous avons pu observer dans les familles adoptantes en difficulté. Pour illustrer la manière dont les blessures narcissiques des uns occasionnent les blessures narcissiques des autres, nous pouvons citer pour exemple la manière dont la crise de l’adolescence révèle les fragilités de chacun. En effet, la crise développementale de l’adolescence occasionne une forme normale de rejet des parents de la part de l’enfant. Dans les cas d’adoption, il arrive que les parents rejettent à leur tour leur enfant rejetant, considérant que cette mise à distance affective de la part de leur enfant est une marque d’échec d’adoption, voire d’ingratitude, alors qu’ils pensent avoir « tant fait pour lui ». Le « poids de la dette », fréquent dans l’adoption, participe des difficultés psychologiques des enfants adoptés.

Concernant l’enfant et les parents, le soutien de tiers extérieurs professionnels et notamment la prise en charge psychologique et thérapeutique est indispensable, y compris après une remise de l’enfant à l’ASE   et une éventuelle levée des symptômes chez l’enfant.

- Traiter le traumatisme professionnel

Tout échec d’adoption, surtout s’il s’accompagne d’une remise de l’enfant à l’ASE  , constitue un trauma, il est susceptible d’avoir un impact traumatique sur les professionnels. Cet impact est d’autant plus important qu’il est lié à la forte idéalisation de la filiation adoptive et à des représentations positives qui ne laissent pas de place à la face sombre de cet événement. Le sentiment d’échec professionnel peut être fort, surtout si les circonstances de la remise de l’enfant ont été brutales, et il peut s’accompagner de symptômes traumatiques. Pour les professionnels aussi, l’échec d’adoption peut constituer une blessure narcissique. Pour se défendre contre la culpabilité qui les menace, la tentation est alors de banaliser les spécificités de la filiation adoptive et ses difficultés, pour les penser comme identiques à celles des familles non-adoptantes. En effet, il peut exister des difficultés parentales et des conflits relationnels dans toute parentalité, quelle que soit la nature du lien de filiation. Ce faisant, les professionnels ont tendance à évacuer les spécificités de ce type de parentalité qui engage fortement, comme nous l’avons vu, la responsabilité de l’État.

L’échec d’adoption, d’autant qu’il conduit à une remise de l’enfant à l’ASE  , peut constituer une effraction traumatique pour les professionnels qui en sont témoin, en ce sens qu’il est un surgissement de l’impensable, la survenue de l’inimaginable dans leur réalité. Il peut produire un « traumatisme professionnel » qu’il est indispensable de traiter. En effet, un événement traumatique produit un blocage de la pensée et constitue un empêchement à travailler. S’il n’est pas traité, le traumatisme est susceptible d’être réactivé lorsque les professionnels seront à nouveau exposés à une adoption, qui pourrait susciter des réactions défensives comme une angoisse démesurée.

Dans un premier temps après un échec d’adoption, il est donc particulièrement nécessaire de réunir les professionnels qui ont été engagés à un moment ou à un autre de l’adoption et de prendre le temps d’opérer avec eux un retour en arrière sur les différents épisodes de l’histoire, et sur les circonstances parfois dramatiques de la remise de l’enfant par ses parents adoptifs. Afin de lutter contre le sentiment d’échec professionnel, un débriefing pourra être organisé pour revenir sur les faits qui se sont déroulés, où chaque professionnel pourra faire part de ce qu’il a vécu et des émotions qui ont été déclenchées par l’histoire de l’échec.

- Tirer les leçons d’un échec

Le second temps de l’intervention devra permettre d’analyser collectivement les causes de l’échec, de repérer a posteriori les facteurs de risque et d’en déduire les contraintes du nouveau projet. Ce travail d’analyse permettra de sécuriser à la fois les professionnels et l’enfant, d’introduire du collectif dans les processus d’évaluation et de décision, et de poser les bases d’un intense travail d’accompagnement de l’enfant.

Une analyse commune de la situation est nécessaire, elle permettra de rassembler des éléments de réponses à de nombreuses questions à la fois psychologiques et techniques.

  • Quels sont les différents déterminants que nous repérons a posteriori, qui permettent d’expliquer la spirale négative qui s’est installée dans la relation parents-enfant ? Quels étaient les facteurs de risques qui avaient été repérés, tant chez les parents que chez l’enfant ?
  • L’adoptabilité psychologique de l’enfant : a-t-elle été vérifiée ? Respectée ? S’agissait-il d’une adoption à risques ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui a été dit à l’enfant ? L’enfant a-t-il été préparé à ces personnes-là ?
  • Les parents étaient-ils prêts à cet enfant ou à cette histoire précise ? Quelles étaient leurs ouvertures et leurs limites, leur degré d’acceptation des difficultés ? Ont-ils eu accès aux informations préalables sur l’enfant ? Le projet initial de la famille adoptive se tournait-il vers le profil d’enfant qui leur a été confié ? Pourquoi le projet a-t-il évolué ? La notice de leur agrément a-t-elle été modifiée ?
  • De quel accompagnement à la parentalité cette famille a-t-elle bénéficié ? Mettre en parallèle l’enfant et les adoptants : les deux parcours ont-ils été menés conjointement et avec beaucoup d’attention ? Quelles sont les résonances entre l’histoire de l’enfant et celles des parents, qui ont rendu une vie commune impossible ?
  • Comment a été organisé le projet, quelles en ont été les étapes ? Comment quand et par qui les décisions ont-elles été prises ? Qu’est-ce qui a échappé ? Y a-t-il une erreur ou un problème particulier identifiable ?

Pour analyser en profondeur les causes de l’échec et répondre à ces questions, dans le but d’améliorer les pratiques professionnelles, la présence d’un appui extérieur aux équipes et spécialisé dans l’adoption est particulièrement bénéfique puisqu’il permet de mettre à distance les éléments observés.

Dans ce contexte, le dispositif de soutien à l’enfant doit aussi être concrètement envisagé : il s’agit de rassembler les interventions qui vont lui permettre de faire face et comprendre ce qui lui est arrivé.

A cette étape, il s’agit de se donner les moyens de solder le passé, pour pouvoir préparer l’avenir de l’enfant.

- Et après ? Refaire un projet…

Il arrive que des enfants ayant déjà été adoptés et replacés à l’ASE   redeviennent adoptables par consentement des parents ou par décision de justice. Les professionnels chargés du suivi de l’enfant devront alors s’interroger sur la pertinence d’un nouveau projet d’adoption pour l’enfant. Dans ce contexte où les risques sont perçus comme majeurs, la question de l’évaluation de l’adoptabilité sera au centre de leurs préoccupations et une grande prudence sera de mise, tant l’idée d’un second échec est menaçante pour les équipes.

Ainsi dans ce troisième temps qui est celui de la construction de l’avenir, les ressources et les besoins de l’enfant feront l’objet d’une nouvelle évaluation d’adoptabilité, qui prendra en compte les leçons de la première expérience, afin de ne pas rejouer les mêmes erreurs.

Pour mener ce nouveau bilan d’adoptabilité, il faudra nécessairement :

  • Repérer les facteurs de risques pour l’enfant, dans la perspective d’une nouvelle adoption : son âge, la qualité des liens qu’il a su créer auparavant, le nombre de changements affectifs et de ruptures auxquels il a été confronté, ses ressources affectives et cognitives, la participation de son entourage à ce nouveau projet (famille d’accueil notamment) ;
  • Reprendre avec l’enfant les faits et le sens de son histoire : que s’est-il passé, pourquoi et comment il en est arrivé là ? Il faudra l’accompagner au fil des étapes, écouter ses peurs, se laisser guider par lui, dessiner avec lui le profil de la nouvelle famille, lui expliquer qu’une autre famille l’attend et que cela pourra se passer différemment de la première fois.
  • Bien suivre les étapes d’apparentement et effectuer un suivi et un accompagnement de l’enfant et de ses parents dans la durée.

En conclusion

En matière d’agencements humains et donc d’adoption, il n’est pas possible d’écarter définitivement tout risque d’échec, et une certaine part de risque doit pouvoir être assumée par les professionnels comme faisant partie intégrante de leur pratique, faute de quoi il n’est pas possible de s’aventurer sur le chemin de l’adoption, ce qui est pénalisant et injuste pour l’enfant. Pour autant, un certain nombre de précautions doivent être prises, en particulier en matière d’évaluation de l’adoptabilité psychosociale de l’enfant, ainsi que dans la mise en œuvre de la rencontre, afin de s’assurer que les risques ont été sérieusement envisagés, correctement évalués, et que les choix opérés ont été faits à l’issue d’une réflexion collective.

.: Livret "Echecs d’adoption" :.

ODPE Finistère


[1] Lorsque le jugement d’adoption n’a pas encore été prononcé, il s’agit d’un échec d’apparentement : légalement, une nouvelle adoption plénière est encore possible pour l’enfant.

[2] Si le jugement d’adoption a déjà été prononcé, il s’agit un échec d’adoption : seule l’adoption simple pourra être proposée en deuxième intention. En effet, la loi du 5 juillet 1996 a inséré à l’article 360 du Code civil un deuxième alinéa prévoyant que "s’il est justifié de motifs graves, l’adoption simple d’un enfant ayant fait l’objet d’une adoption plénière est permise".

[3] Observatoire National de L’Enfance en Danger (2011), Enquête sur la situation des pupilles de l’État au 31 décembre 2009. http://www.oned.gouv.fr/docs/produc...

[4] Observatoire National de L’Enfance en Danger (2007), Enquête sur la situation des pupilles de l’État au 31/12/2005.

[5] Hesse C., Naves P. (2009), Rapport sur les conditions de reconnaissance du délaissement parental et ses conséquences pour l’enfant, Inspection générale des affaires sociales

[6] Enfants en recherche de famille (ERF) est un service d’Enfance famille adoption (EFA) qui permet de rapprocher des enfants en attente de parents et des couples désireux et capables d’adopter un enfant qui présente des caractéristiques rendant le projet d’adoption plus complexe. Ce dispositif est coordonné par l’auteur et s’appuie sur la constitution d’un fichier national de postulants.

[7] Recherche menée au sein du Centre d’ethnopsychiatrie Georges Devereux (Saint-Denis). Dekens S. (2006), Exposés et sauvés. Le destin singulier des enfants adoptés à l’étranger, Mémoire de recherche en psychologie clinique et psychopathologique, Saint-Denis : Université de Paris 8. http://osibouake.org/IMG/pdf/Expose...

[8] Nous rangeons dans la catégorie des motivations humanitaires, les parents ayant choisi l’adoption comme un moyen de rétablir une forme de justice dans le monde, présentant un désir d’engagement social et un idéal républicain d’égalité des chances, ainsi que les personnes déclarant avoir une vocation ancienne à l’adoption et au sauvetage d’enfants.

[9] Départements, Agence française de l’adoption, Organismes agréés pour l’adoption. Notre corpus étant constitué de familles françaises, titulaires d’un agrément d’adoption délivré par l’État français, nous ne disposions pas de moyens pour recueillir et évaluer en profondeur la part des mauvaises pratiques par les institutions des pays d’origine. Elles ont toutefois pu être observées à travers l’absence de préparation et d’accompagnement de l’enfant vers son adoption. Par ailleurs, ont également été relevés des problèmes liés au recueil du consentement, l’absence de dossier de l’enfant, les falsifications de l’état civil de l’enfant, etc.

[10] Le projet enfantal est un néologisme qui répond à la notion de projet parental. Ce dernier résulte de la projection dans l’imagination des futurs parents des caractéristiques de leur futur enfant. En miroir, le projet « enfantal » est produit par la projection dans l’imagination de l’enfant des caractéristiques de ses futurs parents.

[11] Pour évoquer le désir de parents chez l’enfant, j’ai emprunté cette belle expression à ma collègue psychologue Cornelia Burckhardt, spécialiste de la clinique de l’adoption.

[12] Pour aller plus loin sur le bilan d’adoptabilité : Enfance et familles d’adoption (2011), Évaluer l’adoptabilité, Actes du colloque de 2010.


Publié sur OSI Bouaké le jeudi 29 septembre 2011

 

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