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Haïti : Toujours pas de remède contre le virus de la violence sexuelle


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Port-au-Prince, 2 novembre 2007 (PLUSNEWS)

Qu’elle soit liée à l’instabilité politique ou à la société, la violence sexuelle est un phénomène qui a pris une telle ampleur au cours des dernières années en Haïti qu’elle a conduit les autorités à renforcer la législation pour mieux protéger les victimes, dont certaines ont été infectées au VIH  .

Les défenseurs des droits humains et les acteurs de la lutte contre le sida   l’ont tous constaté : le nombre de violences sexuelles à l’encontre des femmes et des filles enregistré ces dernières années a augmenté, sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude si cette augmentation est due à une banalisation de ces violences ou au travail de sensibilisation qui a convaincu de plus en plus de victimes de dénoncer ces actes.

Une étude menée par la revue The Lancet publiée en 2006 a avancé le chiffre effrayant de 35 000 femmes qui auraient été victimes d’une forme de violence sexuelle, agression ou viol, dans la région de Port-au-Prince, la capitale haïtienne, entre 2003 et 2005 -plus de la moitié des victimes étant âgées de moins de 18 ans.

« L’année 2004 [avec les violences liées au départ en exil forcé de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide] a marqué le paroxysme des violences, notamment sexuelles », a expliqué le docteur Brunel Delonnay, assistant du directeur exécutif de l’Unité de coordination des programmes IST [Infections sexuellement transmissibles]/VIH  /SIDA  , paludisme et tuberculose, l’organisme chargé de la lutte contre les trois épidémies.

L’opération dite Bagdad lancée par les partisans de l’ancien président Aristide pour réclamer son retour a aussi été une période marquée par une explosion du nombre de violences sexuelles perpétrées par des groupes armés, parfois au domicile même de victimes issues de toutes les couches de la population -des violences qui se sont poursuivies en 2005, puis début 2006.

Le centre Gheskio, l’un des plus grands centres de traitement du VIH   de Port-au-Prince, a également constaté cette augmentation des cas : selon le docteur Marie Deschamps, secrétaire général, le centre avait reçu une dizaine de femmes victimes de violences sexuelles sur l’ensemble de l’année 2000.

En 2006, elles étaient entre 40 et 50 par mois à venir se faire dépister au VIH   suite à une agression sexuelle, un tiers des viols recensés en 2004-2005 étant des viols collectifs.

« Au début, c’était timide, un cas, deux cas, maintenant les femmes viennent, mais [près de la moitié] d’entre elles viennent trop tard après le viol », a-t-elle regretté -trop tard entre autres pour recevoir la prophylaxie post-exposition, qui permet de limiter le risque d’infection au VIH   mais doit être administrée dans les 72 heures suivant l’agression.

Sur ces femmes, dont 90 pour cent sont âgées entre 10 et 29 ans, 12 pour cent sont tombées enceintes et environ deux pour cent ont contracté le VIH  , selon le docteur Deschamps, pour qui le drame de la violence sexuelle contre les femmes traduit « la dégradation socioéconomique du pays ».

Dans « 90 pour cent des cas », a-t-elle précisé, « les victimes viennent pour se faire dépister au VIH  , parce qu’elles ont peur. Si elles ne savaient pas qu’on peut prévenir le VIH  , elles ne viendraient pas ».

Les organisations qui travaillent avec les victimes de violences sexuelles reconnaissent ne pas pouvoir évaluer avec certitude l’impact de ces actes sur la propagation du VIH  /SIDA  . Mais elles soulignent qu’avec un taux de prévalence qui a atteint un pic de 5,6 pour cent en 2003, avant de redescendre à 2,2 pour cent en 2006, selon les autorités (3,8 pour cent selon les Nations Unies), il serait difficile de croire que la violence sexuelle ne joue aucun rôle.

La violence domestique, un tabou

Une chose est cependant sûre, pour les intervenants dans la lutte contre le sida   et les défenseurs des victimes : les violences sexuelles liées à l’instabilité politique ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

« La situation [d’instabilité politique] a noyé les violences sexuelles habituelles, celles qui se déroulent dans les foyers, qui étaient cachées et qui n’arrivaient pas à la Justice », a dit M. Delonnay. « Ce sont des violences bien plus dangereuses, mais elles sont [masquées par] l’exacerbation des problèmes politiques ».

Une analyse partagée par des travailleurs de la santé et des défenseurs des droits humains. « Au tout début, les actes de violence sexuelle [recensés] étaient surtout commis par des inconnus armés, mais cela a changé, maintenant de nombreuses victimes connaissent les auteurs », a dit le docteur Jean-William Pape, directeur et co-fondateur des centres Gheskio.

Pour une jeune haïtienne activiste des droits de la femme, la violence politique a surtout « permis de révéler le problème de la violence contre les femmes, et finalement de parler de la violence domestique, parce que le tabou autour de ce phénomène fait qu’il aurait été impossible de s’attaquer directement à la [violence domestique] ».

Car conscients de cette réalité, et pressés par les défenseurs des droits humains, les autorités haïtiennes ont décidé de réagir en commençant par renforcer la législation qui punit ces actes.

En juillet 2005, une loi a été votée par le Parlement haïtien : le viol, jusqu’alors considéré comme une atteinte aux moeurs, a été requalifié en crime et son auteur rendu passible de la réclusion criminelle à perpétuité.

La loi a également permis de rétablir un plus grand équilibre entre les sexes, par exemple face à l’adultère : auparavant, l’adultère n’était reconnu pour un homme que s’il était commis dans le lit conjugal, tandis que pour la femme, le lieu importait peu.

Néanmoins, en dépit de cet effort sur le plan juridique, dans la réalité trop peu d’auteurs de violences sexuelles ont été jugés, et l’impunité reste l’un des obstacles principaux à l’accès aux soins des victimes, qui, bien que de plus en plus nombreuses, sont souvent encore trop effrayées ou honteuses à l’idée de témoigner contre leurs agresseurs, à plus forte raison lorsque ces actes étaient commis par des hommes en uniforme.

Selon l’étude du Lancet, dans 14 pour cent des cas, les victimes ont attribué les violences sexuelles à des membres des forces de Police.

Bien que la Police affirme « ne pas tolérer ces actes », ce phénomène a à plusieurs reprises été dénoncé par des organisations de défense des droits humains, les femmes et filles vivant dans la rue, ainsi que les travailleuses du sexe, étant des cibles particulièrement exposées.

Seule consolation, pour les défenseurs des droits humains : la sensibilisation de plus en plus active des organisations de femmes, bien implantées dans le pays, et des partenaires internationaux, comme le Fonds des Nations Unies pour la population, FNUAP, permet au moins à de plus en plus de victimes d’avoir accès à des soins.... en attendant d’obtenir justice.


Publié sur OSI Bouaké le samedi 3 novembre 2007

 

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