ABIDJAN, 17 mars 2006 (PLUSNEWS) - La politique nationale de prévention du sida en Côte d’Ivoire devrait tenir compte de l’état des structures sanitaires de ce pays, l’un des plus affectés par l’épidémie en Afrique de l’Ouest, selon un médecin très impliqué dans la lutte contre le VIH .
« En Côte d’Ivoire, on n’effectue aucune recherche sur les différents modes de contamination. Si l’on veut freiner la propagation du virus, il faut aller au-delà des rapports sexuels entre les hommes et les femmes », a expliqué Henri Chenal, un médecin ivoirien qui possède sa propre clinique de prise en charge de patients vivant avec le sida à Abidjan, la capitale économique.
Chaque année, a-t-il poursuivi, des centaines d’avortements illégaux sont pratiquées et des médecins utilisent du matériel gynécologique non stérilisé. « On devrait avoir un système mis à jour et conforme afin de contrôler la qualité des services hospitaliers », a dit le docteur Chenal à PlusNews.
Henri Chenal a fait lui-même l’amère expérience d’une contamination au VIH par voie sanguine. Alors qu’il opérait un patient au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody, dans la banlieue huppée d’Abidjan, le chirurgien s’est blessé à la main.
C’était en 1986, aucun soin n’était encore disponible pour les personnes séropositives en Afrique, les médicaments antirétroviraux (ARV ), qui permettent de prolonger l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH , étaient encore à développer.
« Je me suis dit : ‘J’espère que ça va aller’ en essayant d’oublier l’incident », a-t-il raconté. Cinq mois plus tard, les résultats d’un test ont révélé sa séropositivité.
Le chirurgien n’a quitté l’hôpital que deux ans plus tard, très choqué après avoir découvert qu’un infirmier de garde avait, dans la nuit, piqué 76 patients avec la même seringue et la même aiguille hypodermique.
« Il n’y avait aucun moyen pour travailler au CHU, nous n’avions plus de fil, plus de gant, plus d’éther, plus de Bétadine [une solution nettoyante], plus de produits anesthésiques. Nous cuisions nos gants pour pouvoir les remettre, jusqu’à quatre fois de suite », a-t-il révélé dans un entretien accordé, l’année dernière, au journal gouvernemental Fraternité-Matin.
Aujourd’hui, Henri Chenal est à la tête du Centre intégré de recherche biologique d’Abidjan (Cirba), dont les bureaux et les laboratoires, fraîchement repeints et disposés sur un étage, se trouvent à un jet de pierre de l’hôpital de Treichville, l’un des quartiers de la capitale.
Créé au début des années 1990, grâce à l’appui de bailleurs privés et du gouvernement du président Félix Houphouet-Boigny, le Cirba a commencé ses activités avec le strict minimum : deux bureaux, un laboratoire et vingt patients.
Le Cirba est un centre de prise en charge aux normes européennes
Aujourd’hui, la structure est considérée comme étant l’un des meilleurs centres de conseil et de traitement ARV de Côte d’Ivoire, avec 3 500 patients. Il est également l’une des premières structures de prise en charge aux ‘normes européennes’, comme l’ont précisé des partenaires étrangers.
Mais, selon le docteur Chenal, il n’y a toujours pas de système certifié d’inspection d’hygiène dans les hôpitaux publics de Côte d’Ivoire.
Or, a-t-il expliqué, « les programmes de prévention du VIH /SIDA portent essentiellement sur les rapports sexuels comme moyen de transmission du virus, mais ils omettent de traiter des graves problèmes liés aux soins sanitaires ».
Il a notamment fustigé les campagnes d’information financées par le plan d’urgence américain pour la lutte contre le sida du Président George Bush (Pepfar ) — dont la Côte d’Ivoire est l’un des 15 Etats bénéficiaires — qui promeut l’abstinence comme le moyen le plus fiable de se protéger contre le VIH .
Pour le docteur Chenal, demander aux jeunes de retarder leurs premiers rapports sexuels est “purement irréaliste”.
« Soyons honnêtes », a-t-il dit d’un ton irrité. « La fidélité et l’abstinence n’existent pas en Afrique. Les campagnes d’abstinence sont concoctées par des personnes (...) qui essaient juste de faire valoir leur propre idéologie. »
Selon le Centre pour la santé et l’égalité entre les sexes (Change), une ONG basée aux Etats-Unis qui étudie l’impact des politiques américaines sur la santé et les droits des femmes et des filles, l’aide financière du Pepfar s’accompagne de conditionnalités d’ordre moral et remet en cause certains aspects de la prévention — les programmes d’abstinence se tailleraient ainsi la part du lion au détriment des budgets accordés à l’approvisionnement et à la distribution de préservatifs.
Le taux de séroprévalence est estimé à sept pour cent en Côte d’Ivoire. Mais plusieurs organisations, parmi lesquelles RetroCI, un projet financé par le département américain de la santé, estiment que ce taux pourrait dépasser 11 pour cent à l’intérieur du pays, notamment dans la partie nord du pays, tenue par la rébellion armée des Forces nouvelles depuis septembre 2002.