Tir à vue à Montreuil

Publié le 12 juillet 2009 sur OSIBouaké.org

SD - OSI Bouaké, le 12 juillet 2009

Dans le cadre de mes engagements professionnels et sociaux, j’ai passé ces derniers mois beaucoup de temps à La parole errante de Montreuil, lieu culturel chaleureux et humaniste créé par Armand Gatti, qui accueille entre autre les réunions de l’Appel des Appels et La Nuit Sécuritaire, mouvements qui intéressent de près la clinicienne que je suis. Bref, je connais bien La parole Errante, La Clinique Chanzy, la rue piétonne et le marché de Montreuil dont il est question dans l’article ci-dessous. Je suis saisie d’émotion à la lecture de ce qui s’y est passé hier... Il faut donc que nous commencions à avoir vraiment peur. Puis-je encore parler de mes engagements ? Est-ce qu’il est encore possible de réfléchir, d’être en désaccord, de s’exprimer avec des mots, des images et des films ? Est-ce que cela fait de nous des "hommes à abattre" au point d’envoyer le RAID (spécialisé dans l’antiterrorisme) ? Franchement, j’ai peur.


A Montreuil, la police vise les manifestants à la tête

Rue 89 - Par Stéphane Gatti | réalisateur | 12/07/2009 | 11H27

Nous publions ci-dessous le témoignage du réalisateur Stéphane Gatti (fils du dramaturge Armand Gatti) sur l’évacuation d’un squatt de Montreuil, mercredi. Le fils de Stéphane Gatti, Joachim Gatti, 34 ans, cameraman, a perdu un oeil à la suite d’un tir de flashball lors de cette évacuation. C’est la quatrième fois qu’une personne est ainsi défigurée par un tir de flashball.

Le matin du mercredi 8 Juillet, la police avait vidé une clinique occupée dans le centre-ville. La clinique, en référence aux expériences venues d’Italie, avait pris la forme d’un « centro sociale » à la française : logements, projections de films, journal, défenses des sans papiers, repas… Tous ceux qui réfléchissent au vivre ensemble regardaient cette expérience avec tendresse.

L’évacuation s’est faite sans violence. Les formidables moyens policiers déployés ont réglé la question en moins d’une heure. En traversant le marché le matin, j’avais remarqué leurs airs affairés et diligents.

Ceux qui s’étaient attaché à cette expérience et les résidents ont décidé, pour protester contre l’expulsion, d’organiser une gigantesque bouffe dans la rue piétonnière de Montreuil.

Trois immenses tables de gnocchi (au moins cinq mille) roulés dans la farine et fabriqués à la main attendaient d’être jetés dans le bouillon. Des casseroles de sauce tomate frémissaient.

Ils avaient tendu des banderoles pour rebaptiser l’espace. Des images du Front populaire ou des colonnes libertaires de la guerre d’Espagne se superposaient à cette fête parce que, parfois, les images font école. J’ai quitté cette fête à 20h00 en saluant Joachim.

A quelques mètres de là, c’était le dernier jour, dans les locaux de la Parole errante à la Maison de l’arbre, rue François Debergue, de notre exposition sur Mai 68. Depuis un an, elle accueille des pièces de théâtres, des projections de films, des réunions, La nuit sécuritaire, L’appel des appels, des lectures, des présentations de livres…

Ce jour-là, on fermait l’exposition avec une pièce d’Armand Gatti « L’homme seul » lue par Pierre Vial, de la Comédie Française, compagnon de longue date. Plusieurs versions de la vie d’un militant chinois s’y confrontent : celle de la femme, des enfants, du père, du lieutenant, du général, des camarades…

« Joachim est à l’hôpital à l’hôtel Dieu »

C’était une lecture de trois heures. Nous étions entourés par les journaux de Mai. D’un coup, des jeunes sont arrivés dans la salle, effrayés, ils venaient se cacher… Ils sont repartis. On m’a appelé. « Joachim est à l’hôpital à l’hôtel Dieu. » Il était effectivement là. Il n’avait pas perdu conscience.

Son visage était couvert de sang qui s’écoulait lentement comme s’il était devenu poreux. Dans un coin, l’interne de service m’a dit qu’il y avait peu de chance qu’il retrouve l’usage de son œil éclaté. Je dis éclaté parce que je l’apprendrais plus tard, il avait trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux, la paupière arrachée…

Entre ces deux moments ; celui où je l’ai quitté à la fête aux gnocchi et l’Hôtel Dieu, que s’était-il passé ? Il raconte :

« Il y a eu des feux d’artifice au dessus du marché. Nous nous y sommes rendus. Immédiatement, les policiers qui surveillaient depuis leur voiture se sont déployés devant. Une minute plus tard, alors que nous nous trouvions encore en face de la clinique, à la hauteur du marché couvert, les policiers qui marchaient à quelques mètres derrière nous, ont tiré sur notre groupe au moyen de leur flashball.

A ce moment-là je marchais et j’ai regardé en direction des policiers. J’ai senti un choc violent au niveau de mon œil droit. Sous la force de l’impact je suis tombé au sol. Des personnes m’ont aidé à me relever et m’ont soutenu jusqu’à ce que je m’assoie sur un trottoir dans la rue de Paris. Devant l’intensité de la douleur et des saignements, des pompiers ont été appelés. »

Le « faux » de l’AFP

Il n’y a pas eu d’affrontement. Cinq personnes ont été touchées par ces tirs de flashball, tous au dessus de la taille. Il ne peut être question de bavure. Ils étaient une trentaine et n’étaient une menace pour personne. Les policiers tirent sur des images, comme en témoigne le communiqué de l’AFP :

« Un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui occupait, avec d’autres personnes, un squat évacué mercredi à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a perdu un œil après un affrontement avec la police, a-t-on appris de sources concordantes vendredi. Le jeune homme, Joachim Gatti, faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de squatters qui avaient été expulsés mercredi matin des locaux d’une ancienne clinique. Ils avaient tenté de réinvestir les lieux un peu plus tard dans la soirée mais s’étaient heurtés aux forces de l’ordre.

Les squatters avaient alors tiré des projectiles sur les policiers, qui avaient riposté en faisant usage de flashball, selon la préfecture, qui avait ordonné l’évacuation. Trois personnes avaient été arrêtées et un jeune homme avait été blessé à l’œil puis transporté dans un hôpital à Paris, selon la mairie, qui n’avait toutefois pas donné de précision sur l’état de gravité de la blessure.« Nous avons bien eu connaissance qu’un jeune homme a perdu son œil mais pour le moment il n’y a pas de lien établi de manière certaine entre la perte de l’œil et le tir de flashball », a déclaré vendredi la préfecture à l’AFP. »

La police tire sur l’image d’un jeune de 20 ans qui essaye de reprendre son squat. Et pour la police et les médias, cela vaut pour absolution, et c’est le premier scandale.

Faut-il rétablir la vérité sur l’identité de Joachim Gatti ne serait-ce que pour révéler la manipulation des identités à laquelle se livre la police pour justifier ses actes , comme s’il y avait un public ciblé sur lequel on pouvait tirer légitimement ?

Joachim n’a pas 20 ans mais 34 ans. Il n’habitait pas au squat, mais il participait activement aux nombreuses activités de la clinique. Il est cameraman. Il fabrique des expositions et réalise des films. Le premier film qu’il a réalisé s’appelle « Magume ». Il l’a réalisé dans un séminaire au Burundi sur la question du génocide. Aujourd’hui, il participe à la réalisation d » un projet dans deux foyers Emmaüs dans un cadre collectif.

On devrait pouvoir réécrire le faux produit par l’AFP en leur réclamant de le publier. Il serait écrit :

« Joachim Gatti, un réalisateur de 34 ans a reçu une balle de flashball en plein visage alors qu’il manifestait pour soutenir des squatteurs expulsés. Il a perdu un œil du fait de la brutalité policière. »


Un oeil perdu à Montreuil dans une expulsion : la démocratie aveugle

Rue 89 - Par Mouloud Akkouche | Ecrivain | 12/07/2009 | 14H57

Expulsé d’une maternité est plutôt synonyme d’heureuse nouvelle pour un bébé et sa famille. Malheureusement pas pour les squatters de la clinique Chanzy, à Montreuil, délogés mercredi 8 juillet 2009 à l’aube par 200 flics, dont des membres du Raid.

Cette maternité, vide depuis dix ans, est squattée par une vingtaine de personnes. Au début, écoutant les dires de certains, je pensais qu’il s’agissait de jeunes parisiens venus s’encanailler en banlieue et j’avoue m’être trompé.

Faut dire que cette maternité représente beaucoup pour de nombreux Montreuillois ; j’y suis aussi né en 1962… Qui sont ces squatters ? En réalité il s’agit d’un groupe hétérogène de jeunes gens animés par la même ambition : redonner vie à un lieu inoccupé depuis une décennie.

Ils y organisent des concerts, lectures, rencontres, bouffes, exposition… La femme de notre Président, proche soi-disant des artistes, doit être sans doute sensible à ce genre d’endroits chargés de culture. Bref, pas des êtres dangereux, plutôt de doux rêveurs qui croient encore au pays des droits de l’homme.

Délogés par le Raid, avec une extrême violence

Apparemment pas si doux puisque le Raid est venu accompagner la police pour les déloger avec une extrême violence. En règle général, ce groupe intervient plutôt sur des prises d’otages ou d’autres situations très limites. Comme me disait hier un ami dans un bar montreuillois, ils n’ont pas de terroristes sous la main et s’entraînent où ils peuvent.

Mais en fait, cette intervention aussi musclée -en écho à d’autres- est juste un reflet de notre pays en ce moment. Chaque citoyen est devenu un ennemi public numéro 1, surtout quand il vit en banlieue et n’a pas de cartes de visites à rallonges comme Bernard Tapie, ni de parachutes dorés pour échapper aux membres du Raid. Quoi qu’un ancien directeur de Libération a fait aussi les frais de ce genre de dérive…

Le soir de l’expulsion, lors d’une cantine et une déambulation pacifique devant la clinique, un homme a perdu l’usage d’un œil à cause de tirs tendus de flasball. Quelqu’un de fiché au grand banditisme ? Un terroriste ? Un dealer ? Pas du tout ! Juste un militant associatif.

Les nouveaux délinquants armés de flashballs

Que dire après tout ça ? Paraît que l’insécurité règne de plus en plus dans ce pays. Faut croire qu’il ne s’agit pas uniquement de la délinquance dont on nous rebat les chiffres à longueur de statistiques. Mais de ces nouveaux délinquants qui, à l’abri d’immeubles rehaussés de « Liberté, Egalité, Fraternité », veulent briser la moindre utopie ou chemin de traverse à coup de flasball.

Un jeune homme vient de perdre un œil et c’est la démocratie tout entière qui devient aveugle. Et cette tribune, écrite à chaud, est dédiée à ce militant hospitalisé.

Gardons les yeux ouverts sur le ventre d’où la bête immonde peut surgir à tout moment. L’Histoire n’est certes pas la même qu’aux heures sombres de l’occupation. Mais résister, comme écrivait Lucie Aubrac, est un verbe qui doit toujours se conjuguer au présent. Et en plus pas très loin de cette clinique, sur un monument dédié à la Résistance est inscrit : « Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons. »

Un œil perdu ne se remplace pas, monsieur le Préfet. Et faites attention que certains de ces jeunes, plutôt calmes pour le moment, ne commencent à penser « Œil pour œil »…

http://www.rue89.com/blog-de-lecrivain-mouloud-akkouche/2009/07/12/un-oeil-perdu-a-montreuil-dans-une-expulsion-la-democr

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