Les orphelins d’Ebola en proie au stress et à la stigmatisation

Publié le 7 décembre 2014 sur OSIBouaké.org

KAILAHUN/DAKAR, 24 novembre 2014 (IRIN) - En Sierra Leone, la grande majorité des centaines d’enfants qui ont perdu des parents à cause du virus Ebola sont à la fois orphelins de père et de mère.

Parmi eux se trouve Lamin Borbor, âgé de huit ans. Assis seul à l’ombre d’un grand pavillon au toit de tôle, il joue avec une petite voiture devant le centre d’accueil provisoire d’un quartier paisible de la ville de Kailahun, dans l’est de la Sierra Leone.

Lamin fait partie de la quinzaine d’enfants orphelins ou séparés de leurs proches, âgés de six mois à 18 ans, qui séjournent au centre en attendant d’être placés. Avec l’aide des organisations humanitaires, le ministère de la Protection sociale, du Genre et de l’Enfance (MSWGCA) s’emploie à retrouver leur famille ou à trouver une famille de substitution pour prendre soin d’eux.

« On m’a emmené ici parce qu’il n’y avait personne pour s’occuper de moi », a dit Lamin à IRIN. « Mes parents sont morts du virus Ebola. Mais, je n’ai pas peur [car] on prend bien soin de moi au centre. »

Dans tout le pays, plus de 3 400 enfants ont été directement touchés par le virus ; au moins 89 enfants ont perdu l’un de leurs parents, et plus de 795 ont perdu leurs deux parents à cause d’Ebola. C’est ce qui ressort de l’enquête du processus appelé Recherche et réunification familiale (Family Tracing and Reunification, FTR) supervisé par le MSWGCA et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). Selon un porte-parole du FTR, il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre d’enfants séparés.

« Des milliers d’enfants sont déjà touchés par l’épidémie d’Ebola. Nombre d’entre eux ont perdu leurs parents et des membres de leur famille. Ils sont désormais laissés pour compte et ne reçoivent pas de soins adaptés », a déclaré Krista Armstrong, responsable de l’information et de la communication de l’organisation humanitaire Save the Children. « De plus, compte tenu de la nature du virus, les enfants orphelins risquent également d’être ostracisés par leur communauté alors qu’ils traversent la période la plus vulnérable de leur existence. »

Si de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, dont la Sierra Leone, possèdent généralement un solide tissu social qui soutient les enfants dans les moments difficiles, certains de ces orphelins connaissent la stigmatisation voire le rejet.

Beaucoup d’enfants sont aussi extrêmement stressés et angoissés, parce qu’ils ont assisté à la mort d’un être cher ou même parce qu’ils ont survécu au virus.

« Quand je suis seule, je me mets à penser à ma mère et ma sour, et c’est très difficile pour moi », a dit Bridgette Alpha, 17 ans, dont la mère, qui était infirmière, et la sour aînée ont succombé à la fièvre Ebola. Son père est décédé il y a quatre ans. « Je vis tout le temps dans la crainte. J’ai peur de dormir la nuit », a-t-elle déclaré.

Les autorités affirment qu’elles font tout ce qui est en leur pouvoir pour ramener ces enfants dans leurs familles, mais ce n’est pas toujours possible.

« Il est parfois difficile de retrouver d’où ils viennent », a déclaré Amy Richmond, spécialiste de la protection de l’enfance de Save the Children. « Certains enfants qui entrent dans les ETU [unités de traitement de l’Ebola] survivent et ressortent, mais se retrouvent seuls dans une grande ville, à plusieurs heures de route de leur village. Leurs parents sont [décédés] et ils ne savent pas exactement d’où ils viennent ou n’osent pas parler. »

D’après les dernières données d’une enquête du FTR datée du 12 novembre, au moins 520 enfants ont reçu un soutien psychosocial en Sierra Leone et 200 enfants ont retrouvé leur famille ou ont été placés en famille d’accueil, conformément aux lignes directrices des Nations Unies relatives à la protection de remplacement pour les enfants.

Les enfants dont les familles ne sont pas immédiatement retrouvées sont envoyés dans un centre d’accueil temporaire comme celui de Kailahun. Ils sont alors hébergés dans un endroit sûr où des bénévoles qualifiés leur offrent un soutien psychosocial, en attendant de retrouver leur famille élargie.

« Le centre est vraiment bien et je suis toujours très soutenu », a déclaré Bridgette. « Quand je suis triste, les bénévoles m’appellent et discutent avec moi. »

Ce centre, qui est géré par l’État et financé par des partenaires tels que Save the Children et l’UNICEF, est pour l’instant la seule structure de ce type à Kailahun. Un deuxième centre d’accueil pour les enfants touchés par le virus Ebola a ouvert plus tôt ce mois-ci à Port Loko.

Certains enfants restent seulement quelques jours au centre, d’autres plusieurs semaines.

« La vie dans le centre est très différente de ce que j’ai toujours connu », a déclaré Fatu Falma, une jeune fille de 14 ans qui a perdu son père et sa grand-mère à cause d’Ebola. Sa mère, également atteinte par le virus, est encore en centre de traitement. « Mais, je mange de bonnes choses et les adultes me parlent très gentiment. Ici, je m’amuse presque toute la journée avec des jouets et avec les autres enfants. »

Sous surveillance

Comme beaucoup d’enfants qui ont été en contact avec un malade d’Ebola, mais ne présentent pas de symptômes du virus, Fatu est surveillée pendant 21 jours. Les bénévoles - dont beaucoup sont eux-mêmes des survivants d’Ebola - prennent la température des enfants chaque matin et guettent attentivement les premiers signes de la maladie. Ils leur prodiguent également l’attention et l’affection que beaucoup n’osent pas leur donner.

Fanta Lavaly est l’une de ces bénévoles. Elle travaille au centre de Kailahun depuis qu’elle a survécu au virus Ebola en septembre.

« Ce n’est pas facile pour ces jeunes enfants de perdre leurs proches si tôt », a-t-elle dit. La plupart d’entre eux ont vu leurs parents mourir. D’autres sont trop jeunes pour comprendre. Mais, tous ont juste besoin d’avoir quelqu’un qui prend soin d’eux, qui leur parle et qui joue avec eux. »

Afin de les aider à retrouver un sentiment de normalité et de routine, le centre offre aux enfants un espace de jeu et coordonne des activités récréatives et sociales.

« Les jouets notamment peuvent aider à les distraire et à ne pas trop penser à leur famille perdue », a déclaré Sailfulai Bah, coordinateur du ministère de la Protection sociale de Sierra Leone dans le district de Kailahun. « Cela peut contribuer à atténuer leurs frustrations et avoir aussi des effets psychologiques positifs. »

M. Bah a déclaré qu’ils cherchaient maintenant à recruter des enseignants pour donner des cours pendant la journée aux enfants en âge d’être scolarisés.

Quand cela est possible et que les enfants ne sont pas atteints par le virus Ebola, les organisations humanitaires aident ces derniers à retrouver leur famille élargie et à réintégrer un nouveau foyer au sein de leur communauté. Les familles reçoivent des conseils sur la façon d’élever et de prendre soin d’un enfant qui a vécu un traumatisme comme celui d’Ebola.

Les enfants qui sont recueillis par leur famille élargie reçoivent une aide sociale et des kits de réinsertion contenant des articles ménagers tels qu’un matelas, des draps, des produits alimentaires, des vêtements et de la vaisselle. L’objectif de cette aide est de faciliter la prise en charge d’un enfant supplémentaire pour des familles qui sont aujourd’hui nombreuses à traverser une période déjà difficile.

Pas d’adoption internationale - pour l’instant

L’adoption internationale n’est pas encore une option envisagée pour les enfants dont les familles ne peuvent pas être retrouvées, selon Matthieu Dalling, responsable de la protection de l’enfance pour l’UNICEF en Sierra Leone.

« Le ministère n’a pas la capacité de mener des recherches en vue d’une adoption [internationale] qui est une entreprise risquée », a-t-il affirmé. « Donc pour l’instant, nous concentrons nos efforts sur la recherche familiale et sur les familles d’accueil. »

Plan International est en train de construire un nouveau foyer à Kailahun pour les enfants du centre d’accueil temporaire qui ont besoin d’un lieu d’hébergement à long terme, en attendant le placement en famille d’accueil ou l’adoption locale.

Même si les enfants apprécient beaucoup ces centres et sont très reconnaissants, ils disent vouloir juste rentrer chez eux.

« J’aime le centre, car tout ici fait que je me sens moins seul », a déclaré Augustin Turay, un garçon de 11 ans dont le père a succombé à la fièvre Ebola et dont la mère reçoit un traitement contre le virus. « Mais, je veux voir mes amis et les autres membres de ma famille avec qui je jouais. Je veux être avec quelqu’un comme ma mère qui peut prendre soin de moi. Mais, elle est très malade. Je ne sais pas si je vais la revoir un jour ».

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