Dépister les malades sans les stigmatiser

Le meilleur accès aux soins relance le débat sur les tests volontaires.

Publié le 18 août 2006 sur OSIBouaké.org

Par Eric FAVEREAU - Mercredi 16 août 2006 - 06:00 Toronto envoyé spécial

Images classiques d’un hôpital en Afrique. Une salle commune. Des malade atteints de tuberculose ou de maigreur chronique. Ils sont à bout. Certain sont mourants. On attend. Quand on demande au médecin s’ils sont atteint du VIH  , il répond : « On ne sait pas, ils n’ont pas été testés. »

Plus de 80 % des 40 millions de personnes vivant avec le sida   à travers le monde ne connaissent pas leur statut. Comment les soigner et les protéger si elles ne sont pas dépistées ? Jusqu’à récemment, cette question était en grande partie théorique, faute de traitements disponibles dans les pays en voie de développement. A quoi bon, en effet, dépister à tous crins si le malade doit ensuite mourir sans soins !

Dans ce contexte, les grands organismes internationaux ont longtemps suivi une politique de dépistage basée sur le volontariat, avec une consultation de conseil et de soutien. Un dispositif assez lourd. Mais qui avait le mérite de s’appuyer fortement sur les droits de l’homme. Aujourd’hui, ce modèle est en train d’éclater et les experts sont divisés. A l’heure de la diffusion de plus en plus large des traitements vers les pays pauvres et alors que s’impose le slogan de l’OMS   de « l’accès universel aux médicaments en 2010 » ­, ne faut-il pas aller vers une politique massive de dépistage ? Et casser le cercle de l’ignorance ?

Mariage, grossesse

Kevin de Cock, directeur du bureau sida   à l’OMS  , en est partisan. Non sans arguments. D’abord, une évidence : l’épidémie a changé et la réponse ne doit plus être à l’identique. Ensuite : « Maintenant que les traitements sont disponibles, le modèle avec simple conseil est trop lourd. L’accessibilité aux traitements doit marcher de pair avec une accessibilité accrue au dépistage. » D’autant que les préconsultations de dépistage ont englouti des budgets qui doivent servir désormais à d’autres fins. Enfin, « ce modèle était lié à l’exceptionnalité du sida  , le séropositif risquant stigmatisation et exclusion ». D’où la volonté de ce responsable de l’OMS   de développer une politique de dépistage systématique, ciblée à certains moments de la vie (mariage, grossesse) et dans certains lieux.

Consentement

Hier, à la conférence de Toronto, Anand Grover, magistrat à la Haute Cour de Bombay en Inde, s’est inquiété de cette dérive. L’homme est élégant et farouche partisan des droits de l’homme. « On prône ce dépistage de routine en utilisant l’argument de l’arrivée des traitements. Mais est-elle bien réelle ? Dans mon pays, en Inde, il y a près de 5,2 millions de personnes touchées, 500 000 à 700 000 d’entre elles nécessitent des traitements. Or, mon gouvernement prévoit de délivrer autour de 188 000 traitements de première intention à échéance de 2010. Peut-on parler d’accès large aux traitements, un argument qui aurait pu justifier de changer les règles du dépistage ? »

Autre argument, éthique : le dépistage de routine aboutit à mettre en parenthèse, dans les faits, la question du consentement. « Dans tous les grands pays, la loi insiste sur le fait que chaque être humain a droit à l’inviolabilité de son corps. Avons-nous besoin de sacrifier un tel principe pour simplement adopter des règlements qui permettraient d’étendre le dépistage ? Comment un patient pourra-t-il refuser sans être stigmatisé ? » Et de citer quelques exemples, comme le test avant le mariage : « Qui peut assurer que, dans nos pays, la femme séropositive ne sera pas aussitôt répudiée ? Plutôt que de se focaliser sur un élargissement du dépistage, il faut avoir l’énergie de lancer des vastes politiques, luttant contre la discrimination et l’exclusion... pour faire en sorte que les gens puissent vivre correctement en société avec le sida  . »

Débat essentiel. L’arrivée, pourtant limitée, des traitements réactualise des questions centrales de santé publique : comment dépister sans exclure, comment soigner sans stigmatiser ?

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