Glencore mine toujours le Congo

Publié le 19 juin 2014 sur OSIBouaké.org

Le courrier.ch, Mercredi 18 Juin 2014, Joël Burri - RDC - Le géant minier suisse Glencore tente de se donner une image d’entreprise responsable. Mais une enquête menée par plusieurs ONG dénonce le mépris des populations locales.

A en croire le rapport annuel 2013 de GlencoreXstrata, l’entreprise – rebaptisée Glencore depuis – est un modèle de développement durable et de respect des droits de l’homme. « Nous nous engageons à respecter les bonnes pratiques commerciales, à atteindre ou dépasser les lois applicables et à appliquer d’autres exigences externes. Nous nous efforçons (..) de contribuer à la croissance socio-économique des communautés dans lesquelles nous exerçons nos activités. »

Pourtant, l’entreprise Mutanda Mining, l’une des deux entreprises minières contrôlées par Glencore en République démocratique du Congo (RDC), n’hésite pas à profiter d’un dysfonctionnement de l’administration congolaise pour creuser dans une zone protégée en violation des lois sur la protection de la nature. En effet, le cadastre minier a accordé une concession dans une réserve de chasse où toute nouvelle activité économique est interdite. Pis, l’entreprise accélère l’exploitation de cette concession contestée. « Des millions de dollars ont été investis et un véritable village minier a été érigé en moins de cinq ans », relate le rapport. Arguant que son activité tombe sous la responsabilité de la direction ministérielle des mines, Mutanda Mining réfute « profiter d’ambiguïtés dans la loi minière ».

Pays stratégique pour Glencore

Selon les ONG, Mutanda Mining et KCC (Kamoto Copper Company), la seconde entreprise minière sous contrôle de Glencore en RDC, sont d’une « importance stratégique » pour le groupe : elles fournissent à elles seules 19% de sa production de cuivre et 82% de celle de cobalt. Ce dernier minerai est nécessaire à la fabrication de nombreux composants électroniques.

L’affaire de la mine exploitée en pleine réserve naturelle n’est qu’un des exemples du rapport de Pain pour le prochain et d’Action de carême publié hier en collaboration avec l’organisation anglaise Rights and Accountability in Development (RAID). Fruit d’une enquête de plus de dix-huit mois, ce troisième rapport sur les activités de Glencore au Congo compile les observations collectées auprès des organisations locales partenaires et lors de deux missions internationales et de centaines d’interviews.

Métaux lourds rejetés

Toujours au chapitre des atteintes à l’environnement, les ONG dénoncent les rejets de l’usine de KCC. Le précédent rapport, en 2012, avait dévoilé, le déversement dans un cours d’eau, le canal Albert, d’eaux usées extrêmement acides. Glencore avait immédiatement pris des mesures et l’avait fait savoir aux médias. Mais dans le rapport de 2014, les ONG constatent, image satellite à l’appui, que si le lieu de rejet découvert en 2012 n’est plus utilisé, un autre a été créé. Les échantillons pris sur le terrain montrent toutefois que le pH des eaux usées est passé de 1,9 à 5,2. La contamination par des métaux lourds reste, par contre, importante. Le taux de cobalt dans le canal Albert est ainsi cinquante-trois fois supérieur aux normes de l’Organisation mondiale de la santé ! Des déchets tellement importants que les dépôts sous forme de poudres blanche ou bleue sont visibles à l’œil nu sur les rives du canal.

En cours d’enquête, dans une réponse citée par le rapport, Glencore déclare n’avoir jamais eu de tels résultats avec ses propres analyses et rappelle que « KCC n’est pas le seul opérateur minier dans la région et ne peut être tenu pour responsable pour tout déversement résultant des activités d’autres entreprises ». Mais après avoir eu accès au rapport, Glencore demande les coordonnées GPS des lieux de prélèvement et des éclaircissements sur la méthodologie employée. Elle réfute les réponses qu’elle aurait données en cours d’enquête et parle de pollutions résiduelles dues à l’exploitation de la mine, avant la prise de contrôle par Glencore.

Au niveau des droits de l’homme, les ONG dénoncent les abus de pouvoir de la police et des milices privées chargées d’empêcher les mineurs artisanaux de pénétrer sur les concessions. L’usage de balles réelles y serait fréquent. « Glencore semble avoir adopté un type de réponse militaire à ce qui est, en fait, un problème social complexe », regrettent les ONG. Glencore insiste, pour sa part, sur le fait qu’elle n’a aucune autorité sur le travail de la police des mines, qui est un service public, et n’a donc aucune responsabilité face à l’usage d’armes létales pour lutter contre les mineurs artisanaux.

Impôts contournés

Les rapports avec les communautés locales sont par ailleurs défaillants, et les ONG citent un exemple de village dont les principales voies de communication sont coupées par des concessions minières. Un point que Glencore réfute également.

Dans un courrier envoyé à Pain pour le prochain et Action de carême, l’entreprise se dit prête à préciser certains éléments et à corriger des erreurs. Elle demandait pour cela que la publication du rapport soit repoussée d’au moins un mois. Glencore rappelle, également, son obligation de « protéger les intérêts de ses actionnaires » et se réserve ainsi le droit de porter l’affaire en justice au cas où les ONG ne donneraient pas suite à ses demandes.

Enfin, sur le plan économique, la RDC bénéficie peu de la présence de Glencore. Pain pour le prochain, Action de carême et RAID accusent le groupe de pratiquer une stratégie d’optimisation fiscale agressive, mais légale. Ainsi KCC affiche systématiquement des résultats déficitaires depuis 2008 et ses fonds propres présentent un déficit de plus de 2 milliards de dollars. Selon les ONG, ses pertes s’expliquent principalement par les redevances que KCC paie à des sociétés mères inscrites dans des paradis fiscaux. Glencore évite ainsi de payer impôts et dividendes. En se basant sur les résultats du groupe Kantaga Mining Ltd, dont fait partie KCC, les ONG estiment que ce sont 153,7 millions de francs qui ont échappé à l’Etat congolais depuis 2009. Dans le même temps, l’aide suisse en faveur de ce pays s’élevait à 58 millions. Les ONG demandent une modification de la fiscalité internationale pour imposer aux sociétés de publier leurs comptes pays par pays.

Démenti formel

Glencore conteste cette analyse avec la plus grande force. « Les entreprises auxquelles le projet de rapport prétend que les exploitants miniers paient des sommes excessives ne font, en fait, pas partie du groupe Glencore et ces transactions se font sur la base d’accords commerciaux. » Pour Glencore, il n’y a pas d’optimisation fiscale, mais des investissements. « Plus de 2 milliards de dollars ont été investis par Glencore dans les activités de KCC, mais pour l’heure aucun retour financier pour Glencore n’a eu lieu, que ce soit sous forme de remboursement ou de dividende. »


« Les populations ne sont pas consultées »

Chantal Peyer a pu se rendre compte de l’impact des activités minières de Glencore au Congo-RDC lors des deux dernières missions d’évaluation de son ONG, Pain pour le prochain (avec Action de Carême et Raid), en octobre 2013 et mars 2014. Elle rend compte de cette expérience pour Le Courrier.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappée lors de votre dernière mission en RDC ? Chantal Peyer : L’inégalité de pouvoir. Les petits villages autour de Mutanda Mining, la deuxième filiale de Glencore en RDC, n’ont ni électricité ni internet. Et ils n’ont surtout aucune information sur cette firme dont les activités ont des répercussions sur leur territoire et sur leurs vies. Or l’accès à l’information est essentiel. Une fois par mois, le responsable social de Mutanda Mining va voir les chefs coutumiers et leur paie 250 dollars pour en quelque sorte gérer le mécontentement de leurs populations. Ces chefs se trouvent pris en sandwich entre les villageois et l’entreprise. D’autant que cette dernière fait des promesses, parfois même par écrit, qu’elle ne tient pas, comme par exemple d’engager du personnel local ou de construire des écoles. Les habitants ne disposent pas d’outils pour faire valoir leurs intérêts auprès des grandes compagnies. La loi congolaise exige que les firmes réalisent une étude d’impact environnemental et social et consultent les populations. Mais lorsque Glencore fait mine de s’y plier elle n’invite pas les populations affectées, mais uniquement des représentants de la maire de la ville proche de Kolwezi, de l’université et de l’administration, voire des ONG alibis et des chefs coutumiers.

Qu’est-ce qui explique que l’Etat congolais continue à traiter avec des firmes qui paient très peu d’impôts et affectent négativement les communautés locales ? Les contrats sur les concessions minières portent sur des centaines de millions de dollars. Et leur signature intervient souvent dans des circonstances opaques. Une certaine élite politique, dominée par le président Kabila et ses proches, est directement impliquée dans les négociations. Dans le cas des mines de Glencore en RDC, ces tractations se sont déroulées par l’entremise du financier israélien Dan Gertler. Celui-ci, un ami proche du président Kabila, a racheté en 2011 à l’Etat congolais des parts sociales de la firme publique Mutanda-Kansuki à un tiers de leur valeur sur le marché. Avant de les revendre à Glencore entre 2012 et 2013 à un prix plusieurs fois supérieur au prix payé à l’origine. Le plus curieux, c’est que Glencore ne s’était pas porté acquéreur en 2011 alors qu’elle voulait devenir l’actionnaire majoritaire. En résumé, Glencore travaille avec des gens bien introduits dans les sphères du pouvoir congolais. Et ce dernier ne raisonne pas forcément en termes d’intérêt général.

Glencore semble osciller entre collaboration et ouverture vis-à-vis des ONG et dénégation complète des résultats de leurs enquêtes. Qu’est-ce qui explique ce paradoxe ? Cela a effectivement été une preuve d’ouverture que nous puissions visiter leurs infrastructures et discuter avec des responsables de la gestion. Mais cela reste une firme qui n’a pas l’habitude de mener une autocritique. C’est très nouveau pour eux. Ils ne reconnaissent pas les faits et menacent de plainte en justice lorsque nous les publions. Pour ce genre de multinationale, de culture anglo-saxonne, il est plus habituel d’aller au procès plutôt que de dialoguer. Mais maintenant que Glencore est côté en bourse, a des actionnaires, elle est obligée de devenir plus transparente, même si le processus peut être lent.

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