Des fourmis dans les jambes, prix Paroles de patients 2012

Roman graphique superbe et sensible, sur une vie de famille entre Paris et Nantes, avec la sclérose en plaques

Publié le 10 décembre 2012 sur OSIBouaké.org

BD Gest - 29/04/2012 - Entretien avec Renaud Pennelle et Arnaud Gautelier - Propos recueillis par L. Gianati

Certaines maladies font peur. Celles qui frappent un beau matin, sans signe avant coureur, sans prévenir, celles dont on sait pertinemment que, malgré les progrès de la médecine, il n’existe pour l’heure aucun traitement efficace, celles qui handicapent un peu plus chaque jour, avec la certitude que demain sera encore plus difficile... La sclérose en plaques en fait partie. Arnaud Gautelier a 22 ans quand le diagnostic tombe. À l’âge où l’on fait ses premiers pas dans la vie professionnelle, où l’insouciance prend souvent le pas sur la dure réalité de l’existence, Arnaud sait que plus rien ne sera comme avant.

En publiant, en 2006, "J’te plaque ma sclérose", un roman autobiographique, il choisit de faire partager son quotidien, de mettre en lumière "sa" maladie et de permettre ainsi à d’autres de vaincre l’isolement. Quelques années plus tard, il décide, avec un ami dessinateur de longue date, Renaud Pennelle, de réaliser une bande dessinée, "Des fourmis dans les jambes". Intimité, incivilités, vie familiale, départ de Paris pour Nantes (et ses célèbres canaris) sont au programme, le tout abordé avec une sacrée dose d’humour.

Arnaud, votre premier roman J’te plaque ma sclérose contenait déjà de nombreuses illustrations. La bande dessinée était-elle une suite logique ?

Arnaud Gautelier : Non, ce n’est pas une suite logique... Je ne connais pas trop le monde de la BD (à part Tintin et Astérix) mais j’admirais (et encore plus maintenant) le talent de mon ami Renaud Pennelle. J’avais écrit des trucs dans un coin, j’en ai parlé à Renaud, il m’a dit : « On peut faire une BD ». Moi : « Mais comment on fait ? » C’est comme cela que ça a commencé. Renaud m’a expliqué comment écrire un scénario pour une BD et dès qu’il m’a montré ses premiers crayonnés, j’ai dit OK, c’est génial !

Quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients de ce médium pour traiter d’un sujet aussi grave ?

A.G. : Je ne vois pas trop d’inconvénients. Ce médium permet d’aller à l’essentiel, les détails de l’histoire sont dans le dessin. On peut aborder un sujet grave en ayant assez de recul. Pour moi, l’humour et l’amour sont les choses les plus importantes pour faire passer un message.

Arnaud et Renaud, vous vous connaissez depuis de nombreuses années. L’amitié était-elle nécessaire pour pouvoir réaliser cet album ?

Renaud Pennelle : J’imagine que j’aurais pu faire le même travail en ne connaissant pas Arnaud, en le rencontrant pour l’occasion. Ça aurait été aussi très intéressant et pas moins impliquant, mais il se trouve que c’est précisément notre amitié qui a fondé et nourri ce projet. Pendant la lecture de J’te plaque ma sclérose j’avais découvert la face cachée de mon pote Arnaud que je connaissais pourtant depuis plus de 4 ans... Beaucoup plus tard, en réponse à l’éloignement provoqué par son déménagement, et à son désir de prolonger son premier livre de façon différente, je lui ai proposé une "suite" en BD. Un travail commun pour ne pas laisser nos liens se distendre. L’idée a plu à Arnaud... Et voilà... On s’y est mis très doucement, à notre rythme... Je pensais mener ce projet en parallèle avec d’autres travaux, mais la proposition de l’éditeur Emmanuel Proust nous a amenés à nous y plonger totalement. Pendant la réalisation de l’album, en dessinant son personnage (et bien que ce personnage soit très interprété par rapport à la réalité), j’avais une sensation précise de sa gestuelle, ses expressions. Je n’avais pas peur de le "charger", puisque lui-même manie volontiers l’auto-dérision. Un ami commun nous a fait la remarque qu’il retrouvait la présence d’Arnaud dans mon dessin. Un compliment auquel j’ai été extrêmement sensible ! Notre confiance mutuelle a été déterminante pour que je puisse exprimer au mieux le texte original.

A.G. : Renaud a tout dit…

Comment avez-vous collaboré ? Chaque rôle était-il clairement défini ou avez-vous participé l’un et l’autre au dessin ou à l’écriture ?

R.P. : J’avais demandé à Arnaud d’écrire un "vrai" scénario de BD, dialogué et découpé en planches et en cases avec descriptifs. Il l’a fait pour les deux premiers tiers de l’histoire. Je réorganisais, condensais et réécrivais beaucoup, en respectant l’esprit et la matière mais en la transposant en images de façon souvent différente. Après ça, Arnaud a décidé d’écrire plus librement le dernier tiers, il ressentait comme un carcan l’obligation de tout faire rentrer dans des petites boîtes ! Pour moi, le plus important était bien sûr qu’Arnaud se retrouve dans le storyboard. Il y a eu finalement assez peu de scènes nécessitant des allers-retours. Sandy, la compagne d’Arnaud, a eu un rôle à ne pas négliger. Elle a lu toutes les séquences au fur et à mesure de leur avancement. Sa vision fraîche nous a été utile. Idem pour Sandrine, une amie à qui j’ai montré toutes les étapes du travail et que je remercie vivement ! Deux dessins sont de la main d’Arnaud : le plan de la nouvelle maison, et la toile avec tous les bonshommes. C’est peu, mais je tenais à ce que son trait figure dans ce livre. Les autres toiles, je les ai reproduites d’après des photos que j’ai prises chez lui.

A.G. : Renaud a encore tout dit !!!

Arnaud, vous êtes-vous fixé certaines limites à ne pas dépasser lors de l’évocation de votre quotidien ?

A.G. : Non, je n’ai pas de tabou, toutes les scènes sont plus ou moins réelles et je n’avais rien à cacher.

L’arrivée à Nantes semble marquer un véritable renouveau…

A.G. : Oui, ça fait bizarre de passer de la ligue 1 à la ligue 2 (sourire)

Le regard des gens est-il vraiment différent en province ? Où est-ce plutôt l’indifférence qui était devenue difficile à supporter ?

A.G. : Pas facile de répondre à cette question car le regard des gens m’est indifférent. En revanche, que se soit à Paris ou à Nantes, l’incivilité est la même !

Avec un peu de recul, la vie parisienne ne vous manque-t-elle pas trop ?

A.G. : Mes amis de Paris me manquent. La vie parisienne, non ! Pourtant, je suis né à Paris et j’y ai vécu pas mal de temps.

Les prises en charge thérapeutiques ont-elles évolué depuis que votre maladie s’est déclarée, il y a un peu plus de dix ans ?

A.G. : Oui, de nouveaux médicaments ont vu le jour pour améliorer la vie des malades. Mais la sclérose en plaques reste une maladie incurable. Il y a encore du boulot !

Quel est le regard de votre famille sur cet album ?

A.G. : Mes parents ne l’ont pas encore vu mais j’espère qu’ils vont aimer. (sourire) Sinon, le reste de ma famille est fier de moi, ils me trouvent courageux… moi, je me trouve normal.

Avez-vous d’autres projets de bande dessinée ?

R.P. : Quelques idées... Mais aucune en voie de concrétisation...

A.G. : Non, mais j’ai encore envie de créer, sans parler de la sclérose en plaques. Je veux rester dans le concret mais c’est encore très « brouillon » dans ma tête…

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre association « Notre Sclérose » ?

A.G. : L’Association "Notre Sclérose" s’est donnée pour principal objectif de communiquer différemment sur la sclérose en plaques, parce qu’il est nécessaire de faire sortir cette maladie de l’ombre et de lutter contre les idées reçues. Comment rester encore incompris lorsque l’on sait que 80 000 personnes souffrent de la sclérose en plaques en France ?


La bande annonce en vidéo


Présentation de l’éditeur

Alan a 33 ans, publicitaire « génial », il est marié, et a une petite fille adorable. La vie idéale ?... Non ! Depuis 13 ans, Alan se bat contre un ennemi invisible : la sclérose en plaques. Voici raconté en BD et avec humour, ses séances de chimiothérapie, ses rendez-vous avec le neurologue, ses galères dans les transports... Soit son combat au quotidien pour avoir, coûte que coûte, une vie (presque) normale.

Lucide et réaliste, le témoignage bouleversant de Arnaud Gautelier (auteur du récit J te plaque ma sclérose) est magistralement mis en image par Renaud Pennelle. Un roman graphique pertinent sur le handicap   et sa place dans notre société. Indispensable !

Biographie des auteurs

ARNAUD GAUTELIER 35 ans, vit à Nantes. Directeur artistique dans la publicité pendant 10 ans, c est là qu il rencontre Renaud Pennelle. En 2006, son livre-témoignage J te plaque, ma sclérose rencontre un franc succès critique et publique. Fondateur de l association Notre Sclérose, il se lance dans l écriture de « son » histoire que seul, son ami, Renaud Pennelle pouvait réaliser en BD.

Renaud PENNELLE vit et travaille à Paris. Diplômé de l ESAG, après de nombreux travaux publicitaires et de design, il réalise sa première bande dessinée : Sagarmatha, pour la collection Atmosphères Sport. Son graphisme moderne et personnel a séduit le réalisateur Abdellatif Kechiche qui lui a confié l’adaptation en BD de son film Vénus Noire.


Des fourmis dans les jambes

  • Scénariste : Gautelier, Arnaud
  • Dessinateur : Pennelle, Renaud
  • Editeur : Emmanuel Proust Éditions
  • Couverture et images illustrant cet article © Emmanuel Proust Éditions
  • Pour feuilleter les quatre premières pages, c’est ici. "Des ailes, c’est pour voler", était le titre de travail. Il a changé depuis, mais les quatre premières planches n’ont quasiment pas bougé.

Pour aller plus loin :


Le prix « Paroles de Patients » 2012 récompense une BD

Infirmiers.com - 29.10.2012 -

Depuis 2008, les Entreprises du médicament (Leem) décernent le prix « Paroles de Patients » aux œuvres dont le sujet principal porte sur le témoignage sur la maladie. Cette année, le prix a été attribué le 24 octobre 2012 à l’ouvrage « Des fourmis dans les jambes » d’Arnaud Gautelier et Renaud Pennelle, une BD mettant en scène une personne atteinte de sclérose en plaques.

Le prix « Paroles de Patients » 2012 récompense une BD. Le jury du prix « Paroles de Patients » 2012 a décidé de récompenser un témoignage sous forme de roman graphique : « Des fourmis dans les jambes » d’Arnaud Gautelier et Renaud Pennelle. Cette bande dessinée raconte l’histoire d’Alex, un publicitaire de 33 ans vivant à Paris. Depuis 13 ans, il se bat contre la sclérose en plaques, un ennemi presque invisible. Au travers des dessins et des textes, les auteurs ont voulu décrire au mieux le quotidien du héros qui désire plus que tout avoir une vie « normale ». Cependant, les séances de chimiothérapie, les rendez-vous avec le neurologue et ses mésaventures dans le transport compliquent cet idéal auquel il aspire tant. Le titre de la BD renvoie d’ailleurs à l’une des sensations les plus terribles de la maladie : des fourmis dans les jambes qui peuvent aller jusqu’à des brûlures. Cette mise en images des journées d’une personne souffrant de sclérose en plaques oblige également le lecteur à mener une réflexion sur le handicap   et sa place dans la société.

L’histoire du livre « Des fourmis dans les jambes » s’inspire de la vie d’Arnaud Gautelier, lui-même atteint de sclérose en plaques. L’engagement de l’auteur vis-à-vis de la maladie fait partie de son quotidien notamment au travers de l’association « Notre Sclérose » qu’il a fondée en 2007. Il rencontre Renaud Pennelle, l’illustrateur, dans le milieu publicitaire dans lequel ils ont exercé et tous deux se lancent dans la conception de ce roman graphique au lavis. L’ouvrage, destiné à sensibiliser les lecteurs à la sclérose en plaques, est aussi enrichi d’un dossier sur la maladie par le Docteur David-Axel Laplaud, praticien hospitalier au CHU de Nantes.

David-Axel Laplaud : « Cette bande dessinée retrace sans pathos exagéré mais toujours avec humour l’(a)normalité du quotidien face au handicap   »

D’autres thèmes forts

Cette année, deux thèmes forts ont émergé parmi les ouvrages des auteurs engagés dans le prix « Paroles de Patients » : l’annonce de la maladie et le bouleversement familial engendré par la révélation et le regard des enfants sur la maladie de leurs parents. Pour le patient et la famille, la découverte de la maladie est souvent vécue comme un traumatisme. Les témoignages mettent en avant les réactions plus ou moins violentes des personnes concernées, souvent déstabilisées, stupéfaites, sidérées voire consternées. Dans « La Tête à Toto », un ouvrage sélectionné en 2012, Sandra Kollender raconte : « La tête me tourne. Les joues me piquent. J’ai chaud. J’ai froid. Une bombe atomique vient de ravager l’intérieur de mon corps statufié ». Quel que soit le bouleversement engendré par la maladie, la présence de l’entourage, et plus particulièrement des enfants, peut aider à surmonter la douloureuse épreuve de la maladie comme le soulignent les témoignages. Bien que son l’existence de l’enfant soit chamboulée, par son innocence, sa lucidité et son courage, il est source d’espoir, d’énergie et de vitalité. Alex, le héros de l’ouvrage « Des fourmis dans les jambes » parvient quant à lui à rester debout grâce à l’amour que lui portent sa femme et sa fille.

Lors de la remise du prix, Christian Lajoux, président du Leem a déclaré : « Ce prix, nous y avons cru, nous l’avons créé, porté, installé pour tous les patients et leurs familles plongées dans le terrible univers de la maladie. Je suis particulièrement fier de la création de ce nouveau lien que constitue le prix, entre les malades et la société, médecins, soignants, amis et parfois familles, qui jusque-là, avaient tendance à occulter les malades et leurs maladies. C’est là notre plus grande réussite ». Ce prix est un bel hommage aux témoignages sur la maladie. Au-delà de la souffrance rencontrée par les malades ou leur famille, ces ouvrages, notamment « Des fourmis dans les jambes » offrent surtout une belle leçon de vie : rien n’est insurmontable...

Des jurés pluridisciplinaires

Pour le Leem, il est important d’avoir un jury composé de personnalités d’univers très différents pour donner une légitimité au prix « Paroles de Patients ».

Ainsi, 12 jurés se réunissent autour du secrétaire général, Bertrand de Saint-Vincent, journaliste au Figaro, pour choisir l’ouvrage auquel est attribué le prix. Le jury se compose de Luc d’Auriol, entrepreneur Biotech, Marina Carrère d’Encausse, journaliste sur France 5, Béatrice Ceretti, écrivain et peintre, Marie de Hennezel, psychologue, Agnès Lanaud, membre de Comités de lecture (Bibliothèques), Danièle Laufer, journaliste, chef de rubrique psychologie et société chez Prima. Alain Livartowski, cancérologue. Institut Curie, Marie-Odile Monchicourt, journaliste scientifique chez France-Info, Marie-Françoise Padioleau, présidente de l’AJMED (Association des journalistes médicaux grand public), Agnès Duperrin, journaliste à Notre Temps, Claude Pinault, lauréat 2009.

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