Mettre les morts du sida au placard ?

Le canal historique d’Act Up Paris existe sur la toile. OSI Bouaké l’a trouvé. Wow ! On a eu chaud...

Publié le 4 février 2010 sur OSIBouaké.org

Minorités - Arlindo Constantino [1] - dimanche 31 janvier 2010

En matière de sida  , depuis 4 ou 5 ans maintenant, j’ai la très désagréable impression d’une régression. Pire, d’un retour au début de l’épidémie. Quand les sidéens et les séropos cachaient leur maladie ou quand à la télé, on parlait de son sida   avec un masque et une voix déformée pour ne pas être reconnu. C’était une période de honte collective et de déni de la maladie.

Puis en 1989, Act Up-Paris qui a mis des visages sur la maladie. Les fondateurs de l’association avaient compris que le combat contre cette épidémie passait d’abord par la visibilité. Rendre les malades du sida   visibles pour mieux combattre politiquement la honte dans laquelle on les cantonnait. La majorité des porteurs du virus étant, nous disait-on, des homosexuels, des toxicomanes, des prostitués, des immigrés bref des minorités, des « gens à problème ».

Plus de vingt ans après, il semble que cette maladie reste un poids, un stigmate qu’il faudrait cacher.

Courant janvier, deux personnes sont mortes du sida  . Un chanteur, Mano Solo et un philosophe, référence intellectuelle de l’extrême gauche, très proche du NPA, Daniel Bensaïd. Tous les deux n’ont jamais fait secret de leur sida  . Le premier le chantait ouvertement dans certaines de ses chansons et le second participait régulièrement aux marches du 1er décembre. Même si ni l’un ni l’autre n’était engagé de manière formelle dans la lutte contre l’épidémie, ils étaient out, luttant à leur manière contre la maladie.

« Longue maladie »

D’où vient donc le malaise qui entoure encore les personnes mortes du sida   ?

Dans un communiqué de presse du 12 janvier 2010, Le NPA rend hommage à Daniel Bensaïd et évoque son décès en mentionnant qu’il était « gravement malade depuis plusieurs mois ». Dans la presse, c’est la sempiternelle paraphrase « mort des suites d’une longue maladie » qui est choisie. Dans un autre communiqué (retiré du site de l’association), Act Up-Paris reproche aux médias et au NPA d’avoir écarté la maladie de Daniel Benaïd. Début d’une polémique malsaine.

On accuse Act Up d’avoir empiété sur la vie privée de l’intellectuel décédé, de l’avoir outé. La veuve de l’intellectuel se scandalise dans un courrier du communiqué de l’association, en dénonçant un prétendu coup de pub et enfonce le clou en concluant que le procédé est une « forme de fascisme ». De nombreux messages se scandalisent des méthodes d’Act Up-Paris. Chacun y va de ses commentaires sur le très arrangeant respect de la vie privée, comme sur Rue89. L’argument est courant en France et le débat fait rage depuis de nombreuses années sur des thématiques comme le sida  , l’homosexualité ou les dépendances aux drogues. Vie privée / Vie publique ?

Le respect de la fameuse et secrète vie privée a deux niveaux. D’un côté, il y a les anonymes, ceux dont l’histoire personnelle n’a pas connu le devant de la scène, et dont évidemment personne ne parle. Pourtant, il en existe des histoires douloureuses et sordides. Ici, une famille qui n’hésite pas à briser le respect de la vie privée pour des histoires d’héritage obscènes. Là, des proches qui publient des annonces nécrologiques dans les journaux sans mentionner la maladie qui a emporté leurs amis.

De l’autre, les personnalités publiques dont la règle exige que les raisons de la mort ne doivent pas être connues. Et pourtant, la séparation entre vie publique et vie privée est aussi fine qu’une feuille de papier de soie japonais. Les personnalités françaises sont spécialistes de ce cloisonnement, jouant dans leur vie quotidienne ou mondaine avec cette limite. Après tout, la loi les protège.

Les médias anglo-saxons n’ont pas eu peur de mentionner la pathologie qui emporté le philosophe ainsi que l’atteste la nécrologie écrite par Gilbert Achcar dans le journal américain Socialist Worker du 13 janvier. Reprise ensuite dans International Viewpoint. Ou encore l’hommage de Tariq Ali, ami de Bensaïd, pour le Guardian.

Bref, cette polémique n’a eu lieu qu’en France et l’on se demande, à notre époque de globalisation de l’info, comment on peut espérer dire les choses simplement en Angleterre et l’interdire de ce côté-ci de la manche. La vie privée est mieux protégée en France, c’est un fait. Mais les personnes dont il est question ici ne font pas partie des « people » de la Ferme des célébrités. Il s’agit de militants, de personnes engagées.

Nouveaux puritains

Le plus stupéfiant dans cette polémique n’est pas tant la réaction des journaux qui se protègent juridiquement face à d’éventuels procès ou d’un parti comme le NPA qui, tout aussi de gauche qu’il est, n’en reste pas moins puritain. Ce qui est choquant, c’est la réaction des associations de lutte contre le sida  .

Aides, la principale association de lutte contre le sida   n’hésite pas à dire officiellement sur le site de Rue89 qu’elle ne sait pas si Daniel Bensaïd « est décédé ou non de son sida  . » Wow !

Pour résumer, ils savaient que l’intellectuel était séropositif, mais se pose encore la question de savoir si le sida   est réellement la cause de sa mort. Comme si le sida   était complètement déconnecté des graves problèmes de santé dont souffrait Daniel Bensaïd durant les derniers mois de sa vie. Comme si Aides ne sait pas que l’on meurt rarement des causes directes d’un sida   aujourd’hui, mais des cancers et autres pathologies qui sont souvent la conséquence d’un système immunitaire affecté de longue date par le VIH  . C’est jouer avec les mots. Et l’association n’hésite pas à conclure de manière totalement contradictoire : « Ce que nous apprend cette histoire reste, au bout du compte, que le sida   est, encore en 2010, source de polémique. C’est à rattacher à la non-visibilité de la maladie ». Re-wow ! Aides rejoint ici ses fondamentaux : lutter contre le sida   d’une manière modérée.

L’association dirigée par Bruno Spire n’est pas la seule. Un responsable d’une autre association, par ailleurs cadre dirigeant dans le secteur hospitalier, est pour le coup étrangement « indulgent » avec le sida   et, d’après certaines sources de l’association en question, affirme que Mano Solo est décédé suite à plusieurs anévrismes et non pas du sida  ...

Le sida   tue encore, apparemment

Dans le contexte actuel de l’épidémie, on retourne donc des décennies en arrière. Honte, convenance, pudibonderie, secret, déni sont à nouveau les maîtres mots. Même si les séropositifs vont mieux, le sida   fait encore des morts, trop de morts. Et je ne peux m’empêcher de relier le lieu commun entendu ici ou là (on ne meurt plus vraiment du sida  ) avec le niveau soutenu des nouvelles contaminations, notamment chez les gays. Comment ne pas relier ces données de l’épidémie de sida   avec la responsabilité de certains dirigeants associatifs sida   quand ceux-ci, qui sont en majorité gays, osent en 2010, dénier que le sida   est une pathologie avec un taux de morbidité trop important ? Comment ne pas dire qu’en tenant ces discours, ils se rendent complices des futures contaminations ? Maintenant que les traitements fonctionnent plutôt bien, on peut baiser unsafe, c’est ça ??

Mais qui nous parle des effets des traitements ? Qui nous parle des complications d’ordre neurologiques, cardiaques, coronaires qui mènent au décès parce que c’est une infection virale ?

Derrière le respect de la douleur des proches et l’impitoyable travail de deuil, les récents décès de Daniel Bensaïd et de Mano Solo rappellent que l’épidémie est dans une dynamique que ne va pas dans le bon sens, que l’épidémie est loin d’être endiguée.

Alors, en effet, le communiqué d’Act Up peut faire mal. Il gêne parce qu’il parle de mort, mais l’association activiste a « l’audace » de rappeler certaines réalités qui devraient pourtant être évidentes. Qu’il vaut mieux laisser la porte du placard ouverte car un jour ou l’autre, quand les historiens seront décidés à analyser l’histoire de l’épidémie et que la pédé-sidacratie aura le courage de ne pas cacher derrière son petit droit, viendra l’heure des comptes.

imprimer

retour au site


[1] Arlindo Constantino est un ancien militant historique d’Act Up-Paris et fils d’immigrés portugais. Impatient de voir un rebonds dans le militantisme gay et sida, il lance ici un cri du cœur sur un des sujets essentiels de Minorités : la peur communautaire et son alimentation par la pensée universaliste