La révolte des enfants placés

Enfances volées, une exposition à Berne (Suisse) revient sur l’histoire des enfants placés et leur donne la parole

Publié le 24 octobre 2009 sur OSIBouaké.org

21/10/2009 - L’Illustré - Par Patrick Baumann - http://www.illustre.ch/la_revolte_des_enfants_places_40091_.html

Ils sont des dizaines de milliers à avoir été placés durant leur jeune âge dans des conditions effroyables. Moins bien traités souvent que les animaux de la ferme dont ils s’occupaient. Aujourd’hui, ils attendent de la Suisse un mot d’excuse officiel. Une exposition itinérante retrace ces parcours inimaginables à l’heure de l’enfant roi.

« Si l’on gâche l’enfance, le reste est fichu. » « Etre un enfant placé, c’était pire que d’être apatride. » « En parler ? On nous aurait ri au nez, ce qu’on vivait, ça n’intéressait pas les adultes ! »

Des phrases comme des couperets, prononcées par Gilbert, Michel ou Jean-Louis, trois des 300 témoins à qui l’exposition Enfances volées rend hommage au Musée historique de Lausanne*. Entre 1920 et 1960, ils sont des dizaines de milliers comme eux, orphelins, enfants de fille-mère ou de parents divorcés ou indigents à avoir vécu l’enfer. Obligés de trimer dans des fermes ou des orphelinats sans jamais aucune marque de considération ou d’affection. A un âge où l’amour et le respect sont un ciment indispensables à la construction encore balbutiante de la personnalité.

Cette exposition unique en son genre va parcourir la Suisse pour finir son périple au Musée d’art et d’histoire de Fribourg au printemps 2012. Elle sonne comme une amorce de réparation. Une amorce seulement, car aucune excuse officielle n’a jamais été prononcée dans ce pays où l’on dit pourtant si facilement pardon et merci dans la conversation.

On a fait amende honorable pour l’attitude de la Suisse envers les juifs pendant la Seconde Guerre, pour les souffrances infligées aux enfants jenisch enlevés à leurs parents par Pro Juventute. Mais les milliers de victimes des placements arbitraires attendent toujours de voir leurs souffrances reconnues. « On espérait que, lors de l’inauguration officielle de l’exposition, cet été à Berne, Mme Widmer-Schlumpf prononce quelques mots de regret ou d’excuse, au nom des autorités fédérales, confesse Maja Baumgartner, coordinatrice de l’exposition.

Beaucoup de personnes concernées se trouvaient dans la salle. Elle ne l’a malheureusement pas fait, préférant se tourner vers l’avenir, la révision de l’Ordonnance fédérale de placement et l’importance du respect des droits des enfants. Est-ce la peur de voir un jour toutes ces victimes demander des réparations financières ? » L’avenir, oui. Mais, pour faire table rase du passé, il faut le connaître et en assumer la responsabilité. « Une étude scientifique d’envergure nationale reste à faire, canton par canton, pour connaître le nombre de personnes touchées par ces placements durant quarante ans. On peut estimer les cas à plusieurs centaines de milliers ; rien que le canton de Berne enregistre 30 000 enfants placés », poursuit Maja Baumgartner.

Oser témoigner ? Ce ne fut pas toujours facile pour ces adultes qui se sont battus pour se reconstruire ou construire sur ce calvaire enfoui. D’autres ont sombré dans l’alcoolisme, la dépression. Michel, 66 ans, placé avec ses cinq frères et sœurs à l’orphelinat de Courtelary (BE), a un frère à l’AI qui ne s’en est jamais remis. Ce d’autant que les garçons ont encore été victimes d’abus sexuels. Abandonnés puis abusés, l’ignominie la plus totale. « Je ne demande pas de réparations financières, juste la reconnaissance des faits et un petit mot d’excuse », explique-t-il. « Je voudrais juste recevoir une lettre avec l’écusson vaudois qui me dise : « Vous êtes des nôtres, M. Simonet, on s’excuse pour les souffrances que vous avez subies », déplore de son côté Gilbert, placé dans une ferme à Châtel-Saint-Denis pendant treize ans. Traité comme du bétail, abandonné de tous. Aujourd’hui, à 62 ans, cet employé postal a toujours le sentiment qu’on pourrait frapper à sa porte pour le déplacer. « Pouvoir acheter mon appartement, c’était extraordinaire. J’avais enfin quelque chose à moi, j’étais enraciné, on ne pouvait plus m’expulser ! »

Certes, l’époque a bien changé. Les théories de Piaget, l’émergence d’institutions pédagogiques comme l’Ecole Pahud, à Lausanne, ont fait découvrir l’importance du développement de l’enfant et la nécessité de lui offrir un cadre protecteur et aimant pour s’épanouir. « A l’époque, être fille-mère ou même divorcée, ne pas savoir gérer son argent suffisait pour qu’on vous enlève votre enfant à titre d’abandon moral », explique Maja Baumgartner. Gilbert a été enlevé à sa mère de force à la naissance. « Toute sa vie elle a dû payer à l’Etat les 40 francs de pension mensuels pour moi. J’ai pu la rencontrer à l’âge adulte, elle n’était pas responsable. »

A l’époque de l’enfant roi, difficile d’imaginer la souffrance et la solitude endurées par ces dizaines de milliers de gosses. « Aujourd’hui encore, sourit- il tristement, je cherche une réponse à cette question : comment a-t-on pu nous faire ça ? »

* Musée historique de Lausanne, place de la Cathédrale 4. Du mardi au jeudi, de 11 à 18 h ; du vendredi au dimanche, de 11 à 17 h. Jusqu’au 15 novembre. Site : www.enfances-volees.ch

imprimer

retour au site