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Un grain de café éthiopien dans la machine Starbucks

Le premier pays producteur d’Afrique brave le distributeur américain.


Par Virginie GOMEZ - mardi 8 mai 2007 - Addis-Abeba

Le café éthiopien n’est plus tout à fait soluble dans la marque Starbucks. Après deux années de conflits, le premier producteur de café d’Afrique et le géant américain du « Caffè Latte » ont fini par trouver un accord qui met fin à un conflit inédit dans la propriété intellectuelle : le combat d’un gouvernement du Sud contre une multinationale du Nord pour la labellisation d’espèces caféières afin de mieux valoriser une filière qui fait vivre 15 millions de personnes. L’affaire débute en 2005 dans ce pays parmi les plus pauvres d’Afrique dont le café est la principale ressource. Face à un marché dont les prix se sont effondrés, l’Office éthiopien de la propriété intellectuelle (Eipo) met au point une stratégie innovante : trois espèces uniques de cafés éthiopiens sont déposées sous forme de marques. Par ce biais, le prestige des cafés Yirgacheffe, Sidamo et Harar augmentera dans le monde entier et, avec lui, les revenus de la filière. Les marques sont enregistrées dans les pays consommateurs et une trentaine d’entre eux, dont le Canada, le Japon et l’Europe les reconnaissent progressivement. Addis-Abeba souhaite aussi faire bénéficier les distributeurs de licences gratuites par lesquelles ils s’engagent à vendre ces cafés sous leurs nouveaux noms de marques. Accord. Nouvelle icône planétaire d’une boisson en voie de mondialisation accélérée, Starbucks refuse. L’inventeur du Frappucino « ne veut pas reconnaître à l’Ethiopie la propriété de ses marques de café », constate l’Eipo et ne veut pas non plus d’accord de licence. A partir de 2006 la polémique enfle, le conflit fait les gros titres de la presse éthiopienne. Jusqu’en février dernier où la multinationale commence à infléchir ses positions. Starbucks annonce alors des mesures en faveur des producteurs d’Afrique de l’Est avant qu’un accord ne soit finalement trouvé en fin de semaine dernière sur la licence, la distribution et le marketing des trois marques éthiopiennes. Le retentissement mondial de la polémique, qui semble avoir pris au dépourvu la compagnie, n’est sans doute pas étranger au revirement de Starbucks. L’ONG Oxfam en a fait son cheval de bataille, incitant des dizaines de milliers de consommateurs à réagir. Il est vrai que, dix ans à peine après le début de son internationalisation, la puissance de la marque en fait un nouvel Hollywood de l’économie américaine. Starbucks dispose d’un réseau de distribution de 13 000 boutiques de par le monde et vise 40 000 magasins à terme. Chaque semaine, ce sont 44 000 habitués qui paient au prix fort des tasses de café sur lesquelles, selon Oxfam, les producteurs africains ne touchent que quelques cents. Et l’Eipo ne manque pas une occasion de rappeler que le chiffre d’affaires de Starbucks rivalise avec le PIB de l’Ethiopie. Bref, la relation entre l’Ethiopie et Starbucks est une illustration parfaite de ces règles injustes de la mondialisation que l’Afrique ne cesse de dénoncer. Elle menace d’autant plus l’image de la marque que celle-ci a bâti sa réputation sur le commerce équitable. Jurisprudence. Sur le refus initial de Starbucks, les explications divergent. « Les viticulteurs accepteraient-ils de vendre un dollar une bouteille de vin revendue 70 dollars dans le commerce ? » s’étonne Ron Layton de Light Years IP, une organisation basée à Washington qui a aidé l’Ethiopie à formaliser sa stratégie. « La marque est un moyen de répartir entre distributeur et producteur le profit lié au marketing. » Le pari éthiopien est donc un pari sur le développement de cafés grands crus reconnus mondialement. Pour Oxfam, Starbucks a eu peur que le cas de l’Ethiopie fasse jurisprudence, conduisant à terme à une augmentation générale des prix du café imposée par les pays producteurs. Après un long silence, les dirigeants de Starbucks se sont expliqués à Addis-Abeba. « Starbucks n’a jamais rien bloqué, nous respectons la démarche de l’Ethiopie », s’est justifié Alain Poncelet, directeur de Starbucks Coffee Trading Company. C’est « pour le bien des producteurs » que Starbucks rejette les marques au profit des appellations d’origine. Selon la compagnie, ces appellations ont fait leur preuve en Amérique latine, qui lorgne aussi le marché en expansion des cafés gourmets. Contrairement à la marque, qui n’est qu’un nom, l’appellation d’origine garantit une qualité, un processus de production et un terroir, plaide Starbucks. Publicité. Même si Starbucks n’achète que 6 % de son café en Afrique de l’Est, l’Ethiopie, patrie de l’arabica, espère ainsi gagner en crédibilité dans ce secteur porteur. En retour, le pays a besoin de Starbucks et de son immense clientèle pour la réussite de son projet. Seule certitude à ce jour, cette bataille caféière aura au moins apporté aux trois variétés éthiopiennes plus de publicité qu’elles n’en avaient jamais eu.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 8 mai 2007

 

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