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Sri Lanka : avec les enfants soldats rescapés de la guerre


Par Clémentine Mercier | Swissinfo.com | 12/07/2009 | De Ambepusse, Sri Lanka

Depuis 2003, l’Unicef a recensé plus de 6000 enfants soldats au Sri Lanka. Leur nombre était sûrement beaucoup plus élevé : la plupart des adolescents recrutés sont morts au combat…

Vinodhan (les prénoms ont été modifiés, ndlr) a 17 ans, il a passé quatre ans sur la ligne de front avec les tigres tamouls. Aujourd’hui, il nous raconte son histoire, naturellement, sans timidité :

« On était totalement sous le contrôle des chefs. Quand ils disaient “feu”, on tirait. C’est comme ça que j’ai vu 10 hommes tomber en face de moi sous mes balles. Après avoir tiré, je me sentais coupable d’avoir tué un homme. »

Nous sommes à Ambepusse, l’un des trois centres de réadaptation pour enfants soldats du Sri Lanka, en pleine jungle, à deux heures de route de Colombo, la capitale.

Le lieu n’a rien d’une colonie de vacances : l’encadrement est surtout composé de militaires, des hommes dans des guérites surveillent les environs et des barbelés entourent les 3 hectares du camp. Une centaine d’adolescents, filles et garçons, vivent actuellement à Ambepusse.

Notre visite a lieu un samedi matin, l’ambiance est à la détente. Les jeunes jouent au cricket et au volley. Un militaire s’est même joint à l’une des équipes. Pendant toute la durée du reportage, les responsables nous laissent libres d’interroger les adolescents. Leurs témoignages servent en effet le message du gouvernement : ils rappellent les atrocités commises par les tigres tamouls au cours de la guerre.

Une âme d’enfant

Vinodhan nous emmène dans les dortoirs : des baraques au toit en tôle, où se serrent une douzaine de lits. Le jeune homme a été enlevé de force à sa famille, alors qu’il n’avait que 13 ans et son seul rêve est de revoir les siens :

« Quand j’étais avec les Tigres tamouls, je passais mon temps à chercher une occasion pour m’enfuir… »

Après une attaque ratée, il réussit à leur fausser compagnie et se rend à l’armée. Depuis un an, il se trouve dans ce camp. Le garçon a le droit d’appeler ses parents une fois par mois. Comme pour tous les autres ex-enfants soldats, c’est le CICR qui a retrouvé sa famille dans un camp de réfugiés dans le nord du pays.

Selon la législation sri lankaise, les mineurs comme Vinodhan ne sont pas considérés comme des criminels, mais comme des victimes. Le Major Fernando, responsable de l’encadrement, explique :

« L’objectif du centre, c’est de les préparer à leur sortie. Le matin ils ont cours d’anglais, mathématiques et cinghalais, la principale langue du pays. Et l’après-midi, atelier couture, maçonnerie ou électricité. »

La durée de la réadaptation est jugée au cas par cas, en fonction des progrès et de l’environnement familial. En général, les adolescents partent au bout d’un ou deux ans.

Prisonniers du discours des chefs

Parmi les jeunes, nous apercevons deux garçons plus âgés, en attente d’un visa pour partir travailler en Malaisie ou dans les Emirats. Leurs noms de guerre : Seiko et Karen. Eux se sont engagés volontairement à l’âge de 13 ans et ont fait carrière dans la guérilla. Karen a 23 ans :

« D’anciens camarades de classe avaient été enrôlés quelques mois plus tôt. Un jour, ils sont venus dans mon école avec leurs uniformes et leurs fusils… C’est comme ça qu’ils m’ont donné envie de m’engager. ».

Son camarade Seiko, 27 ans :

« Pour moi, ça s’est passé pareil. Le commandant a passé un film devant ma classe, on y voyait tous les crimes commis par les Cinghalais, il nous a expliqué qu’on devait s’engager pour défendre notre culture. »

Les deux garçons ont servi sur le même front, participé aux mêmes batailles, avant de s’enfuir :

« Dans les zones contrôlées par les tigres, on n’avait ni télévision ni journaux. Nous étions prisonniers du discours des chefs. C’est seulement lorsque j’ai reçu la formation d’officier que j’ai eu le droit de regarder la télévision. J’ai découvert que Cinghalais et Tamouls vivaient en paix dans d’autres régions, à partir de là j’ai arrêté d’y croire et j’ai cherché à fuir. »

Un combattant par famille

Les tigres tamouls n’ont jamais caché qu’ils enrôlaient des enfants soldats -garçons et filles :

« Chaque famille devait donner un enfant, raconte Anushiwa, une jeune fille craintive. Moi, je les ai rejoint à 16 ans et comme ça ma sœur a pu rentrer à la maison. »

Selon ses dires, la règle a changé dans les derniers mois de la guerre :

« Vers la fin, ils recrutaient tous les adolescents qu’ils rencontraient, même s’ils étaient de la même famille. »

Parmi les 40 adolescentes accueillies à Ambepusse, certaines ont donc participé aux dernières heures des combats. A 17 ans, Puvitha, a été enlevée à sa famille en mars dernier :

« On a reçu une formation militaire de trois semaines avant d’être envoyés au combat. Des 950 jeunes envoyés se battre, seulement 150 sont revenus vivants ! »

Trop dangereux

Cette adolescente souriante a eu beaucoup de chance. La fin de la guerre civile sri lankaise a été particulièrement violente. Les organisations humanitaires accusent le gouvernement d’avoir bombardé en masse les quelques kilomètres carrés où s’étaient retranchés rebelles, civils et enfants soldats.

Même le délégué du CICR à Colombo - l’institution la plus mesurée dans ses propos - reconnaît que les derniers jours, ses employés n’ont rien pu faire :

« Les combats étaient trop intenses pour permettre à nos équipes de débarquer de la nourriture et d’embarquer des blessés. C’était même trop dangereux pour les équipes sur place de sortir de leurs abris… »

Aujourd’hui, la victoire contre les tigres tamouls a été officiellement déclarée. Les anciens enfants d’Ambepusse espèrent pouvoir reprendre une vie normale.


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 13 juillet 2009

 

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