Accueil >>  Et en Afrique, on dit quoi ?

Sous le couloir aérien de Roissy, l’enterrement de "X masculin N° 13/0824"

L’adolescent de 15 ans était mort congelé dans le train d’atterrissage d’un avion venu du Cameroun


LeMonde | 02.05.2013 - Par Benoît Hopquin

Quelqu’un, un être humain, a été enterré mardi 30 avril à Mauregard (Seine-et-Marne), une commune de 350 habitants jouxtant les pistes de Roissy. Il a été porté en terre dans un joli cercueil en chêne vernissé, avec d’élégantes poignées en cuivre. Il repose désormais entre la tombe d’un poilu "mort pour la patrie" en 1916 et un caveau de famille. Le cimetière est intime, propre, très bien entretenu. Une jolie sépulture a été commandée. Il ne manquera rien à ce mort. Juste un nom sur la stèle.

Peut-être aussi le calme. Le cimetière de Mauregard est survolé en continu par les avions qui atterrissent ou décollent, selon le sens du vent. C’est à bord de l’un d’eux qu’est venu du Cameroun cet inconnu, il y a trois semaines. Il espérait une vie nouvelle en France. Il n’aura même pas vu ce pays dont il rêvait. Son corps pétrifié a été découvert dans le train d’atterrissage d’un appareil de Camair-Co, le matin du 8 avril.

Le vol QC102 de la compagnie camerounaise venait d’arriver de Douala via Yaoundé. Un inspecteur effectuait un contrôle de routine sur le Boeing 767. Il a découvert le mort, son mètre soixante-quinze recroquevillé dans l’étroite soute.

CORPS GELÉ PENDANT LES SEPT HEURES DE VOL

L’enquête a été confiée à la Gendarmerie des transports aériens (GTA), plus précisément à la cellule d’investigation criminelle aéronautique de la section de recherche. En vain. "Le mort n’avait sur lui aucun élément d’identification, aucune adresse, pas même un mot pour expliquer ses intentions, expliquent les enquêteurs. Nous avons pris ses empreintes digitales, relevé son ADN mais il n’était pas inscrit dans nos fichiers." On ne sait donc rien de lui, de sa vie, ni des circonstances qui lui ont permis de s’immiscer dans l’avion. On suppose que le clandestin se serait introduit dans la soute du train d’atterrissage pendant l’escale à Yaoundé.

Une autopsie réalisée par l’Institut médico-légal de Paris a permis de déterminer que la victime était mineure. Le jeune homme avait entre 15 et 17 ans. Il est mort d’asphyxie, par manque d’oxygène à 9 000 mètres d’altitude. Il a dû être endormi par le froid, avant de mourir. Par -50 °C, le corps a ensuite été gelé pendant les sept heures de vol.

Les médias se sont fait brièvement l’écho de cette "macabre découverte dans un train d’atterrissage". Ce n’est malheureusement pas une première. "Cela arrive une ou deux fois par an mais cela faisait deux ans que nous n’avions pas eu de cas, constate un gendarme. C’est évidemment de la folie de faire ça. L’issue est fatale à chaque fois, mais cela n’empêche pas les gens de tenter leur chance." En 2007, le corps d’un jeune Egyptien, Ahmed Abou Shady, était tombé dans un jardin du Val-d’Oise quand le vol Air France où il s’était caché avait sorti ses roues.

LES RECHERCHES SE POURSUIVENT

Généralement, les corps sont identifiés et renvoyés à leur famille. Pas cette fois, donc. Des renseignements, notamment des photographies, ont été fournis à l’ambassade du Cameroun et à l’attaché de sécurité de l’ambassade de France à Yaoundé. La semaine dernière, une mère camerounaise a bien signalé la disparition d’un fils. Mais ce n’était pas la bonne personne. Les recherches se poursuivent mais peuvent être longues. En attendant, le permis d’inhumer a été délivré par le parquet des mineurs de Bobigny.

Mais où, exactement ? Personne ne peut nous renseigner à Aéroports de Paris. L’emprise de Charles-de-Gaulle couvre plusieurs communes. Selon la piste ou le terminal, la responsabilité administrative varie. On contacte la mairie de Roissy. "Non." Du Tremblay-en-France. "Non." De Gonesse. "Non." Du Mesnil-Amelot. "Non." De Mauregard, enfin. "C’est bien ici."

Une large portion des infrastructures se trouve sur cette vaste commune de Seine-et-Marne. Chaque année ou presque, l’état civil du village enregistre un décès survenu dans l’aéroport ou en vol. Plus rarement, hélas !, c’est une naissance. Mais Marion Blancard, maire depuis trois ans et conseillère depuis trente ans, n’avait jamais eu à enterrer comme cela un mort sans nom. "Il a le droit à un minimum de dignité", a tout de suite estimé l’élue. La municipalité a donc ménagé une place dans le cimetière, payé les frais d’inhumation et une belle gerbe de fleurs.

"DRÔLE DE DESTIN. PAUVRE GOSSE"

Marion Blancard était présente aux obsèques ce mardi, vers midi, avec une secrétaire de mairie, Edith Chalvin, et le responsable des services techniques, Christian Daussat-Daure. Un ouvrier qui réparait le mur du cimetière a respectueusement posé ses outils et s’est joint à l’assistance. Maigre cortège mais cortège tout de même. Manière de montrer que cet anonyme méritait tout de même un hommage. "Faut-il être au désespoir pour tenter un truc pareil, s’est lamentée Marion Blancard. Drôle de destin. Pauvre gosse." "Il faut n’avoir plus rien à perdre pour espérer que ça puisse marcher", a ajouté Edith Chalvin.

Devant le cercueil, le maître de cérémonie, Bruno Ravenet, a lu un poème, choisi dans un cahier ad hoc : "Une voix m’appelle, l’instant est venu / Il me faut partir, je ne peux rester / Dans ce monde-là auquel j’avais cru / Et qui brusquement m’a abandonné / Je vous laisse mes rires / Je vous laisse ma joie / Je ne vais plus souffrir / Alors souriez-moi." "J’ai une pensée pour lui et pour sa famille puisqu’il en a forcément une", a-t-il ajouté.

Les quatre employés des pompes funèbres de Goussainville ont ensuite mis le cercueil en terre. Sur la bière était vissée une plaque en cuivre où était écrit : "X masculin N° 13/0824" et une seule date : 2013. "On ne peut pas mettre ça sur la pierre tombale ", a estimé Marion Blancard. On s’est donc mis d’accord sur une formule plus élégante à graver dans la pierre : "Inconnu sauf de Dieu." Puis trois fossoyeurs ont rebouché le trou.

Photos : (c) Artinian / Contact Presse Image


VOIR EN LIGNE : Le Monde
Publié sur OSI Bouaké le mercredi 5 juin 2013

 

DANS LA MEME RUBRIQUE