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Sierra Leone : les people au secours de la justice internationale


Mediapart - 10 Août 2010 - Par Thomas Cantaloube

Il est facile d’ironiser sur l’aspect télé-réalité des témoignages de Naomi Campbell et de Mia Farrow devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) à La Haye (Pays-Bas). On peut aussi regretter qu’il faille attendre que des people soient convoqués à la barre (et livrent des récits contradictoires), pour que le monde s’intéresse à un procès majeur, en cours depuis deux ans, celui de Charles Taylor, l’ancien président du Liberia accusé de crimes contre l’humanité. Il n’en demeure pas moins que le témoignage de l’ex-mannequin et les souvenirs de l’actrice américaine sont des éléments cruciaux pour l’accusation et, au-delà, dans la dénonciation de la manière dont les guerres africaines sont menées avec le soutien de riches occidentaux. Et si, en plus, la touche glamour apportée par Campbell et Farrow permet de faire de la publicité à l’action du Tribunal spécial, cela est toujours bon à prendre.

Charles Taylor fait partie des pires bouchers de l’Afrique post-coloniale. Chef de guerre devenu président du Liberia en 1996, il a mené ses affaires de manière brutale et sanglante. Viols, massacres, enrôlement d’enfants, pillages, mutilations, esclavagisme... Il n’y a pas beaucoup d’exactions qui ne soient pas couvertes dans les onze chefs d’inculpations révélés par le TSSL en 2003. Mais ces accusations concernent exclusivement les agissements de Taylor et de ses affidés au Sierra Leone, pas au Liberia. Et c’est là que l’affaire des diamants pour lesquels Naomi Campbell témoigne devient important.

Non content de mener une guerre cruelle ayant fait des centaines de milliers de morts au Liberia, Taylor a débordé sur le Sierra Leone voisin, en appuyant le Front révolutionnaire uni (Revolutionary United Front-RUF) dans une campagne de terreur et de pillage, dont le but premier était le contrôle des zones diamantifères. Ces fameux « diamants de sang » (blood diamonds), excavés par des populations réduites au rang d’esclaves, puis exportés illégalement hors du pays afin d’être revendus en Occident, ont formé le nerf des guerres libériennes et sierra-leonaises. Le prix de ce trafic a permis d’acheter des armes pour ces conflits, et de garnir les comptes en banque des chefs de guerre et de leurs intermédiaires (dont le célèbre trafiquant Viktor Bout).

Charles Taylor a toujours nié être intervenu au Sierra Leone, indirectement ou pas, et a toujours affirmé qu’il n’avait jamais touché à un seul diamant. Sachant que toutes les violences sont solidement documentées, tout l’enjeu du procès devant le TSSL est d’établir un lien direct entre Taylor et ce qui s’est déroulé sur le terrain. Jusqu’ici, les juges ont recueilli de nombreux témoignages de victimes et de participants au conflit – beaucoup accusant l’ex-président, quelques-uns le disculpant – mais le récit impliquant Naomi Campbell et Mia Farrow représenterait une forme de connexion directe entre Taylor et les diamants, et donc son implication au Sierra Leone.

L’enjeu de la traçabilité des diamants

En 1997, Nelson Mandela reçoit chez lui, au Cap, une dizaine d’invités pour célébrer l’ouverture d’un train de luxe sud-africain. Parmi les convives, on trouve le producteur musical Quincy Jones, le politicien et joueur de cricket pakistanais Imran Khan et sa femme Jemima, les acteurs Tony Leung et Mia Farrow, le mannequin Naomi Campbell, et Charles Taylor, alors président du Liberia, dont la réputation de chef sanguinaire est déjà bien établie. Au lendemain du dîner, selon le témoignage de Mia Farrow, Campbell se vante d’avoir reçu un énorme diamant de la part de Taylor, avec qui elle avait flirté lors de la soirée. L’ancien agent du mannequin, Carole White, a confirmé également cette version, parlant de plusieurs diamants bruts, apportés au milieu de la nuit par des hommes de Taylor. Naomi Campbell, devant le tribunal, a affirmé ne pas savoir d’où venaient ces pierres, qu’elle avait ensuite données à une ONG sud-africaine, qui les avait à son tour remises à la Justice. Selon elle, c’est Mia Farrow qui a fait le lien entre les diamants et Taylor.

La fameuse soirée de 1997 avec Mandela (au centre), Taylor et Campbell à sa gauche et Mia Farrow à droite en robe rouge et noire© DR

Après deux jours de dépositions contradictoires à La Haye, les faits exacts de cette soirée de 1997 n’ont pas été établis avec certitude, même si l’ombre de Taylor plane au-dessus de ces pierres. L’accusation saura peut-être se servir de cet élément, qui illustre à merveille comment deux des plus sanglants conflits africains ont pu perdurer : grâce à l’exportation illégale de diamants bruts. Car si Naomi Campbell a pu être la récipiendaire d’un simple présent, des milliers d’autres pierres précieuses ont servi directement à alimenter le conflit. Longtemps, les diamantaires, dont la plaque tournante se situe à Anvers, ont préféré fermer les yeux sur leur provenance. Ce n’est qu’à partir des années 2000, sous la pression de certaines ONG, qu’ils ont entrepris de garantir la traçabilité de leurs pierres. Depuis 2003, le Processus de Kimberley est censé garantir que les diamants exploités par la cinquantaine de pays signataires ne proviennent pas de zones de conflits. Mais, aujourd’hui, certaines associations dénoncent le laxisme entourant le respect de ce texte : « Tout porte à croire que le Processus de Kimberley, conçu pour mettre un terme aux “diamants de guerre” et en prévenir la réapparition, est sur la voie de l’échec », avance la revue annuelle sur les diamants et la sécurité humaine.

Si les témoignages de Mesdames Campbell et Farrow permettent de faire avancer le procès de Charles Taylor – le deuxième de ce genre jamais entrepris, le premier contre Slobodan Milosevic s’étant achevé par la mort en cellule de l’accusé avant la fin de la procédure –, ce sera assurément une bonne chose. Mais s’ils permettent aussi de rappeler la complicité des Occidentaux – en particulier de ceux assez riches et puissants pour s’offrir ou se faire offrir un diamant – dans le financement des conflits africains, les vedettes n’auront alors pas démérité.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 11 août 2010

 

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