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Liberia : comment j’ai rencontré les enfants soldats


Par Frédérique Drogoul | Médecin psychiatre | 07/04/2008

Liberia, fin 2003 : plus de cent mille combattants sont désarmés par les contingents des Nations unies ; parmi eux, 20% de femmes et 20% de mineurs. Ils doivent être réintégrés dans un pays ruiné et détruit par quinze années de guerre.

Tribunal spécial pour la Sierra Leone, janvier 2008 : le procès de Charles Taylor, ancien président du Liberia, reprend après des mois d’une interruption consacrée à sa défense.

Que dira-t-il, durant son procès, de ces Small Boy Units, ses gardes préférés, des gosses de huit huit ans dont il vantait les talents de tueurs ? Et que sont devenus ces enfants ?

Ces sont les questions que je me posais en arrivant au Liberia fin 2004. J’avais pour charge de construire puis de coordonner un programme de santé mentale, en lien avec les actions de soins de santé primaire développés par l’ONG Médecins du monde dans la région de Gbanka (Gbarnga) (située au centre nord du Liberia, au croisement des routes vers la Côte d’Ivoire et la Guinée, cette région, le Bong County, est l’ancien fief de Charles Taylor).

Accompagner le retour dans la communauté des hommes

C’est une équipe libérienne, deux hommes et quatre femmes, qui a conduit ce travail. Ils ont apporté leur intime connaissance de la langue, de la culture et de la guerre, pour construire avec l’aide des deux spécialistes françaises que nous étions, Emilie Meideros et moi-même, un programme de santé mentale modeste, mais qui a tenté de se situer au plus près des besoins repérés et des réponses possibles. Un des volets a concerné 160 jeunes démobilisés, en apprentissage professionnel dans le cadre du DDRR (désarmement, démobilisation, réintégration et réinsertion).

Pendant des mois, l’équipe a été là, pour soutenir ces 160 jeunes, garçons et filles, en les aidant à mettre des mots sur leurs difficultés actuelles, et en les accompagnant dans ce difficile processus qu’a été pour eux le retour dans la communauté des hommes. Au-delà de leurs parcours dans les forces armées, effroyables pour beaucoup, c’est à leur enfance avant leur enrôlement qu’il fallait aussi réfléchir, pour les aider à penser leur avenir.

Il est apparu clairement que leurs histoires d’enfance avant la guerre étaient déterminantes, alimentant la détresse actuelle des plus nombreux, celle de retrouver un statut d’indésirable, celui de ces « disowned children » déjà rejetés par leurs communautés et qui avaient rejoint les factions armées pour trouver une famille.

Le défi des actions de santé mentale, c’est de rendre possibles des rencontres singulières, celles qui peuvent faire du lien, du sens, du soin, et qui dureront le temps qu’il faut. Ce défi, sur un terrain humanitaire, impose donc d’adapter, avec modestie, nos connaissances occidentales à des cultures et des contextes complexes, chaque fois différents. Et pour cela, il fallait rassembler une petite équipe de Libériens, et cheminer avec elle, en s’appuyant sur son savoir culturel et social, sur les savoir-faire issus de ses expériences passées, sur leur éprouvé personnel et collectif de ces années de guerre. Apprendre les uns des autres, aller vers ceux qui ne demandent rien, réfléchir ensemble à ce qui peut être fait.

Pendant trois ans, par des séjours fréquents, j’ai travaillé à leurs côtés avec un immense plaisir. C’est l’histoire de notre aventure, et de la rencontre avec un groupe de jeunes « ex-fighters », comme on dit au Liberia, que j’ai eu envie de raconter aux lecteurs de Rue89.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 30 juillet 2008

 

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