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Le projet de loi sur les soins psychiatriques suscite une forte opposition


LeMonde.fr | 04.03.11

La pétition a recueilli plus de dix-sept mille signatures, vendredi 4 mars. Parmi lesquelles, celles de personnalités comme l’ancien ambassadeur Stéphane Hessel, le sociologue Edgar Morin ou le magistrat Serge Portelli. Toutes dénoncent un projet de loi qui prévoit "un traitement sécuritaire des malades mentaux". A l’initiative de la pétition, le Collectif des trente-neuf contre la nuit sécuritaire, un groupe de professionnels et d’usagers de la psychiatrie.

Leur appel, relayé lundi par une tribune dans Libération, dénonce un projet de loi sur les soins psychiatriques. Adopté le 26 janvier en conseil des ministres, il doit être débattu en séance publique à partir du 15 mars à l’Assemblée nationale, date à laquelle le collectif prévoit de manifester devant le Palais-Bourbon.

Le projet de loi dénoncé par la pétition s’inscrit d’abord dans un contexte politique. Après un fait-divers largement médiatisé, le meurtre d’un étudiant à Grenoble par un malade mental en fuite en 2008, Nicolas Sarkozy réclame une réforme des soins psychiatriques. Une étape dans le discours du politique sur la santé mentale : c’est alors que le Collectif des trente-neuf se forme et s’indigne du "virage sécuritaire" d’un président qui "assimile la maladie mentale à une supposée dangerosité".

OBLIGATION DE SOINS

Complexe, le texte repose sur une mesure centrale : le passage de l’hospitalisation d’office aux "soins sans consentement sur décision du représentant d’Etat". S’il est aujourd’hui possible d’imposer l’hospitalisation à un malade, les soins à domicile deviendraient également contraignants. Cette obligation pourra être présentée, selon le projet de loi, après une observation en hôpital de trois jours, contre vingt-quatre heures aujourd’hui. En cas de non-suivi des soins, une nouvelle hospitalisation sera alors imposée.

"C’est de la garde à vue", estime Yves Gigou, un des porte-parole du Collectif des trente-neuf au sujet des soixante-douze heures d’observation. "C’est la stigmatisation de la maladie mentale pour faire peur au gens", explique l’infirmier à la retraite. Surtout, le collectif dénonce le principe de la contrainte, qui rompt, par définition, le consentement et la confiance, nécessaires à la thérapie.

Autres dérives possibles selon Yves Gigou : "retrouver des malades hospitalisés pour des périodes plus longues", avec l’obligation de retour à l’hôpital dans le cas de non-suivi des soins. Ou encore la sur-utilisation des médicaments pendant les traitements à l’hôpital. "Avec cette loi, on a aussi peur que les patients se cachent, ce qui augmenterait leur dangerosité", explique Yves Gigou.

INTERVENTION DU JUGE

Guy Lefrand, député UMP et rapporteur de la loi, rejette ces critiques et évoque au contraire "un renforcement du droit des patients". Le texte prévoit en effet l’intervention automatique d’un juge des libertés après quinze jours d’hospitalisation. Un changement introduit dans le texte à la demande du Conseil constitutionnel.

Guy Lefrand souligne également la troisième mesure fondamentale du projet de loi : le "risque grave d’atteinte à l’intégralité du malade". Il s’agit de la possibilité d’hospitaliser, sur décision du corps médical, un malade qui ne représente pas un trouble pour l’ordre public. Aujourd’hui, l’accord d’un tiers est nécessaire, ce qui représente un frein à la prise en charge, selon Guy Lefrand, lorsque l’aidant se sent menacé ou quand le malade est à la rue, sans liens familiaux. En France, près de soixante-dix mille patients ont été hospitalisés sans leur consentement en 2008, ce qui représente un quart des hospitalisations psychiatriques.

"MIEUX DEHORS QUE DEDANS"

Ceux qui travaillent auprès des malades relèvent la complexité à légiférer sur l’obligation de soins. Carmen Delavaloire, à la tête de sept groupes d’entraide mutuelle, des centres qui offrent un espace d’activités et de réinsertion aux anciens patients, condamne un projet de loi qui "porte atteinte à la liberté" avant de reconnaître le bien-fondé de l’obligation de soins dans certains cas. "On remarque que lorsque l’hospitalisation des soins est forcée, il y a plus d’échecs (...), mais quand une personne est dans une situation de crise, l’obligation de soins peut être indispensable et nécessaire pour protéger la personne, l’entourage et la société", admet l’éducatrice spécialisée.

Pour Guy Lefrand, cette loi doit avant tout faciliter la sortie du patient de l’hôpital : "L’obligation de soins existe déjà, sauf qu’elle a lieu à l’intérieur de l’hôpital. Or, le patient sera désormais en liberté." Un changement accueilli avec soulagement par les familles, souvent démunies face aux malades après leur retour dans la cité.

"On trouve que les malades sont mieux dehors que dedans", estime Jean Canneva, président de l’Union nationale de familles et amis de malades psychiques (Unafam). En faveur de la loi "en principe", il s’interroge cependant sur la possibilité d’appliquer les nouvelles mesures.

"UN GRAND PLAN POUR LA SANTÉ MENTALE"

Interventions de juges et d’équipes soignantes alors que magistrats et personnels hospitaliers dénoncent le manque de moyens de leurs institutions, la mise en œuvre de la loi fait débat. "Evidemment, l’intervention du juge n’est pas simple à mettre en place", admet Guy Lefrand. Des solutions sont donc envisagées : la visioconférence ou encore le déplacement du juge lorsqu’il doit statuer sur de nombreux cas.

Guy Lefrand comme Yves Gigou évoquent la nécessité "d’un grand plan de la santé mentale". Alors que le nombre de lits en hôpital psychiatrique a été réduit de moitié en vingt ans, ce plan devrait s’occuper du problème du manque de moyens des services psychiatriques et du déficit de formation des infirmiers. Un plan dont l’urgence évoquée par les professionnels se mesure à ce chiffre de l’Organisation mondiale de la santé : la dépression sera la première cause de handicap   d’ici à 2030. Flora Genoux


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 7 mars 2011

 

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