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La lutte contre le sida en Afrique, une responsabilité partagée


La Croix - 9 octobre 2012 - Michel Sidibé, directeur exécutif d’Onusida   au siège de la MGEN, le lundi 8 octobre :

« Ne peut-on pas considérer l’accès aux médicaments essentiels contre le sida   comme un bien public ? »

« Le monde a changé. On ne peut plus dire, dans la lutte contre le sida  , l’argent est dans une partie du monde, les problèmes sont dans une autre. L’économie s’est transformée. Les pays émergents doivent devenir des acteurs de l’aide. En Afrique aussi, les dirigeants doivent entrer dans la logique d’une responsabilité partagée« .

Michel Sidibé est l’un des principaux responsables internationaux de la lutte contre le sida  . Directeur exécutif de l’Onusida  , l’organisation des Nations Unies qui anime le combat contre cette épidémie, ce Malien joue notamment un rôle de sensibilisation très important en Afrique, le continent le plus touché.

En interaction avec le Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme et l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ), son organisation produit des informations stratégiques, mobilise des compétences techniques et anime le plaidoyer mondial pour accélérer la prise de conscience des enjeux. Sous-secrétaire général de l’ONU  , ce parfait francophone participait lundi soir à une conférence débat organisée par l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN).

« Il y aujourd’hui un vide politique dans la lutte contre le sida  « , s’est inquiété lundi soir Michel Sidibé devant un auditoire d’une soixantaine de personnes réunies dans un amphithéâtre au siège de la MGEN. « La France, qui avait assuré dès les années 1990 un leadership dans ce combat, peut jouer un rôle critique dans cette période charnière. J’ai invité François Hollande à s’engager dans cette voie. Car il ne faut pas perdre le mouvement et les avancées obtenus : l’accès universel aux traitements ; la mise sous traitement précoce des personnes infectées, qui permet de baisser de 96 % le taux de mortalité ; et le reflux de la transmission du virus de la mère à l’enfant, dont on peut espérer qu’elle n’aura plus court en 2015« .

« Les programmes sont trop dépendants de l’aide extérieur »

« Il faut surtout commencer à parler de nouveaux aspects prioritaires« , poursuit-il. « Les programmes sont aujourd’hui trop dépendants de l’aide extérieure : 90 % des malades en Afrique sont sous traitement grâce à des financements venant du Nord. Autre dépendance, celle par rapport à l’Inde : 85 % des malades sous traitement le sont avec des médicaments produits dans ce pays« .

« 6 ou 7 millions de personnes vivent avec des génériques venant d’Inde »

« Une des mes craintes est que l’Inde, soumise à de rudes pressions de la part des Européens qui veulent préserver leurs industries pharmaceutiques, ne soit plus capable de produire des médicaments contre le sida   à cause de provisions lui retirant l’accès à l’information sur la fabrication générique des molécules« , explique le directeur exécutif d’Onusida  , qui occupe cette fonction depuis 2008. « J’ai rencontré le ministre du commerce indien qui m’a assuré que son pays ne cèderait pas sur ce point. C’est fondamental : il y a 6 ou 7 millions de vies en jeu, des gens qui vivent grâce à ces génériques venant d’Inde« .

« Créer des partenariats entre le Nord, l’Inde et des pays africains »

« La plupart des malades sont traités avec des médicaments de première génération« , ajoute-t-il. « Ceux-ci sont de bonne qualité mais leur toxicité peut entraîner des problèmes rénaux, des problèmes au foie, et des formes de démence. Les traitements de 3° génération , eux, coûtent 30 000 dollars par personne et par an ! À l’Onusida  , nous cherchons les moyens de dépasser cette discrimination par l’argent, notamment par des partenariats entre des firmes pharmaceutiques du Nord, des firmes de l’Inde, et des pays africains où pourraient être produits des génériques de qualité. Sachant qu’il ne faut par étouffer les efforts de recherche développement des firmes du Nord qui permettent de produire des molécules moins toxiques« .

« L’Afrique doit mobiliser des ressources internes »

« L’Union africaine s’est dotée d’une nouvelle feuille de route afin d’accélérer les progrès des ripostes au VIH  , à la tuberculose et au paludisme« , rappelle Michel Sidibé. « Il s’agit notamment de trouver comment mobiliser des ressources internes pour la prise en charge des traitements longue durée. Il n’est plus possible de se dire que lorsqu’une personne en Afrique commence un traitement, l’argent nécessaire viendra pendant 30 ans du Nord. »

« La question de la gouvernance doit être examinée »

« L’Union africaine examine aussi les moyens de renforcer les systèmes de santé, de développer de nouveaux cadres d’investissement et de créer des plateformes industrielles sur le continent pour développer une production médicale locale« , poursuit-il. « La question de la gouvernance, de la transparence et de l’obligation de rendre des comptes sur l’usage des fonds alloués est également examinée ».

« Garantir une meilleure évaluation des résultats »

« Trop souvent en Afrique, l’architecture financière n’est pas adaptée : les transferts sont trop lents jusqu’à la base. La capacité de gestion publique est insuffisante, » ajoute le sous-secrétaire général de l’ONU  . « Pour être sur dans le futur d’utiliser au mieux les ressources mises à disposition, il faudra garantir une bonne hiérarchisation des besoins, une meilleure allocation et une meilleure utilisation de l’argent, et une évaluation des résultats qui impliquent les médias, les parlements, la société civile« .

La lutte contre l’homophobie

Un autre axe de travail, en Afrique notamment, est développée par Onusida   : la lutte contre l’homophobie. « Dans 78 pays, il existe des lois pénalisant l’homosexualité, explique Michel Sidibé. « Du coup, les personnes concernées ne se font pas connaître alors que le taux de prévalence des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes est très nettement supérieur à celui du reste de la population« .

« Ma mère m’a demandé : alors tu es homosexuel ? »

« Onusida   a mis en place une commission mondiale contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle« , souligne-t-il. « C’est un travail en profondeur car les questions de sexualité sont imprégnées de facteurs culturelles. Moi en tant que Malien, je constate combien il est difficile d’en parler dans mon pays. Un jour où j’avais fait un plaidoyer à la télévision, ma mère m’a demandé, quand je suis passé la voir : « alors, tu es devenu homosexuel » ?« .

« En Tunisie, la révolution de la dignité doit être pour tous »

« Récemment, je suis allé en Tunisie« , raconte-t-il encore. « J’ai rencontré le premier ministre qui a découvert que 13 % des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes dans son pays étaient séropositifs. Or 70 % d’entre eux ont aussi des relations avec des femmes. Je lui ai dit que dans son pays où il y avait eu une révolution pour la dignité, ces personnes devaient pouvoir exister et se soigner en toute dignité ».

« Il est important de travailler étroitement avec les Églises »

Michel Sidibé a répondu à une question sur les méthodes de prévention, notamment l’usage du préservatif, sujet sur lequel l’Église catholique a un discours différent du sien. « J’ai eu la chance de rencontrer une fois le pape et je suis allé deux ou trois fois au Vatican« , souligne-t-il. « Nous travaillons étroitement avec les Églises. Nous ne sommes pas d’accord sur tout. Mais il est important de négocier avec les forces religieuses les espaces qui nous permettent d’oeuvrer ensemble. Leurs réseaux représentent parfois de 40 % à 50 % des services de soins dans une région« .

« Huit millions de personnes sous traitement »

Alors que les épidémies de sida   sont encore loin d’être enrayées, notamment en Afrique, en Europe de l’Est – y compris la Russie – et en Asie centrale, le directeur exécutif d’Onusida   se félicite néanmoins des formidables progrès accomplis. « Il y a aujourd’hui dans le monde 8 millions de personnes sous traitement, c’était inimaginable il y a dix ans« , insiste-t-il. « Les fonds mobilisés sont passés de 300 millions de dollars autour de l’an 2000 à 16 milliards de dollars par an aujourd’hui. Trente-trois pays ont stabilisé l’épidémie et 25 l’ont fait reculer« .

« En Afrique du sud, une des plus grandes campagnes de dépistage au monde »

Parmi les pays où une forte prise de conscience a conduit à des politiques publiques très volontaristes, Michel Sidibé cite le Malawi et l’Afrique du sud, où le président Jacob Zuma a succédé en 2009 à Thabo Mbeki qui niait farouchement la réalité du sida   dans son pays. « Avant, on n’osait pas y parler du sida  . Aujourd’hui, c’est un pays où il y a l’une des plus grandes campagnes de dépistage au monde« , souligne-t-il.

« L’épidémie progresse toujours. Chaque jour, en moyenne, il y a mille morts dus au sida   en Afrique du sud et 1500 nouvelles infections. Mais un budget de 1,3 milliard de dollars y est désormais consacré chaque année à la lutte, dont 80 % à 85 % vient du budget national« .

« Une mobilisation plus grande en Afrique anglophone »

Michel Sidibé devrait profiter du sommet de la francophonie à Kinshasa du 12 au 14 octobre pour sensibiliser les États de l’Afrique francophone. « Il y aujourd’hui une mobilisation plus grande contre le sida   en Afrique anglophone« , regrette-t-il. « Certes, en Afrique francophone, l’épidémie n’a pas été aussi violente qu’en Afrique australe, où son ampleur a permis de briser la conspiration du silence. Les responsables politiques ne se laissent souvent convaincre que quand l’épidémie atteint une grande magnitude. Or il faut aussi raisonner en tendance. »

« La force de la société civile »

« La force la plus importante réside dans la société civile« , conclut le secrétaire général adjoint de l’ONU  . « C’est elle qui fait pression sur les politiques pour qu’ils s’emparent du sujet. Les jeunes, notamment, refusent d’être des bénéficiaires passifs et canalisent la révolution de la prévention. »


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 11 octobre 2012

 

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