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Kenya : Les répercussions de la crise dans l’ensemble de la région


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Nairobi, 6 février 2008 (Irin)

Les troubles qui agitent le Kenya menacent les opérations humanitaires et commerciales dans l’ensemble de la région des Grands Lacs, risquant ainsi d’affecter plus de 100 millions de vies, selon les analystes.

Des pénuries de carburant et autres produits essentiels ont notamment été constatées au Sud-Soudan, en Ouganda, au Burundi, au Rwanda et dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) en raison du climat d’insécurité qui règne le long de la section kényane du Couloir Nord, l’un des principaux axes de transport d’Afrique. Cette route part du port de Mombasa, au Kenya, pour se diriger vers l’ouest en traversant l’Ouganda et la région des Grands Lacs.

De toutes les organisations humanitaires, c’est le Programme alimentaire mondial (PAM), chargé de nourrir sept millions de personnes vulnérables en Afrique de l’Est et dans la région des Grands Lacs, qui se trouve confronté au problème le plus épineux.

« Le PAM est extrêmement inquiet car le Kenya n’approvisionne pas uniquement le Kenya. Il approvisionne une grande partie de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique centrale, à la fois par le biais du commerce et des exportations de vivres, et à travers l’aide humanitaire. C’est un problème très préoccupant », a déclaré à IRIN Peter Smerdon, porte-parole du PAM. 

« Nous devons nourrir sept millions de personnes chaque mois et notamment 250 000 personnes [déplacées à l’intérieur du Kenya par les violences post-électorales] de plus que notre nombre de bénéficiaires habituel. Nous avons besoin d’une ligne d’approvisionnement continue ».

« Si les routes sont bloquées pendant une ou deux semaines, cela va nous poser un vrai problème. Nous devrons peut-être commencer à reporter les distributions alimentaires. On peut s’attendre à ce que les populations [n’aient plus rien] à manger si le réseau routier est bloqué pendant plusieurs semaines », a-t-il prévenu.

Le Couloir Nord, qui s’étend sur plus de 1 400 kilomètres, est le plus grand axe routier d’Afrique ; emprunté chaque jour par 4 000 véhicules légers, 1 250 camions et 400 bus, il permet d’acheminer plus de 10 millions de tonnes de marchandise par an. Quant au PAM, il achemine plus de 1 000 tonnes de vivres au départ de Mombasa chaque jour de l’année, selon Alistair Cook, coordinateur logistique. « Le PAM doit assurer que ce couloir reste opérationnel, sinon des centaines de milliers de réfugiés vont mourir de faim », a-t-il averti.

Itinéraires d’approvisionnement alternatifs

M. Cook s’est attaché à trouver un autre itinéraire, qui consisterait à acheminer la marchandise par camion de Mombasa à Dar es-Salaam en Tanzanie. De là, elle serait ensuite transportée sur 980 kilomètres par voie ferrée jusqu’à Isaka, près de Mwanza, dans le nord-ouest de la Tanzanie, où le PAM a plusieurs infrastructures de stockage et moulins.

Les vivres pourraient ensuite être transportés vers le nord par bateaux sur les eaux du lac Victoria jusqu’à Port Bell en Ouganda, d’où ils pourraient être acheminés par camion jusqu’au Sud-Soudan et en RDC. Autrement, il est également possible de les transporter par voie routière d’Isaka jusqu’au point de passage de Rusomo, à la frontière rwandaise. De là, des routes mènent au Burundi et en RDC.

« Des mesures sont en train d’être prises pour renforcer les différentes composantes de ce couloir alternatif. C’est compliqué et cela demande beaucoup de coordination, mais c’est faisable », selon M. Cook.

Toujours d’après M. Cook, parce que l’acheminement par voie ferrée est moins onéreux que le transport par voie routière, ces itinéraires alternatifs ne coûteraient pas plus cher au PAM. 

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a pour sa part préféré rediriger une partie de ses approvisionnements - de sorte qu’ils soient désormais acheminés à travers l’Ouganda - plutôt qu’attendre une amélioration de la situation de sécurité au Kenya. L’agence importe de l’acier de Dubaï pour la construction d’un pont à Enyau, dans le district d’Ajumani, situé dans le nord de l’Ouganda. Ce pont permettra aux réfugiés soudanais de rentrer chez eux.

Emprunter l’itinéraire tanzanien « coûtera environ 20 pour cent plus cher, car cela demande plus de carburant et de logistique », selon Roberta Russo, porte-parole du HCR en Ouganda. Le programme du HCR au Sud-Soudan dépend dans une bonne mesure du Kenya comme source d’approvisionnement et en tant qu’étape de son itinéraire de transport. Vingt camions de rapatriement attendent l’autorisation de se rendre de Nairobi jusqu’en Ouganda.

« Si la situation ne s’améliore pas, le Sud-Soudan commencera à être touché parce qu’ils ne seront plus en mesure d’acheter ce dont ils ont besoin dans le cadre des projets de réinsertion », a expliqué Millicent Mutuli, porte-parole régionale du HCR. L’agence onusienne cherche déjà des remplaçants ougandais à ses fournisseurs kényans.

Protéger les convois

Néanmoins, de nombreuses agences humanitaires et de nombreux commerces n’ont pas les ressources financières et logistiques nécessaires pour pouvoir changer d’itinéraires et de fournisseurs. Après avoir reçu Eriya Kategaya, vice-Premier ministre ougandais, le gouvernement kényan a accepté, le 31 janvier, d’assurer que les camions qui quittent Nairobi, la capitale, pour se rendre à la frontière ougandaise, à l’ouest, soient escortés par l’armée. Le premier convoi a été escorté avec succès : 400 camions sont arrivés à destination sans encombre le 1er février sous la protection des hélicoptères, des jeeps et des camions de l’armée kényane.

En revanche, ce système de convoi risque de ne pas suffire à satisfaire les besoins du PAM. En effet, les convois du PAM peuvent être composés de 800 camions. « C’est une question de capacité. Nous sommes inquiets à l’idée que ce système de convois puisse limiter la quantité de vivres transportés », a indiqué M. Smerdon.

La situation de sécurité pourrait également s’aggraver au Kenya. « Si l’on en revient à une escalade de violences comme ce fut le cas mardi [29 janvier, journée marquée de troubles après le meurtre de Melitus Were, député de l’opposition, à Nairobi], ce sera tout à fait impossible, même en présence de l’armée », a estimé M. Cook.

Trois camions du PAM ont été endommagés ou pillés par la foule à des barrages routiers improvisés, dont la plupart se situaient dans la vallée du Rift. Au cours du dernier incident de ce type, un camion a été pris d’assaut à un barrage routier, au sud d’Eldoret, le 31 janvier. Son pare-brise a été brisé et les vivres qu’il transportait ont été volés.

Lignes d’approvisionnement en carburant

Outre l’aide alimentaire, le carburant est le produit le plus important pour les voisins enclavés du Kenya. Des barils de pétrole brut sont expédiés par bateaux jusqu’à Mombasa ; ce pétrole est ensuite raffiné, avant d’être acheminé à Nakuru, Eldoret et Kisumu. Il est ensuite transporté par camion jusqu’en Ouganda, puis vers d’autres pays de la région des Grands Lacs.

Pour se procurer le 1,75 million de litres de diesel et d’essence qu’il consomme chaque jour, l’Ouganda doit recevoir quotidiennement 35 camions chargés de carburant, en provenance du Kenya. Les pénuries ont fait grimper le prix du carburant et cette hausse des coûts s’est répercutée sur les consommateurs.

Andrew Luzze, responsable des politiques de l’Association des fabricants ougandais, a expliqué à IRIN que les prix des trajets en taxi ou en bus avaient doublé depuis que l’approvisionnement en carburant en provenance du Kenya avait été perturbé. Selon M. Luzze, le prix des denrées alimentaires de base, telles que les matokes [bananes], le poisson, les pommes de terre, le maïs, la farine et la viande de bouf, a augmenté d’environ 15 pour cent.

« Nous sommes préoccupés, surtout dans le secteur des transports. Les routes sont le principal moyen de transport en Ouganda. La distribution interne de marchandises sur le marché est fortement entravée. Les entreprises ougandaises vendent leurs marchandises au Rwanda, au Congo [RDC] et au Soudan. Or, elles ne peuvent pas livrer de marchandises à leurs clients en raison [de la pénurie de] carburant », a-t-il expliqué.

La hausse du prix du diesel, passé de 1 800 shillings ougandais (1,05 dollar américain) à 2 400 shillings ougandais (1,40 dollar américain) le litre le 31 janvier, contribue aussi à faire augmenter les coûts de fabrication.

« La plupart des industries ougandaises utilisent des générateurs, [le réseau électrique] étant rarement fiable et de mauvaise qualité. Toute hausse du prix du diesel entrave donc la production », a expliqué M. Luzze.

Celles qui utilisent des matières premières, telles que le blé ou le plastique, importées du Kenya ont été particulièrement touchées. « Certaines entreprises ont cessé leurs activités du fait de la pénurie de matières premières. Vous finissez par payer de la main-d’ouvre qui ne fait plus rien », a expliqué M. Luzze.

Les exportations agricoles, essentiellement le café, de même que le thé et le poisson, représentent 30 pour cent du PIB de l’Ouganda. Or, presque aucun de ces produits périssables n’a pu être acheminé hors du pays, notamment depuis que les assureurs ont refusé de couvrir les transporteurs qui se rendent au Kenya.

Dans l’ensemble de la région, les agriculteurs qui produisent pour les marchés nationaux subiront des pertes si la crise kényane n’est pas résolue.

« Ce sont des pays agricoles qui ont besoin de transporter des biens et des personnes d’un endroit à l’autre. Dire que les cultures sont déjà en train de pourrir dans les champs serait une exagération, mais si [la pénurie de carburant] se poursuit pendant six à huit semaines de plus, cela sera du domaine du possible », a estimé Kwame Owino, économiste à l’Institut des affaires économiques de Nairobi. Comme l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi sont extrêmement dépendants des exportations agricoles, en particulier du café.

« Ils ont un tas de marchandises qui attendent d’être transportées à Mombasa pour y être expédiées par bateaux. Certaines industries, particulièrement celles qui s’occupent de poisson et d’autres produits périssables, ont tout simplement été contraintes de cesser leurs activités », a rapporté Steven Smith, président de l’Association des fabricants kényans, qui fait pression sur le gouvernement pour qu’il rétablisse l’ordre dans le pays.

L’impact sur la Somalie

Si l’acheminement de l’aide vers la Somalie n’a pas été interrompu, le matériel arrivant par voie maritime, les projets ont tout de même été perturbés car la plupart des organisations dirigent leurs opérations somaliennes de Nairobi.

« Un grand nombre de nos employés sont kényans et [la crise] sape le moral de tout le monde, sans parler du fait que certains de nos employés kényans ont été directement touchés et ont dû déménager pour s’installer dans des zones plus sûres. En plus, alors que la crise d’urgence se poursuit en Somalie, nous devons penser à des plans d’urgence pour nos bureaux kényans. Cela contribue à solliciter davantage nos ressources humaines, déjà débordées », a indiqué Paul Daniels, assistant du directeur de CARE Somalie.

De plus, l’oil de la communauté internationale étant braqué sur le Kenya, la Somalie et les autres régions en crise retiennent moins l’attention des médias.

« La Somalie est frappée par une crise majeure. La situation est assez tendue au Burundi, dans l’est du Congo et dans le nord de l’Ouganda. Nous allons avoir un problème en termes de plaidoyer, pour pouvoir assurer la médiatisation continue des autres pays. Certains fonds [versés par les bailleurs et] destinés aux autres pays risquent également d’être réaffectés au Kenya », a déploré Pierre Gelas, conseiller régional en gestion des catastrophes pour les Nations Unies.


Publié sur OSI Bouaké le dimanche 10 février 2008

 

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