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Des dispositions renforçant la propriété intellectuelle dans certains accords de l’UE menacent l’accès aux médicaments dans les pays pauvres


24 February 2009 by David Cronin for Intellectual Property Watch

Bruxelles - Selon certains activistes de la santé publique mondiale, les efforts de l’Union européenne (UE  ) pour intégrer des dispositions sur les brevets pharmaceutiques dans un certain nombre d’accords de libre échange en cours de négociation pourraient mettre en péril l’accès aux médicaments dans les pays en développement.

Dans le cadre de négociations commerciales menées avec la Colombie, l’Inde, le Pérou et un groupement régional d’Asie du sud-est, les représentants européens ont suggéré que les fabricants de médicaments bénéficient d’un solide régime de propriété intellectuelle. Pendant de longues périodes, les autorités de régulation nationales des pays concernés n’auraient pas le droit d’utiliser les données fournies par une entreprise détenant un brevet sur un médicament dans le but d’autoriser la fabrication d’une version générique de ce dernier.

D’après les recommandations de la Commission européenne, cette période « d’exclusivité des données » pourrait durer jusqu’à 11 ans dans le cas de la Colombie et du Pérou.

Une telle disposition « aurait un effet désastreux sur l’accès aux médicaments et à la santé en général dans notre région », a déclaré Germán Holguín, directeur de l’organisation colombienne Misión Salud.

Selon lui, si la proposition est mise en application dans le cadre d’un accord de libre échange, l’offre de médicaments à des prix abordables dans les pays andins serait considérablement réduite. Les médicaments génériques étant en moyenne quatre fois moins chers que les médicaments de marque et, dans certains cas, trente-cinq fois moins chers, M. Holguín pense que toute mesure visant à restreindre leur disponibilité aurait de « terribles conséquences » dans une région où la pauvreté est généralisée.

« Cet accord entre l’Union européenne et nos pays pourrait donner lieu à beaucoup de souffrances et à de lourdes pertes en vies humaines, a-t-il ajouté. Nous ne devons pas faire d’erreur car le problème est effectivement très grave. Nous ne nous attendions pas à un traitement aussi grotesque et insultant de la part de la Commission européenne ».

D’après M. Holguín, les normes de propriété intellectuelle que la Commission souhaite établir sont plus exigeantes que celles que les États-Unis voulaient inclure dans leurs accords de libre échange avec les pays d’Amérique latine ces dernières années. Des études menées en Colombie en 2007 ont permis d’établir que l’approche privilégiée par les négociateurs commerciaux américains pouvait entraîner une hausse du prix des médicaments d’au moins 46 % et coûter 1 milliard de dollars de plus par an à la Colombie en dépenses de santé publique.

Une analyse détaillée des nouvelles propositions de la Commission européenne démontre que ces dernières vont au-delà des exigences de l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC).

L’auteur de l’analyse [pdf] (en anglais), Xavier Seuba, de l’université Pompeu Fabra de Barcelone, a observé que l’Accord sur les ADPIC laisse aux gouvernements nationaux une certaine flexibilité quant à l’application des règles de propriété intellectuelle aux médicaments. Pour leur part, les propositions de la Commission préconisent « un encadrement strict et extrêmement précis des mesures et des actions que les États doivent adopter et mettre en application en matière de propriété intellectuelle », a-t-il expliqué.

M. Seuba s’est également montré inquiet à l’idée que les saisies de médicaments par les autorités douanières se fassent plus fréquentes si l’UE   intègre des clauses sur la propriété intellectuelle dans les accords de libre échange qu’elle signe avec des pays extérieurs.

Une saisie de ce type a été opérée le mois dernier, lorsque les autorités du port de Rotterdam ont retenu un chargement de Losartan, un médicament contre l’hypertension, qui avait été expédié d’Inde par bateau à destination du Brésil. Bien que le Losartan soit un médicament générique autorisé, la saisie a eu lieu après qu’une entreprise anonyme a prétendu détenir le brevet pour ce dernier aux Pays-Bas.

M. Seuba a affirmé que le projet d’accord de libre échange dont les représentants européens débattent avec la Colombie et le Pérou permettrait aux entreprises pharmaceutiques de faire obstacle au transport de médicaments génériques dans de nombreuses situations. Une fois de plus, a-t-il ajouté, l’UE   cherche à aller au-delà de l’Accord sur les ADPIC, qui limite considérablement le recours à des saisies de biens contrefaits et non celles de médicaments génériques.

« La proposition faite par l’UE   à la communauté andine autoriserait un titulaire de droits à bloquer l’importation, l’exportation, la réexportation, l’entrée ou la sortie de biens soupçonnés d’enfreindre des droits de propriété intellectuelle sur le territoire douanier », a expliqué M. Seuba lors d’une réunion au Parlement européen le 17 février. « Il s’agit-là d’un élargissement considérable des mesures requises, qui accorde un pouvoir démesuré aux titulaires de droits, lesquels seront en mesure de retenir les marchandises de leurs concurrents sous prétexte qu’elles enfreignent peut-être un droit de propriété intellectuelle ».

Les négociations commerciales entre l’UE   et la Colombie et le Pérou ont été entamées en 2006. Au départ, la Bolivie et l’Équateur (deux autres pays de la communauté andine) avaient pris part à ces discussions. Cependant, après que les gouvernements de gauche de ces deux pays ont fait part de leur malaise quant aux mesures préconisées par la Commission, cette dernière a annoncé fin 2008 qu’elle ne poursuivrait les négociations qu’avec la Colombie et le Pérou.

Evo Morales, le président bolivien, a déclaré que la décision de l’UE   affaiblirait l’intégration régionale dans la communauté andine. Dans une lettre envoyée à la Commission européenne le mois dernier, M. Morales a déclaré que plutôt que de libéraliser totalement ses relations commerciales avec l’UE  , la Bolivie préfèrerait un accord commercial d’un montant moindre qui « ne limiterait pas notre droit à définir nos politiques nationales sur des questions aussi importantes que les investissements, les services, la propriété intellectuelle et les marchés publics ».

Serge Le Gal, porte-parole de l’UE  , a nié l’idée selon laquelle la Commission tenterait de semer la discorde entre les différents membres de la communauté andine. Au sujet des tensions politiques entre le gouvernement colombien, qui suit une approche très néolibérale de la politique économique, et les gouvernements à tendance plus socialiste d’Amérique latine, M. Le Gal a demandé : « Est-ce la faute de la Commission ? Nous devons faire des choix et aller de l’avant ».

Proposition de l’UE   concernant l’Asie

Les propositions que la Commission a préparées pour ses négociations avec l’Inde et les dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) comportent des clauses sur l’exclusivité des données comparables à celles recommandées pour le Pérou et la Colombie. Cependant, dans le cas de l’ANASE, la durée exacte de la période d’exclusivité souhaitée par la Commission n’a pas encore été stipulée. Le texte (en anglais) de la proposition de l’UE   est consultable ici.

Comme l’a signalé Alexandra Heumber, de l’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF  ), toute tentative visant à limiter l’utilisation des médicaments génériques porterait préjudice aux personnes nécessitant des antirétroviraux (ARV  ), les médicaments les plus utilisés dans le traitement du VIH  /sida  .

Comme on le sait, certains patients développent une résistance aux ARV   traditionnels. Les médecins sont donc obligés de prescrire une nouvelle catégorie de médicaments appelés « de deuxième intention », a-t-elle ajouté. En Thaïlande, ces médicaments peuvent coûter jusqu’à vingt-deux fois plus cher que les ARV   traditionnels.

Les pays à revenu moyen, comme la Thaïlande, sont pris à un double piège, a-t-elle affirmé. En raison de la capacité de production dont ils disposent, ils subissent d’énormes pressions de la part des entreprises pharmaceutiques, appuyées par le gouvernement américain, pour renforcer la protection de la propriété intellectuelle ».

« En parallèle, a-t-elle expliqué, ils sont considérés comme des marchés émergents avec de riches élites, représentant des marchés lucratifs, et ils sont exclus des politiques tarifaires préférentielles accordées aux pays les moins développés. La réalité, néanmoins, c’est que le VIH  /sida   est une maladie qui touche essentiellement les pauvres. Les services de santé dans ces pays ne sont pas en mesure de payer les prix élevés demandés par les entreprises pharmaceutiques ».

La fédération européenne des industries et groupements pharmaceutiques (European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations), un groupe parapluie protégeant les fabricants de médicaments de marque, n’a souhaité faire aucun commentaire à ce sujet.

[Mise à jour : le Centre Sud a publié un avertissement (en anglais) à l’intention des pays d’Afrique les prévenant que la signature d’accords de partenariat économique avec l’Union européenne pourrait présenter plus d’inconvénients que d’avantages et émettant des recommandations pour les négociations. En outre, l’organisation Trade Law Centre for Southern Africa (en anglais) a annoncé que la commissaire européenne au commerce, Catherine Ashton, devait se rendre au Botswana cette semaine dans le cadre de négociations commerciales.]

Traduit de l’anglais par Griselda Jung

Avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie.


Publié sur OSI Bouaké le mardi 24 février 2009

 

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