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Congo / Vivre sur le dos des orphelins

Brazzaville et ses orphelinats de misère


Par Jean-Valère Ngoubangoyi (Syfia) - mardi 22 février 2005

Les orphelinats se multiplient à Brazzaville plus souvent pour ramasser de l’argent que pour assurer un avenir aux enfants de la rue ou abandonnés. Dans une parcelle crasseuse, à Kinsoudi, un quartier sud de Brazzaville, une quinzaine d’enfants de 7 à 15 ans, malpropres, visiblement mal nourris et non scolarisés, chantent. Ce sont les nouveaux pensionnaires d’un orphelinat de fortune, récemment créé par un ancien immigré refoulé des Pays-Bas pour trafic de drogue. Pensionnaire d’un autre orphelinat privé, Sainte Claire, à Poto-Poto, un quartier nord de la capitale du Congo, Silao s’exclame : “ Ici, si tu ne sais pas bouger, tu vas souffrir. On ne mange que du riz ”. Le reste, il déclare le trouver en allant “ se débrouiller dans la rue ”.

Grégoire Yambomba, directeur de l’orphelinat Amurt, situé boulevard des Armées à Brazzaville et qui compte vingt d’enfants, confirme que “ dans nombre d’orphelinats, les enfants sont abandonnés à eux-mêmes et obligés de sortir le matin pour aller mendier et ne rentrer que le soir ”. “ Pourtant, continue-t-il, le rôle d’un orphelinat est de donner de l’affection aux enfants, de faire attention à leurs comportements et de se battre pour leur insertion dans la vie active ”.

Le Programme mondial alimentaire (Pam), qui est le plus gros donateur de ces structures, s’inquiète aussi du bon usage de ses fonds. Il y a quelques semaines, une de ses missions a effectué une tournée dans ces centres. Elle a non seulement déploré l’état dans lequel se trouvent certains établissements, mais a aussi stigmatisé les comportements de leurs responsables et menacé de “ couper les vivres aux faux orphelinats ”. Ce phénomène qui, jusque-là, n’attirait pas l’attention des décideurs a retenu celle de Marcel Mbani, le ministre de la Jeunesse. En décembre, il a fait savoir qu’il serait nécessaire “ d’être plus regardant sur ce secteur pour voir qui peut réellement ouvrir un orphelinat ”.

Charité manipulée “ Le drame, c’est que les dons sollicités par les responsables de ces centres n’arrivent jamais aux enfants ”, s’indigne Sœur Claire Couët, une religieuse catholique française, qui connaît bien la situation pour avoir déjà été abordée par des promoteurs douteux. Elle raconte qu’une fois, “ une femme dont le mari est un homme politique est venue demander un million de francs Cfa parce qu’elle avait construit quelques morceaux de murs au sein d’une église à Bacongo, (un quartier sud de la capitale, Ndlr). En réalité, il n’y avait pas plus de trois enfants ”. Sœur Claire explique que les autres soi-disant pensionnaires sont ramassés dans la rue et habillés de tee-shirts juste à l’occasion de visites organisées pour de potentiels bailleurs de fonds. Elle ajoute que lorsqu’elle était en congé en France, en août dernier, elle a été obligée de “ dissuader une association caritative française qui voulait envoyer de l’argent à cette dame qu’elle croyait compétente et de bonne foi ”.

À la Caritas, une organisation catholique de charité, on s’est aperçu que les dons étaient revendus sur les marchés de Brazzaville. “ Certains orphelinats acceptent beaucoup d’enfants, sachant que plus le nombre de leurs pensionnaires est grand, plus ils reçoivent de dons. Ils les revendent ensuite et empochent l’argent ”, précise Ferdinand Malonga, coordonnateur du projet de distribution des vivres à Caritas Brazzaville.

Riches des relations qu’ils tissent et des sous qu’ils amassent, certains responsables n’ont qu’un rêve : voyager voire émigrer. Ils écrivent fréquemment des lettres aux organisations caritatives européennes ainsi qu’à des prêtres italiens, suédois ou français pour décrocher un voyage et ne plus revenir. “ Avec le peu que je trouve ici, je dois aussi songer à réaliser certains projets plutôt que de m’occuper uniquement des orphelins. Je dois partir en Europe pour chercher de grands moyens qui me permettront de construire un grand centre d’accueil pour enfants ”, clame Rockman en brandissant son billet d’avion Air Gabon pour la France.

Un nombre croissant d’orphelins Le regain d’intérêt pour ces établissements est encouragé par un nombre croissant d’orphelins et d’enfants de la rue. Une enquête lancée par l’Association panafricaine Thomas Sankara et réalisée par une Ong congolaise, l’Union pour l’étude et la recherche sur la population et le développement (Uerpod), indique qu’en 2000, Brazzaville comptait plus de 1000 enfants de la rue. Et leur nombre est en constante augmentation du fait des divorces et des décès des parents lors des guerres que le pays a traversées durant cette décennie. À cela s’ajoutent, selon le rapport 2004 du Conseil national de lutte contre le sida  , quelque 70 000 orphelins du sida   répartis dans tout le pays. Le nombre d’orphelinats, à Brazzaville même, a quasiment doublé passant d’une dizaine en 1997 à plus de vingt à ce jour. Pourtant, l’avenir de leurs pensionnaires reste bien souvent incertain.“ Nombre de patrons de ces centres sont soit des anciens membres des Ong de droits de l’homme soit ceux qui voulaient en créer à un moment où tout le monde croyait que les Ong des droits de l’homme étaient de véritables machines à sous ”, confie Ivan Kibangou Ngoy, président de la Licose, Ong congolaise des droits humains et de la bonne gouvernance. Rares sont les centres d’accueil sérieux. Celui de Sainte-Thérèse est parmi ceux qui forcent la considération. Basé à Mpila, au nord-est de la ville, il n’héberge qu’une douzaine d’enfants. “ Je crois que pour créer une structure de ce genre, explique Thérèse Ngayolo, qui a quitté sa congrégation pour se consacrer à ce centre, il faut avoir une vocation. Il faut aimer les enfants pour qu’ils soient presque une famille.


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 24 avril 2005

 

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