Accueil >>  Psychologie géopolitique >>  "Nous professionnels de la psychologie et de la psychiatrie"

Bernard Golse - L’appel des appels, Le point de vue d’un pédopsychiatre universitaire


Mots-Clés / France / Psy

Texte rédigé pour le site internet de « L’appel des appels » - 2009

A propos de la crise, Jacques Julliard, dans son éditorial du numéro du « Nouvel observateur » de la dernière semaine de janvier 2009, parle d’un « monde fou, cupide, indécent et irresponsable ». Ce jugement me semble à reprendre, mutatis mutandis, à propos de ce qui se passe aujourd’hui dans le champ de la santé mentale et de la psychiatrie. Il y a quelques années déjà, Jean-Yves Labareyre nous avait bien montré comment la demande du socius avait beaucoup changé à l’égard de la pédopsychiatrie, au cours des deux ou trois dernières décennies. La politique de secteur s’essouffle quelque peu, la notion de sujet s’estompe passablement ainsi que la référence à la question de la souffrance psychique. Désormais, on parle plus de la société qui a peur des enfants qu’elle fait naître que des enfants qui ont peur de la société dans laquelle ils vivent … Quelques réflexions semblent donc s’imposer.

A propos du contexte thématique général de la Psychiatrie infanto-juvénile

On assiste en effet, sans exhaustivité aucune :

  • A la relance forcenée de la prédiction au détriment de la prévention dans le but implicite d’exclure plutôt que d’aider
  • A une attaque en règle contre la maternelle (d’où la disparition, paradoxalement inquiétante, du débat sur la scolarisation précoce) et à la mort annoncée des RASED (Réseaux d’Aide Spécialisée aux Enfants en Difficulté)
  • A une absence navrante d’authentique politique en matière de petite enfance, comme en atteste le contenu pervers et désastreux du récent rapport dit « Rapport TABAROT » visant, de fait, à une déqualification progressive et programmée de tous les professionnels de la petite enfance
  • A la triste et progressive réduction de la filiation à sa seule composante biologique
  • A la médicalisation de la délinquance et à la neurologisation des troubles des apprentissages qui mènent inéluctablement à la biologisation de la politique au sens large du terme
  • A une lourde menace, enfin, qui pèse sans conteste sur l’avenir des sciences humaines au sein des futurs formats de recherche qui se profilent dangereusement.

A propos de l’exercice de la pédopsychiatrie en milieu hospitalo-universitaire

Plusieurs facteurs empoisonnent l’atmosphère :

  • Les mirages de l’évaluation au détriment des prises en charge, soit la prime accordée à une clinique de l’instant (synchronique) aux dépens d’une véritable clinique de l’histoire (diachronique), ce qui pose désormais de véritables problèmes en termes de politique de service
  • L’effort de plus en plus obsessionnel fait pour repérer les enfants les plus performants (tels les enfants précoces) au mépris de l’étayage des plus vulnérables, ce qui soulève la question du juste et délicat équilibre à trouver entre éthique du savoir et éthique du sujet
  • Le triomphalisme de la recherche appliquée à court terme en défaveur d’une recherche clinique digne de ce nom et centrée sur la qualité des prises en charge à long et moyen terme, lesquelles devraient amener à considérer le coût de la politique de santé non pas en termes de dépense, mais en termes d’investissement
  • Le poids du lobbying pharmaceutique tel qu’il se manifeste par exemple, dans le champ de l’hyperactivité ou dans celui de la prescription des neuroleptiques de troisième génération, lobbying qui risque d’amener la pédopsychiatrie de notre pays à se calquer sur les pires défauts de la pédopsychiatrie anglo-saxonne, et à entraver massivement la liberté d’enseignement des pédopsychiatres comme l’est déjà, en partie, celle des psychiatres d’adultes
  • Le culte enfin de la pseudo-expertise en toute chose, de la rapidité (pour ne pas dire de la précipitation) et du résultat normatif ou adaptatif qui ne peut que priver, à terme, les patients et leurs familles d’une authentique approche psychopathologique.

Quelques remarques alors …

  • La pédopsychiatrie se doit de refuser fermement et définitivement tout cynisme économique, et tout bling-bling conceptuel donc occasionnel
  • Rappelons-nous que si selon M. FOUCAULT, la délinquance justifie les forces de l’ordre, tout se passe aujourd’hui comme si la souffrance psychique ne légitimait pas, ou plus, l’existence des psychiatres, des psychologues et des psychanalystes, car nous vivons actuellement sur le fond d’un déni pur et simple de la maladie mentale, au profit d’une vision sécuritaire du fonctionnement social
  • Soulignons également que la normalisation par l’état s’appuie, en fait, sur nos propres clivages individuels qui nous font lutter contre l’idée d’un continuum entre le normal et le pathologique, continuum cher à Georges CANGUILHEM . Le fou n’est pas un extra-terrestre. Il y a aussi des parties folles ou bizarres en chacun de nous, mais le dialogue est difficile entre nos parties saines et nos parties les plus archaïques, si l’on veut les désigner ainsi. La normalisation par l’état se fonde tout naturellement sur notre peur d’écouter ces parties étranges, cet étranger qui nous habite(nt) à notre propre insu, et il y a là un véritable danger qui menace tous les acquis de la réflexion psychopathologique qui a pourtant permis, au cours du siècle dernier, de considérer enfin le fou non pas comme un ennemi a priori, mais comme un sujet à comprendre et à entendre au même titre que certaines parties de nous-mêmes.

Conclusion

Au terme de ces quelques lignes imprégnées de colère, il importe de rappeler que la pensée a horreur d’elle-même, et que de ce fait, nous n’avons de cesse de nous attaquer à ce que nous avons pourtant de plus précieux. Il existe, partout et toujours, une sorte de consensus anti-complexité entre le grand public et les média, car la complexité nous confronte immanquablement à la souffrance, à la sexualité et à la mort. D’où la nécessité de lutter sans relâche pour préserver l’axe psychopathologique de nos réflexions théorico-cliniques en matière de troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, car c’est seulement ainsi que nous saurons garantir le respect, la dignité et la liberté que convoque tout naturellement le fait humain. Certains de mes collègues diront sans doute que je tiens, là, un discours démagogique Tant pis, et il est clair qu’on ne saurait plaire à tout le monde. Je ne peux dire que ce que je crois et que ce que je ressens, et si cela détonne aujourd’hui au sein des CHU, et bien tant pis, ou surtout tant mieux ! J’en suis, en réalité, heureux car c’est toujours du décalage, des plis et des froissements qu’émerge pleinement la liberté de penser.

Adresse-contact

  • Pr Bernard GOLSE
  • Service de Pédopsychiatrie
  • Hôpital Necker-Enfants Malades
  • 149 rue de Sèvres, 75015 Paris
  • Tél : 01 44 49 46 74
  • Fax : 01 44 49 47 10
  • Mail : bernard.golse@nck.aphp.fr

VOIR EN LIGNE : Appel des appels
Publié sur OSI Bouaké le samedi 9 janvier 2010

 

DANS LA MEME RUBRIQUE