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Avenirs humanitaires (première partie) : « Une complexité exponentielle »

Pour en finir avec l’urgence chronique


New-York, 25 juillet 2008 (IRIN)

Nous sommes en 2018. La Corne de l’Afrique est accablée par une crise majeure qui mêle à la fois la sécheresse et d’importantes migrations de population, au désespoir des communautés urbaines. Or, la région ne dispose guère de filets de protection pour faire face à cette situation.

[Ceci est la première partie d’une série de deux articles spéciaux publiés par IRIN sur le risque et les interventions humanitaires à l’avenir]

Dans le même temps, un grave séisme vient de toucher la Californie, sur la faille de San Andreas. Les agences gouvernementales et les organisations non-gouvernementales (ONG) américaines ne savent déjà plus où donner de la tête.

Mais grâce au plan de contingence lancé 10 ans plus tôt, un réseau a été créé, renforcé par l’innovation et la participation de nouveaux acteurs, qui permettra de porter secours à la Corne de l’Afrique.

En effet, les ONG travaillent déjà avec un partenaire différent, la diaspora africaine d’Europe et d’ailleurs, en vue de renforcer un système destiné à protéger des populations autrement démunies. Dans le cadre d’une nouvelle forme de collaboration avec le secteur des entreprises, les sociétés mettent la main à la pâte pour protéger leurs intérêts.

Telle est la vision du Humanitarian Futures Programme (HFP) du King’s College de l’Université de Londres, qui vise à améliorer la réflexion stratégique des organisations humanitaires en prévision de crises futures, plus incertaines, plus dynamiques et plus complexes.

Planifier 15 ans à l’avance, un impératif

Randolph Kent, directeur du HFP et ancien coordinateur humanitaire des Nations Unies en Somalie, est profondément convaincu du fait qu’en termes de prévoyance et de plans d’urgence, les humanitaires devraient prévoir leurs interventions 15 ans à l’avance, voire plus.

M. Kent a récemment assisté à un « laboratoire d’innovation », au Massachusetts Institute of Technology (MIT), aux Etats-Unis.

« Je peux vous assurer que ce à quoi les organisations humanitaires ne pensent peut-être pas (mais à quoi elles devraient penser) est exactement ce à quoi pense le secteur des entreprises et qu’il fait très, très bien », a-t-il expliqué à IRIN. « On ne peut pas prédire l’avenir, mais on peut être sensible à la dynamique du changement et bien plus sensible à ce qui pourrait advenir, et dans un sens, cela demande toute une construction institutionnelle que les Nations Unies doivent envisager ».

Les agences des Nations Unies font partie des organisations avec lesquelles le HFP collabore.

« Ce n’est pas Nostradamus. Il ne s’agit pas uniquement de situations sinistres. Ce qui est tellement sensationnel, à notre époque, c’est que nous avons l’occasion (scientifique, technologique et socioscientifique) de trouver une innovation qui pourra et devra être appliquée à notre manière de penser, dans le futur », a expliqué M. Kent.

L’exemple du Myanmar

La vague de destruction provoquée par le cyclone qui s’est abattu sur le Myanmar en mai est un exemple récent de cas où une telle stratégie aurait pu être utile.

Ben Ramalingam est directeur du service de recherche et développement de l’Active learning network for accountability and performance in humanitarian action (ALNAP), un forum inter-organisations international qui s’efforce d’améliorer la qualité de l’action humanitaire.

Selon lui, deux évidences étaient bien connues au sujet du Myanmar : d’une part, la vulnérabilité des régions du delta en Asie du Sud et d’autre part, l’aversion du gouvernement militaire envers les étrangers.

« On savait que beaucoup d’organisations internationales attendaient depuis des années d’être autorisées à se rendre au Myanmar », a-t-il expliqué à IRIN. « Les agences et les ONG auraient très bien pu se préparer pour une éventualité de ce type en cherchant à nouer des partenariats avec les organisations locales, étant donné que les organisations locales et asiatiques, elles, ont pu se rendre dans le delta ravagé de l’Irrawaddy [ou Ayeyarwady] ».

L’une des prémisses du HFP repose sur la complexité exponentielle des crises à venir, surtout à l’époque du réchauffement climatique.

« Il n’y aura que peu, voire pas, de crises humanitaires dont les dimensions ne seront pas simultanées, multiples, en cascade ou mondiales-locales », selon un rapport. « L’agent de crise humanitaire unique, encore cité dans une bonne partie des reportages publics actuels, et même reflété, dans une certaine mesure, dans les activités de préparation et d’intervention des organisations humanitaires, est une caractéristique qui appartient de plus en plus au passé ».

Les « moteurs » des crises

En Afrique de l’Est, divers « moteurs » de crise ainsi nommés doivent être pris en compte dans les plans de contingence pour l’avenir, et notamment : les conflits internes et interétatiques, essentiellement en Ethiopie, en Erythrée, au Kenya, au Soudan et en Somalie, qui provoquent la destruction à grande échelle des moyens de subsistance ainsi que des déplacements de population ; la détérioration de l’environnement due à la croissance démographique ; les problèmes d’eau, notamment les sécheresses et les crues ; et les épidémies et les maladies provoquées par le changement climatique.

Le HFP prévoit qu’au moins 17,4 millions d’habitants de la région seront touchés par un ou plusieurs de ces « moteurs » en 2010, et 26,1 millions en 2015, contre une moyenne annuelle de 11 millions sur la période 2000-2005.

En Afrique australe, le programme prévoit une poursuite de la croissance démographique, qui aboutira à une concurrence accrue pour l’exploitation des eaux du bassin du Zambèze, que se partagent l’Angola, le Botswana, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe, où les sécheresses et la détérioration des terres sont désormais plus fréquentes, face à une demande toujours plus importante en irrigation.

Quant aux autres régions, elles se trouvent également confrontées à des problèmes semblables.

« Au vu de ces transformations, il est d’autant plus surprenant que certaines des organisations les plus importantes actuellement responsables de prévenir les types de défis humanitaires prévus pour l’avenir, de s’y préparer et d’intervenir ne le font pas », a estimé le HFP.

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est une des organisations régionales avec lesquelles HFP travaille dans le cadre de son initiative de planification stratégique à long terme ; avec la CEDEAO, le HFP étudie les réseaux de cours d’eau et observe ce qui se passe lorsqu’un pays décide de construire un barrage sur un cours d’eau qui constitue l’unique accès à l’eau d’un autre pays.

« Dans le cadre de son mandat commun, la CEDEAO est tenue de traiter à la fois les questions humanitaires et le maintien de la paix ; comment, dans cette situation, peut-elle se mettre à traiter ces types de problèmes, compte tenu du changement climatique et de tout un ensemble de facteurs susceptibles d’aboutir à une crise qui risque de troubler la paix ? », a demandé M. Kent.

Le HFP, partenaire de 16 organisations

Le HFP collabore avec 16 organisations, dont trois organes régionaux comme la CEDEAO, trois organisations multilatérales telles que le Bureau pour la prévention des crises et le relèvement, du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD-BCPR), quatre ONG, telles que BRAC, du Bangladesh, et l’International Council for Voluntary Agencies, et six gouvernements dont ceux du Danemark, de la Norvège, de la Suède, du Royaume-Uni et des Etats-Unis.

Avec le PNUD-BCPR, il mène un projet de recherche sur la République centrafricaine. Dans le domaine de la conception de scénarios, le programme demande à des participants de concevoir ce que l’avenir sera, à leur avis, sur une période de 10 à 15 ans, puis d’envisager leurs capacités structurelles et opérationnelles actuelles, afin de déterminer les changements à apporter pour faire face à cet avenir.

Selon les recommandations formulées dans un rapport rédigé pour le compte du Centre américain d’études stratégies et internationales (CSIS), le gouvernement devrait chercher à créer des structures onusiennes d’intervention humanitaire qui soient plus efficaces par le biais d’un système d’alerte précoce intégré, à assigner à l’avance les rôles des intervenants dans les domaines de vulnérabilité prédéterminés, et à créer un entrepôt virtuel qui recenserait l’ensemble du matériel de secours mondial.

« En collaborant très étroitement avec eux [les partenaires du HFP], nous espérons trouver un processus, une méthodologie, des techniques, des outils qui permettront à la communauté humanitaire dans son ensemble d’avoir une meilleure capacité d’anticipation et d’adaptation à l’avenir », a déclaré M. Kent. « La difficulté consistera à faire en sorte que cette communauté pense en termes de vulnérabilité [future] ».

« C’est toujours le même débat, "Oh, c’est très académique, tout ça. Moi, je suis là pour sauver des gens" », a-t-il noté. « Ce que je veux dire, c’est que si vous êtes vraiment là pour sauver des gens, commencez à travailler et à faire preuve d’un esprit plus stratégique dans votre façon d’envisager l’avenir ».

« Les choses et les dynamiques sont en train de changer et la façon traditionnelle qu’a la communauté de penser à ces choses, de s’y préparer, d’en débattre, devient de plus en plus hors de propos », a-t-il ajouté, en concluant néanmoins que « les gens sont de plus en plus réceptifs. D’une manière ou d’une autre, le message est en train de passer ».

Imaginer des scénarios pour l’avenir

World Vision International, une organisation de secours humanitaire et d’aide au développement à but non-lucratif, a déclaré qu’elle envisageait déjà avec bien plus d’intérêt la dimension future de son travail.

« Nous venons de nommer un directeur responsable du changement climatique », a indiqué à IRIN Mark Janz, directeur du service de planification humanitaire. « Nous prévoyons de faire preuve d’une plus grande capacité d’adaptation et d’anticipation ».

L’organisation Oxfam a pour sa part expliqué qu’elle ne se focalisait pas uniquement sur l’élaboration de plans de contingence, mais qu’elle tentait aussi de convaincre d’autres organismes d’en faire autant.

« Ce qu’on essaie de faire à présent [à Washington], c’est de veiller à ce que ces fonds issus du CAP [Processus d’appel consolidé] et du système des échanges américains, qui pourraient littéralement générer des milliards de dollars -payés par les responsables du problème du changement climatique- permettent d’aider les communautés à s’adapter, à l’avenir, aux causes liées au changement climatique », a déclaré Paul O’Brien, directeur de l’équipe chargée de s’assurer de l’efficacité de l’aide humanitaire à Oxfam Amérique.

« Nous tentons de faire en sorte que des fonds soient mis de côté, par le biais du système budgétaire américain, pour permettre aux communautés de s’adapter, à l’avenir, aux crises humanitaires provoquées par les conséquences du changement climatique ».

CARE Etats-Unis, une ONG qui s’efforce de lutter contre la pauvreté dans le monde, a pour sa part dit avoir pris bonne note de l’exemple donné par les entreprises : l’ONG a en effet envoyé certains de ses employés en formation, afin que des dirigeants d’entreprise leur enseignent comment élaborer des plans de contingence.

« Il est vrai que nous utilisons beaucoup la conception de scénarios dans notre travail, et que nous le faisons depuis plusieurs années, déjà », a indiqué à IRIN Michael Rewald, vice-président de Global Support and Partnership.

M. Rewald a cité les scénarios réalisés sur la situation de l’Asie dans 20 ans, qui prévoient différentes possibilités, notamment un scénario dans lequel l’Inde et la Chine deviendraient les forces dominantes, et un autre où l’Asie serait morcelée en petits Etats régionaux, tous en conflit les uns avec les autres.

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Publié sur OSI Bouaké le samedi 9 août 2008

 

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