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Au PK18 d’Abobo, fief des résistants

A Abidjan, en Côte-d’Ivoire, les pro-Ouattara organisent la vie quotidienne dans les zones reconquises.


Libération - 24/03/2011 - Reportage Par Hélène Despic-Popovic Envoyée spéciale à Abidjan

Le jeune homme tient un mégaphone et s’adresse à la file silencieuse de femmes et d’enfants qui, fuyant les combats, montent vers Anyama, une petite ville située au nord d’Abidjan : « Si vous ne connaissez personne à Anyama, prenez à droite, on vous hébergera. » Ils sont 300 depuis dimanche à avoir suivi son conseil et à avoir trouvé refuge dans une école fondée par la Banque africaine de développement (BAD). Fermé depuis des semaines, l’établissement a rouvert pour accueillir les déplacés à la demande des nouvelles autorités. « C’est moi qui ai dit à ces jeunes-là de diriger les gens chez nous », explique Benjamin, un colosse qui se présente comme un responsable de l’organisation de la jeunesse du RHDP, le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix, la coalition qui a donné à Alassane Ouattara la victoire à la présidentielle de novembre.

Ce « chez nous », c’est le PK18, un quartier surpeuplé d’Abobo, le fief électoral de Ouattara que les forces loyales au président sortant, Laurent Gbagbo, ont été contraintes d’abandonner fin février à la résistance armée locale, qui en assure désormais la gestion et la sécurité. « Il n’y a pas eu un tir depuis un mois. C’est aujourd’hui l’endroit le plus sûr d’Abidjan », lance le jeune homme, qui rappelle que les combattants du quartier ont repoussé sept attaques qui leur ont permis de déplacer de plusieurs kilomètres la ligne de front.

Commissaire. En l’absence du maire d’Abobo - un pro-Ouattara resté, comme le président élu, quasi captif de l’hôtel du Golf, le siège de campagne bloqué par les partisans de Gbagbo -, la direction des affaires revient à un commissaire politique nommé par le RHDP, Sitafa Ouattara (un homonyme du président élu). Ce lundi matin, coiffé de sa petite calotte blanche, il est de tournée. Il échange de brefs propos avec les uns, salue les autres ou s’arrête pour s’entretenir avec un invité. Ce jour, c’est un exportateur de cacao, Diakité Siaka, qui est venu voir comment il peut aider. Il propose du riz pour les réfugiés de la mosquée. Sa société, située près de cette dernière, a dû mettre au chômage technique ses 50 salariés, auxquels un demi-salaire est toujours versé. L’homme se plaint des sanctions internationales qui étranglent son activité. « Si la crise se poursuit pendant encore deux semaines, nous sommes finis », dit-il.

Sur la chaussée déformée, l’asphalte n’est plus qu’un lointain souvenir. Les ruelles qui entourent les parcelles closes de hauts murs, n’en ont, elles, jamais vu la couleur. Ce quartier, qui a poussé au début des années 80 sous la pression de l’exode rural des populations venues du Nord à la recherche de travail, n’a été électrifié qu’au début des années 90. Déjà il se délite. La guerre y contribue. « Il n’y a plus de services publics, plus de poste, plus d’écoles », explique Sitafa Ouattara. Le RHDP a créé son propre système administratif. Treize secrétaires de section, des responsables de jeunesse et des responsables de sécurité sont subordonnés au commissaire politique. Ils gèrent les pénuries, d’essence comme de nourriture. « Mais notre priorité c’est la santé. Et nous avons rouvert le centre de soins », annonce fièrement le numéro 1 du quartier.

Trouver de l’argent, survivre, manger, nourrir sa famille constituent les principales préoccupations des habitants de PK18. Entourée de quatre de ses sept enfants, Abiba Oudraogo, couchée sur son étal, aligne pour les vendre un peu de manioc, quelques cacahuètes, des légumes et de rares fruits dont des bananes encore vertes. A peine encaissera-t-elle 5 000 francs CFA (7,6 euros) là où elle aurait gagné 40 000 francs CFA il y a encore trois mois : « Les gens n’ont plus d’argent. » C’est qu’il lui a fallu beaucoup d’énergie et de courage pour trouver ces maigres aliments : « J’ai dû faire 5 kilomètres à pied, traverser les lignes. »

Car les hommes ne sortent pas. S’ils tombent sur des pro-Gbagbo, c’est la mort assurée, disent-ils. « Les femmes risquent le viol, mais garderont la vie sauve », ose un voisin. Abiba vit avec sa famille, au total 22 personnes, dans une maison de cinq pièces. Hier, elle a accueilli chez elle la petite sœur de son mari et ses deux cousines avec leur parentèle, au total 12 personnes, qui ont fui Sodepalm, un autre quartier d’Abobo, bombardé dans la nuit. Inquiète à son tour, Abiba dit qu’elle « bénit les combattants » qui défendent le quartier.

Ces combattants, sortis de l’ombre après avoir longtemps été appelés « commando invisible », se font de nouveau discrets. Ils sont très présents sur les barrages qui précèdent l’entrée dans le quartier. Souvent très jeunes, en vêtements dépareillés, les yeux rougis ou gonflés. Fatigue, manque de sommeil, drogue ? Au centre du quartier, les politiques prennent le pas sur les militaires. Les mêmes ont souvent les deux casquettes. Benjamin, responsable de sécurité, peut ainsi prendre les armes s’il le faut. « 80% des combattants ne sont pas du quartier, assure son oncle, un ancien militaire. Pour le reste, il s’agit de gens qui sont prêts depuis longtemps. Ils ont toujours su que Laurent Gbagbo ne quitterait pas le pouvoir. » Prêts, certainement, confirme Benjamin, mais sans matériel. « Les deux premières kalachnikovs sont entrées dans le quartier après les élections. Ensuite, chaque incursion des forces de défense et de sécurité nous a permis de nous réapprovisionner. » Mais « chaque combat nous coûte cher en munitions, renchérit son oncle. Avec les équipements nécessaires, il nous suffirait de quarante-huit heures pour que tout soit fini ».

« Méthode ». Impatients… Inquiets aussi, car fortune de guerre, dit-on, est changeante… Les insurgés de PK18 commencent à critiquer « ceux de l’hôtel du Golf », dont ils auraient attendu davantage d’assistance que les 70 sacs de riz de 50 kg envoyés récemment par la femme d’Alassane Ouattara. « Les gens sont stressés, car chaque jour a son corollaire de morts, reconnaît Amadou Toungara, un responsable de la sécurité du RHDP. Mais le Président a sa méthode. On peut prendre le palais présidentiel, mais à quoi bon si cela met en danger les populations qu’on veut justement protéger et qu’on entend réconcilier. » Alors PK18 et ses 300 000 habitants attendront bien encore une semaine, le temps que l’Union africaine a donné à Laurent Gbagbo pour approuver son plan.


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 27 mars 2011

 

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