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« ll y a toujours l’angoisse de la mort, avant d’apprendre à vivre avec le VIH »



IEJ - 28 mai 2012 - par David Perrotin -

Sandrine Dekens, psychologue clinicienne, a fait du sida   une cause fondamentale de sa vie. Après avoir travaillé pour l’association Sol En Si pendant 10 ans, Sandrine Dekens est engagée au sein d’Orphelins Sida   International en tant que spécialiste de la prise en charge globale des enfants affectés et infectés par le VIH   en Afrique.

Peut-on dire qu’il y a une différence de vécu de la maladie pour le patient atteint de VIH   des années 80 à aujourd’hui ?

Oui, c’est quelque chose qui a radicalement changé en fonction de l’époque. On est passé d’une maladie assez aigüe – le VIH   a été découvert tard – pour laquelle il y avait peu de prises en charge possible, les gens mouraient en masse dans les premières années. Il faut attendre 1998 pour avoir des traitements plus performants, ce qui a beaucoup changé le vécu de la maladie. Mais le moment de la transition entre une maladie létale et une maladie chronique a été compliqué pour les personnes malades. Il y a eu un syndrome qu’on a appelé le deuil du deuil : avec des gens qui se sont construits en sachant qu’ils n’allaient pas vivre longtemps et d’un coup, ils réalisent qu’ils peuvent vivre avec le VIH  . Il a fallu pour eux qu’ils réinvestissent la vie. Il y a toujours l’angoisse de la mort, avant d’apprendre à vivre avec et de s’apercevoir qu’on peut vivre bien avec la maladie.

Quelle est la spécificité de cette maladie par rapport aux autres ?

C’est le fait que cette maladie est apparue de manière spectaculaire. Le VIH   touche aux tabous et à des choses empreintes de peur : la mort, la sexualité… La particularité principale réside surtout dans le fait que cela touche des jeunes, dans la force de l’âge. Les personnes atteintes font majoritairement partie de la génération des actifs qui sont en situation d’être acteur dans la société et d’être une richesse pour elle. Cependant, en Occident, cela touche d’avantage les marges de la société (pratiques marginales, situations de vie minoritaires…) qui fait que cette maladie est très empreinte de jugement. Il y a de la peur en réaction, du jugement, du rejet car cela touche à des choses sensibles.

En quoi le vécu de cette maladie est-il influencé par les représentations sociales qu’on a sur le SIDA   ?

Les représentations diffèrent selon les époques et moins rapidement que la réalité. Le VIH   est encore associé à la mort et à quelque chose qui fait peur malgré la réalité objective qui vient contredire cette idée. La représentation du SIDA   est donc chargée des traditions, de l’Histoire selon les différentes cultures. Cela dépend de la place de la sexualité dans une société, de ses transgressions… Par exemple, en France l’homosexualité tend à être perçue comme plus transgressif, alors que dans d’autres pays, c’est radicalement interdit.

Lorsqu’une personne est atteinte du VIH  , son comportement sexuel change-t-il ?

Je travaille beaucoup avec des femmes contaminées et je constate qu’il y a une désertion de l’activité sexuelle. Il faut du temps pour se réparer psychiquement de l’effraction de cette annonce, de ce choc énorme et la sexualité peut revenir. Chez les homosexuels, certaines études montrent un relâchement de la protection lors des rapports.

Le patient atteint du VIH   doit-il recevoir un accompagnement psychologique spécifique ?

Oui, c’est très important. Au moment de l’annonce, l’image de mort est tellement forte qu’il faut que le patient déplace sa propre représentation de la maladie. Il faut éventuellement rencontrer d’autres personnes pour dédramatiser et l’amener à penser qu’il va être possible de vivre avec la maladie. Ce premier temps d’accompagnement prend généralement deux ans pour intégrer l’idée qu’on ne va pas mourir immédiatement et qu’il faut penser sa vie sur un temps long. La seconde étape qui est commune au travail thérapeutique de façon générale, c’est le travail du sens. Il faut aider la personne à comprendre le sens que le virus a dans leur vie.

Une fois que l’on a ce virus, que devient le rapport à l’enfant et à l’accouchement pour la mère ?

Dans un premier temps, lorsqu’une mère accouche, on ne connaît pas avec certitude son diagnostic. C’est une période de grande angoisse pour la mère. Elle peut par exemple ne pas investir l’enfant parce qu’elle s’imagine inconsciemment que son enfant sera contaminé et va mourir. Il peut y avoir des difficultés lors de l’engagement de la relation. Plus fréquemment, la mère surinvestit son enfant et le surprotège. Là encore il faut un accompagnement. Lorsque l’enfant est séronégatif, cela peut être un grand soulagement pour la mère. Parfois, mais c’est plus rare, l’enfant n’ayant pas le même destin que sa mère, cette dernière peut lâcher prise et ne pas assumer son rôle de mère. La plus grande difficulté réside dans le fait d’instaurer des limites éducatives. La mère veut profiter en se disant qu’elle n’a plus beaucoup de temps, ce qui peut favoriser une éducation d’enfant-roi.

Propos recueillis par David Perrotin


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 3 avril 2013

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