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Rencontres du troisième genre


Mots-Clés / Genre

Le journal du CNRS, Laure Cailloce, 24 Octobre 2014 - Son épouse était stérile. L’Américain Thomas Beatie, né de sexe féminin mais devenu légalement un homme après un traitement hormonal et le retrait de ses seins, a porté les trois enfants du couple.

L’Australie, l’Allemagne ou encore l’Inde permettent désormais de se déclarer de genre neutre – ni homme ni femme – sur les documents officiels. Tandis qu’en Polynésie ou chez les Amérindiens, les transgenres ont toute leur place dans la vie sociale. Le point sur ce « 3e genre » qui bouscule notre conception binaire des sexes.

« 3e genre », « 3e sexe »… Ces expressions font régulièrement irruption dans nos journaux et magazines. Et pour cause : le sujet monte en puissance, et la législation d’une poignée de pays à travers le monde a récemment évolué pour prendre en compte les droits des personnes dont l’identité ne rentre pas dans le traditionnel schéma homme-femme. Première à faire bouger les lignes, en mars 2012, l’Argentine permet désormais à tout individu qui le désire de modifier le sexe et le nom sous lequel il a été enregistré indépendamment d’une opération chirurgicale de changement de sexe ou d’un traitement hormonal. Seul « le vécu interne et individuel du genre » est pris en compte. L’Australie et l’Inde autorisent, quant à elles, depuis avril 2014, les personnes ne se sentant ni de genre masculin ni de genre féminin à être enregistrées sous un genre neutre.

Les législations mondiales en pleine évolution

Plus près de nous, l’Allemagne est le premier pays européen à offrir, depuis novembre 2013, la possibilité d’inscrire un sexe indéterminé aux nourrissons intersexuels sur leur certificat de naissance. Ces hermaphrodites nés avec des organes génitaux masculins et féminins représentent une naissance sur 5 000 en moyenne. Ils pourront à tout moment de leur vie modifier leur identité sexuelle sur leur certificat de naissance s’ils le souhaitent. Objectif : éviter aux parents de choisir trop précocement l’un ou l’autre sexe.

« Ces législations vont dans le bon sens, estime Pascale Molinier, chercheuse en psychologie sociale à Paris-XIII et directrice adjointe de l’Institut du genre1. Pourtant, même lorsqu’elle se saisit du sujet, la loi peine à décrire une réalité multiforme. » Entre les transexuels ayant subi une chirurgie de changement de sexe, les transgenres se revendiquant de l’autre sexe sans sauter le pas de l’opération, les personnes ne se sentant ni homme ni femme, les hermaphrodites ayant été (ou pas) opérés…, le vocabulaire semble en effet réducteur. « Les termes de 3e genre ou de 3e sexe doivent s’entendre comme “autre”, “différent”, et non pas comme une troisième possibilité finie », précise l’anthropologue Niko Besnier, de l’université d’Amsterdam, qui a étudié les phénomènes transgenres dans la zone Pacifique2.

Des sociétés traditionnelles ouvertes à la différence

Si l’Occident peine encore à nommer et à intégrer ces personnes à cheval entre deux genres, entre deux sexes, d’autres sociétés plus traditionnelles les acceptent sans que cela fasse débat. En Polynésie, les concours de beauté transgenre déplacent les foules. Perchées sur de hauts talons, moulées dans des robes fourreaux colorées, les élégantes de Miss Galaxy, aux îles Tonga, défilent même devant les membres de la famille royale. Ces leitis, des groupes d’hommes ayant adopté tous les codes de la féminité, sont présents également dans les îles françaises de Tahiti ou de Bora Bora sous le nom de mahus, et étaient déjà mentionnés par les voyageurs qui exploraient le Pacifique aux XVIIIe et XIXe siècles. Vêtus comme des femmes, ils occupent des emplois traditionnellement considérés comme féminins : couture, coiffure, mode… « En Polynésie, avant d’être un individu, on est un membre de la communauté, explique Niko Besnier. Comme tout le monde dans ces sociétés, on est d’abord jugé sur sa parenté et sa contribution au système de parenté. En prenant soin de leurs vieux parents, en s’occupant de balayer et de fleurir l’église le matin…, et en remplissant plus généralement le rôle de lien social dévolu aux femmes, ces personnes trouvent naturellement leur place. »

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Hijras de New Delhi, en Inde. La Cour suprême indienne a récemment accordé le droit à cette minorité sexuelle de s’enregistrer sous un genre neutre afin de faciliter son accès aux aides sociales et à l’éducation.

En Inde et au Pakistan, les hijras, ces « presque femmes » douées de talents artistiques reconnus qui leur valent d’être invitées à chanter et danser dans les mariages, notamment, sont considérées avec respect et une certaine méfiance. Elles seraient plus d’un million dans le sous-continent. Chez les Indiens d’Amérique du Nord, les berdaches – aujourd’hui appelés two-spirit people – sont des hommes-femmes auxquels on attribue des pouvoirs chamaniques et qui assurent des fonctions rituelles spécialisées : ils s’occupent des cadavres et jouent un rôle dans la danse des scalps notamment. « Leur transformation de genre leur permet de faire le pont entre les deux mondes, le monde physique et le monde des esprits, explique Olivier Allard, anthropologue et post-doctorant à l’EHESS, qui rapporte également l’existence de phénomènes transgenres chez les Indiens Warao du Venezuela. Dans cette société de pêcheurs-cultivateurs, les tida-wena s’occupent de la cueillette et de la cuisine, qu’ils effectuent avec les femmes. Jusqu’à récemment, ils étaient également les épouses secondaires d’hommes polygames. »

L’Occident focalisé sur le sexe biologique

« Dans ces sociétés, l’orientation des désirs sexuels est vue comme la conséquence d’un genre – c’est pourquoi des hommes « normatifs » peuvent avoir des relations sexuelles avec des hommes-femmes sans que cela soit considéré comme de l’homosexualité », indique Niko Besnier. À l’inverse, nos sociétés occidentales sont focalisées sur le sexe biologique : on naît homme ou femme et, sur ce substrat donné par la nature, on développe une identité de genre masculine ou féminine. D’où une certaine incompréhension, voire un rejet, des phénomènes transgenres. « En Occident, la logique binaire homme-femme masculin-féminin va très loin, puisqu’on demande aux personnes trans de faire coïncider leur sexe anatomique avec le genre dont elles se réclament », insiste Pascale Molinier.

C’est le cas en France, où une intervention chirurgicale de changement de sexe, attestant du « caractère irréversible de la transition », est nécessaire pour que l’état civil reconnaisse officiellement le changement de genre d’une personne3. « S’ils satisfont certains transsexuels désireux d’opérer leur transformation jusqu’au bout, ces actes de chirurgie extrêmement délicats, qui entraînent de facto la stérilité du patient, ne correspondent pas au souhait profond de toutes les personnes transgenre et peuvent provoquer de graves souffrances psychologiques », indique Pascale Molinier. La même problématique se pose pour les intersexes, sommés de choisir l’un des deux sexes, masculin ou féminin, alors que certains revendiquent le droit de pouvoir vivre comme ils sont nés… Le 3e genre n’a pas fini de faire parler de lui.

Notes

1. Fondé en 2012 à l’initiative de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS, l’Institut du genre est un Groupement d’intérêt scientifique qui réunit trente partenaires institutionnels. 2. Niko Besnier est l’auteur de Gender on the Edge : Transgender, Gay, and other Pacific Islanders, paru en avril 2014 simultanément aux presses de l’université de Hawaii et de l’université de Hong Kong. Il a récemment donné une conférence sur le thème « Le 3e genre en Océanie » à l’université populaire du quai Branly. 3. En réalité, le changement d’état civil n’est effectif qu’après décision du tribunal. Si la plupart des juges fondent leur décision sur le changement de sexe anatomique, le tribunal d’Angers a récemment autorisé le changement de sexe à l’état civil d’une personne transgenre qui se contentait de suivre un traitement hormonal.


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 10 octobre 2014



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