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RD Congo : L’armée, la rue, la prison…



12 Fevrier 2010 - http://syfia-grands-lacs.info - par Dieudonné Malekera

Il a été enfant-soldat, aujourd’hui c’est un adulte, blessé pendant la guerre, qui joue les durs. Il commande aux enfants de la rue et passe chaque année quelques mois en prison. En désespoir de cause. "Aksanti et toi, précédez-nous, chercher des ‘Babylones’ (des personnes faciles à voler, ndlr) chez Maman Kindja et au marché de Nyawera. Le point au niveau de Chez Laety vers 18 heures", ordonne Fiston (22 ans) à une poignée d’enfants de la rue. Ceux-ci fument du chanvre et inhalent du kazamba (de l’essence contenue dans un petit flacon) sur une plage abandonnée au bord du lac Kivu à Bukavu, devenue un repaire de durs. "L’armée m’a appris à monter des plans opérationnels et à les faire exécuter", déclare ce petit chef de bande qui boitille du pied gauche, étincelant dans une culotte et un T-shirt blancs, en vidant le fond d’une bouteille de liqueur.

"La taule est aussi mon monde"

Deux semaines plus tard, vêtu d’un survêtement mauve sale et les cheveux ébouriffés, le gars est méconnaissable. Le voici au milieu de la dizaine de détenus qui viennent d’être entendus par le Tribunal de grande instance siégeant en chambre foraine. Tous rentrent dans la cour de la prison centrale de Bukavu, le chef-lieu de la province du Sud-Kivu à l’est de la RD Congo. "La taule est aussi mon monde, mais j’y crève de faim", chuchote-t-il en me demandant quelques sous. Selon le greffier du pénitencier, Bisimwa Bahizire, Fiston est un habitué. "Ce récidiviste ne passe jamais une année à l’extérieur. Il purge régulièrement trois à six mois d’emprisonnement pour des vols simples, retourne à la rue puis revient pour les mêmes infractions", explique-t-il, le nez plongé dans un volumineux registre. L’animateur Joseph Ikosa du Programme diocésain d’encadrement des enfants de la rue (Peder) ne s’en étonne pas : "Nous l’avons récupéré au marché de Kadutu dans les années 90. Il est passé aussi par la Fondation solidarité des hommes (FSH). Cet indomptable ne cessait de commettre des larcins. Les groupes armés l’ont recruté dans la rue."

Jouer les durs

Enrôlé en 2000, à 12 ans, par le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), Fiston raconte avoir suivi une formation militaire de deux mois au centre de Nyamunyunyi dans le territoire de Kabare. Puis, il a aussitôt été envoyé combattre les Maï Maï de Mundundu 40 dans le territoire de Walungu où une balle l’a atteint à la jambe gauche. Une fois guéri, Fiston habitera le camp militaire à Bukavu et se mettra à faire le tour de la ville pour mendier. "Quand j’ai abandonné les béquilles, je me suis mis à organiser les enfants de la rue du secteur Sonas non loin de la Cathédrale Notre-Dame de la Paix. Je coopère aussi la nuit avec les bandits et les prostituées en détresse pour vivre. Je fais parfois la prison et ça passe", déclare-t-il en bombant la poitrine en racontant sa vie de leader incompris. Fiston n’a pas vraiment l’air d’un dur, mais il se targue de son passage dans l’armée et se drogue pour se donner du courage. Certains le défient comme Jamaïcain (20 ans) qui s’autoproclame "porte-parole" des enfants de la rue du secteur Sonas. "Nous ne sommes pas des mauviettes pour n’avoir pas porté les armes. Fiston est allé rejoindre en taule des petits soldats", dit-il. Rejeté depuis son enfance, ce jeune homme est cependant désorienté. Sa mère est morte quand il avait 8 ans et n’était qu’en 2e année primaire. "Mon père s’est remarié et n’a plus payé mes études. Ma marâtre me battait. Je me suis réfugié au grand marché de Kadutu, raconte-t-il. Heureusement, les trois années passées sous les armes m’ont donné du cœur. Kajorité (blessé de guerre, Ndlr), l’armée n’avait plus besoin d’un homme invalide. Je ne peux rien faire d’autre dans la vie."


Publié sur OSI Bouaké le mardi 2 mars 2010

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