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« On ne sait pas faire avec l’adoption, on s’y prend mal »



Libération - 6 juillet 2014 - Propos recueillis par Marie-Joëlle Gros -

Deux sénatrices vont déposer une proposition de loi pour mieux protéger les mineurs placés à l’Aide sociale à l’enfance. Entretien.

Pas à pas, des questions de droit, laissées en suspens dans la vie des familles, trouvent des solutions : le rôle des beaux-parents est reconnu, la médiation familiale devient la règle en cas de divorce, la double résidence met les deux parents sur un pied d’égalité… Ces avancées, contenues dans la proposition de loi sur l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant, ont beau avoir été sérieusement combattues sur les bancs de l’Assemblée, elles ont finalement été adoptées en première lecture. Il est maintenant temps de s’atteler à un autre chantier, que l’ex-ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, voulait ouvrir : le sort des 150 000 enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE  ) et qui y vivent globalement mal. Ils sont parfois ballottés d’institution en institution, parfois arrachés à une famille d’accueil pour être envoyés ailleurs. Ce constat a été fait maintes fois.

Un « plaidoyer pour l’adoption nationale », rédigé l’an passé par un collectif d’éducateurs, de psychologues, de professionnels, tous témoins de cet état de fait, avait dénoncé de façon musclée une forme d’« abandon institutionnel » de ces enfants. Depuis ? Deux sénatrices, Michelle Meunier (PS) et Muguette Dini (UDI), vont déposer, avant septembre, une proposition de loi sur la protection de l’enfance, dont plusieurs dispositions concernent l’adoption. Entretien avec Muguette Dini, sénatrice du Rhône, ex-enseignante et présidente de la commission des affaires sociales du Sénat depuis 2009.

L’adoption a-t-elle une chance d’être un jour réorganisée en France ? On peut prendre des mesures efficaces. Comme, par exemple, encourager les adoptions simples qui ne viennent pas se substituer aux liens biologiques, mais seulement s’y ajouter. En France, on a la culture de l’adoption plénière, et cette réalité est préjudiciable aux enfants. Il faut envisager de passer d’une parenté de substitution à une parenté d’addition. Sans quoi des enfants sont maintenus dans des situations très douloureuses, avec des parents biologiques qui ne sont pas ou ne peuvent pas être à leurs côtés, et des adultes qui souhaiteraient les adopter mais n’en ont pas le droit tant que les liens de filiation d’origine ne sont pas rompus.

Estimez-vous, comme d’autres, qu’il faille réformer les mentalités au sein de l’institution ? C’est une évidence. Les travailleurs sociaux et les magistrats partagent une culture « familiariste » : pour eux, il n’y a rien de mieux pour un enfant que le maintien, coûte que coûte, des liens avec ses parents. C’est faux, et cela conduit parfois à aggraver les situations vécues par les enfants.

Par exemple ? On ne peut pas continuer à laisser des enfants dans une situation de « délaissement parental » [on ne dit plus « abandon », ndlr], c’est-à-dire sans aucun contact avec ses parents pendant plusieurs années. A l’échelle d’une vie d’enfant, c’est beaucoup trop long, et les dégâts sont colossaux. Il faut poser des limites, une date butoir. Un enfant a besoin de liens affectifs pour grandir et de la sécurisation de ces liens. Quand des travailleurs sociaux font le constat d’un délaissement, le juge doit se prononcer rapidement, dans un délai maximum de six mois. Et prévoir une situation stable jusqu’à la majorité de l’enfant.

Votre proposition de loi a-t-elle une chance d’aboutir ? J’espère qu’elle sera examinée sereinement, en laissant de côté les oppositions délirantes de ces derniers mois dès qu’il est question de famille. Michelle Meunier et moi sommes de deux bords politiques différents, mais nous faisons la démonstration qu’il y a moyen de s’entendre. Nous avons été vice-présidentes de conseils généraux, et y avons constaté les dysfonctionnements des mécanismes de l’adoption. C’est un sujet mal traité en France, on ne sait pas faire avec. Nous réfléchissons toutes les deux dans l’intérêt supérieur des enfants, pas dans celui des familles. Et nous irons jusqu’au bout.


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 21 juillet 2014

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