OSI Bouaké - Les grandes manœuvres de Bolloré dans le port de Conakry Accueil >>  Zone Franche

Les grandes manœuvres de Bolloré dans le port de Conakry



Libération - 29/07/2011 - Par Renaud Lecadre

Après avoir vu son offre recalée, le français a mis les moyens pour obtenir la concession de l’infrastructure guinéenne contre son concurrent Getma.

On commence à comprendre les dessous de l’affaire du port de Conakry et de la volte-face de la Guinée. Après avoir remporté pour ving-cinq ans la concession du port, le français Getma a été débarqué manu militari en mars au profit de son principal concurrent lors de l’appel d’offres, en 2008, Bolloré.

Pour justifier ce revirement, le nouveau président de Guinée, Alpha Condé, opposant historique élu démocratiquement fin 2010, évoque des raisons contractuelles, des clauses léonines, le non-respect du cahier des charges. En réalité, il est surtout question de gros sous. Le 14 avril, un tribunal local condamnait le président de Getma, Richard Talbot, à deux ans de prison avec sursis pour faux en écritures de commerce. Un jugement expéditif, prononcé en son absence, à l’africaine. Mais sa lecture résume bien les griefs : Getma n’aurait pas assez gâté quelques décideurs guinéens…

Oukase. Comme de coutume en Afrique, lorsqu’un opérateur occidental se voit attribuer une concession, il doit « réserver » entre 15 et 30% des parts à quelques « intérêts locaux », privés ou publics. Au port de Conakry, Getma s’était appuyé sur Gamal Chaloub. Profession : « administrateur de sociétés ». Il proclame que seules « sa combativité et sa détermination » auraient permis à Getma de décrocher le deal. En remerciement, ce lobbyiste de haut vol s’était vu attribuer 35% de la société gestionnaire du port ; à charge pour lui d’en rétrocéder tout ou partie à l’Etat guinéen. A peine la concession attribuée, Chaloub et Getma s’écharpent sur la répartition. La concession est suspendue trois mois sur oukase présidentiel, signé de l’alors dictateur Dadis Camara. Non pas pour des retards de travaux d’infrastructures portuaires, comme souvent avancé, mais en raison de « la préservation des intérêts de l’Etat et des actionnaires guinéens initiaux ». Suivront de nombreuses réunions où le régime guinéen tente d’imposer sa gouvernance capitalistique : 55% pour Getma, 25% pour Gamal Chaloub, 15% pour l’Etat guinéen et 5% pour des chargeurs maliens. L’opérateur français est coincé : ses partenaires ne sont là que pour percevoir des dividendes, sûrement pas pour investir. Or, il est urgent d’engager la rénovation du port, qui a pris du retard. En juin 2009, un an après l’attribution, Getma écrit à ses encombrants partenaires : « Vous ne pouvez méconnaître la nécessité absolue pour la société de renforcer son capital, ne serait-ce que pour respecter ses engagements à l’égard de l’Etat guinéen. » Et de rappeler Gamal Chaloub à son « devoir d’actionnaire en souscrivant à hauteur de la participation qu’il a librement souhaité prendre ». Faute d’engagement de leur part, Getma passe en force et augmente tout seul le capital, diluant ses « partenaires ». Crime de lèse-majesté, annulé en janvier 2010 par un tribunal guinéen. Faute de disposer de fonds suffisants, la société portuaire ne peut investir qu’au compte-gouttes - ce sera d’ailleurs le prétexte à la résiliation de la concession. Gamal Chaloub transforme l’essai par une plainte pénale : il s’estime spolié, dilué à moins de 2% des parts malgré ses « sacrifices pour l’obtention par Getma » du marché. D’où la récente condamnation de Richard Talbot.

Clauses fiscales. Vincent Bolloré désormais aux commandes, on ne sait quelle part il entend « réserver » à des « partenaires locaux ». Mais le groupe est assez solide et imaginatif pour se passer de leur concours financier. Son directeur général en charge de l’Afrique, Dominique Lafont, promet soit « 500 millions d’euros d’investissement sur vingt-cinq ans, dont 200 millions au cours des deux prochaines années, soit la moitié dès à présent ». Le nouveau contrat de concession ne dit pas tout à fait cela, selon un tableau prévisionnel annexé : 140 millions d’ici deux ans, 240 millions d’ici quinze ans et 500 d’ici vingt-cinq ans. Après avoir dénoncé les clauses fiscales « léonines » dont bénéficiait Getma, Bolloré a obtenu à peu près les mêmes : une exemption totale ou partielle sur les cinq premières années. « Son traitement fiscal est même plus favorable », glisse le concessionnaire déchu. Pour tout ticket d’entrée, Bolloré va verser un million d’euros au port autonome de Conakry (PAC). En son temps, Getma en avait versé 15 (Bolloré, classé deuxième de l’appel d’offres en 2008, ne proposait que 7,5).

La querelle menaçant de dégénérer devant les tribunaux français (une plainte pénale pour corruption déposée par Getma vient d’être classée sans suite par le parquet de Paris, Bolloré portant plainte en retour pour dénonciation calomnieuse), le gouvernement tente de calmer le jeu. Selon le Nouvel Observateur, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a écrit son souhait d’une solution à l’amiable. Qui pourrait être celle-ci : Bolloré rembourse à Getma son ticket d’entrée et autres menues dépenses.


VOIR EN LIGNE : Libération
Publié sur OSI Bouaké le samedi 30 juillet 2011

LES BREVES
DE CETTE RUBRIQUE