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La France doit reconnaître la guerre au Cameroun



Libération - Thomas DELTOMBE Editeur , Manuel DOMERGUE Journaliste et Jacob TATSITA Enseignant - 30 juin 2015

François Hollande, en visite officielle au Cameroun, le 3 juillet, sait-il que la France y a mené, au moment de son indépendance, une guerre sanglante à partir des années 50 ? Il est nécessaire que les hautes autorités de l’Etat reconnaissent la responsabilité de la France dans ce drame qu’elles se sont toujours obstinées à nier.

Alors que l’indépendance du Cameroun devenait inéluctable dans les années 50, la France a mené une guerre féroce pour écraser le mouvement indépendantiste camerounais et placé à la tête du pays un régime à sa botte. Pierre Messmer, qui fut haut-commissaire de la France à Yaoundé entre 1956 et 1958, résumera cet épisode dans ses Mémoires : « La France [a accordé] l’indépendance à ceux qui la réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la réclamaient avec le plus d’intransigeance. » Ce faisant, le Cameroun est devenu le laboratoire de ce que l’on appellera plus tard la « Françafrique », cette variante française du néocolonialisme qui a permis à la France de maintenir sa mainmise sur ses anciennes colonies africaines malgré les « indépendances » qu’elle leur avait octroyées.

Pour « éliminer » ses adversaires camerounais, Paris a donc mené une guerre. Une vraie. Envoyés sur le terrain au milieu des années 50, les officiers français qualifiaient à l’époque le Cameroun de « Petite Algérie ». Car, comme en Algérie, la police, l’armée et les services secrets français ont tout mis en œuvre pour éradiquer le mouvement nationaliste, alors porté par l’Union des populations du Cameroun. Trois ans après l’interdiction de l’UPC, en 1955, son secrétaire général, Ruben Um Nyobè, qui poursuivait la lutte au « maquis », était assassiné par une patrouille de l’armée française. Puis, vint le tour de son président, Félix Moumié, empoisonné à Genève par un agent des services secrets français, en 1960. Arrêté dix ans plus tard, le dernier grand leader, Ernest Ouandié, fut exécuté en place publique par le régime d’Ahmadou Ahidjo, le dictateur sanguinaire que la France avait mis à la tête du pays à la veille de l’indépendance.

Torture systématique, bombardements de civils, disparitions forcées, exécutions sommaires, levée de milices sanguinaires, nettoyage ethnique, regroupement forcé des populations, propagande de chaque instant. Les militaires français ont expérimenté au Cameroun, en même temps qu’en Algérie, les techniques de « guerre révolutionnaire » mises au point au lendemain de la guerre d’Indochine. La cible ? Les militants de l’UPC et toutes les populations soupçonnées de les soutenir. Combien de victimes ont péri pour installer et maintenir à Yaoundé un régime pro-français ? Le général français Max Briand, en charge des opérations, parle de plus de 20 000 morts, pour la seule année 1960 et dans la seule région de l’Ouest (dite « bamiléké »). Une estimation effectuée quatre ans plus tard par l’ambassade du Royaume-Uni au Cameroun évoque 76 000 civils tués sur la période 1956-1964. « L’armée française a fréquemment brûlé, ou détruit d’une autre manière, des villages entiers, qui étaient gravement infestés de terroristes », précise l’ambassadeur britannique. Ce qui a eu pour résultat de « tuer un nombre inconnu de civils non terroristes ».

« Il faut faire régner le silence », écrivait Xavier Torre, le successeur de Pierre Messmer à Yaoundé, à propos de ces opérations. Depuis soixante ans, la France a réussi à faire respecter la consigne. Cette guerre a été cachée, les journalistes manipulés, les avocats refoulés, les archives dissimulées. On a menti à trois générations de Camerounais et de Français. Quand le romancier Mongo Beti, parmi les premiers, a dénoncé en 1972 cette répression féroce, son livre Main basse sur le Cameroun a été interdit et saisi par les autorités françaises. Interrogé en 2009 sur la responsabilité de la France dans l’assassinat des leaders de l’UPC, le Premier ministre François Fillon osa parler de « pure invention ». Questionné à l’Assemblée nationale, en 2011, le ministère de la Défense balaya quant à lui ces « détails » d’un revers de main. Deux ans plus tard, toujours à l’Assemblée nationale, le ministère des Affaires étrangères évacuait à nouveau le sujet en appelant « les historiens » à faire leur travail. Apparemment, on ne lit pas beaucoup de livres au Quai d’Orsay (1).

Pourquoi une telle résistance face à l’évidence ? Parce que, au Cameroun, le crime continue. L’autocrate Paul Biya règne par la violence, la fraude électorale et la corruption sur ce pays depuis qu’il a hérité du pouvoir en 1982 des mains d’Ahmadou Ahidjo. Cette guerre du Cameroun, dont les techniques ont rapidement muté en système de gouvernement, est le péché originel du régime. Et les victimes, passées ou présentes, ont été sacrifiées sur l’autel de l’« amitié franco-camerounaise ».

L’avenir des relations entre Yaoundé et Paris ne peut plus se bâtir sur le mensonge et le mépris. Il ne s’agit nullement d’exiger une quelconque « repentance », mais simplement d’appeler à la reconnaissance des faits. Après plusieurs décennies d’atermoiements, d’autres pages sombres de l’histoire française ont été reconnues officiellement, quoique laborieusement. Lionel Jospin a reconnu, en 2000, que la France avait bien mené une « guerre » en Algérie. Jacques Chirac a reconnu, en 2005, les massacres de Sétif et Guelma (1945) et la répression de l’insurrection malgache (1948). Plus récemment, François Hollande a rendu hommage aux victimes du camp de Thiaroye (1944) et à celles du 17 octobre 1961. L’histoire retiendra-t-elle de sa visite à Yaoundé le 3 juillet la reconnaissance du dernier tabou colonial, épisode fondateur de la Françafrique avec laquelle il avait promis de « rompre » avant son élection ?

(1) Voir par exemple : Richard Joseph, le Mouvement nationaliste au Cameroun, Karthala, Paris, 1986 ; Achille Mbembe, la Naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, Karthala, Paris, 1996 ; Meredith Terretta, Nation of Outlaws, State of Violence - Nationalism, Grassfields Tradition and State Building in Cameroon, Ohio University Press, Athens, 2014 ; Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971, La Découverte, Paris, 2011. Thomas DELTOMBE Editeur, Manuel DOMERGUE Journaliste et Jacob TATSITA Enseignant

Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971 La Découverte, 2011, 26 €.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 7 juillet 2015

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