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Baumettes : de l’urgence au réveil de la société civile



Libémarseille - 14.12.2012 - Olivier Bertrand

C’est une séquence démocratique intéressante. En une semaine, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté vient de réveiller en sursaut l’attention sur la situation du centre pénitentiaire des Baumettes. Une prison-taudis dont tout le monde avait fini par accepter l’état, par découragement, fatalisme, ou paresse. Comme le rôle de Jean-Marie Delarue s’arrêtait là, des magistrats, des avocats, ainsi que l’Observatoire international des prisons (OIP  ), ont pris la relève. Ils ont visité pour certains les lieux à leur tour, ont interpellé la Garde des Sceaux, et demandent désormais à la Justice administrative des mesures en urgence pour répondre aux recommandations du Contrôleur, sans attendre les travaux lourds dont l’achèvement n’est pas prévu avant 2017...

Visites et numerus clausus

Après la sortie, jeudi dernier, des recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (lire), l’OIP   s’est rendu lundi matin aux Baumettes pour distribuer son Guide du détenu. Un rendez-vous prévu de longue date. Cela sentait le propre ont raconté les militants. Un gros ménage avait été fait et les contrôles avaient été renforcés. Le même jour, cinq juges du Syndicat de la magistrature sont venus visiter le centre pénitentiaire. Le Syndicat de la magistrature (SM) prône l’application d’un numerus clausus (mesure consistant à ne pas mettre en prison plus de détenus qu’il y a de places). Une proposition qualifié d’"ingérable", mardi dans La Provence, par l’Union syndicale des magistrats (USM). "L’opinion publique, estimait Thierry Azema, représentant de la section marseillaise, ne comprendrait pas » Elle avait pourtant été mise en oeuvre par tous les acteurs, voilà quatre ans, après un drame dans une autre prison très dégradée, la maison d’arrêt de valence, il est vrai plus petite.

L’expérience de Valence

Après la mort d’un jeune homme tabassé à mort par son codétenu, un profond traumatisme (et un fort sentiment de culpabilité) avait poussé des magistrats, certains de l’USM, à participer à partir de 2008 à une expérience consistant, de fait, à la mise en place d’un véritable numerus clausus. Dès que le seuil d’alerte approchait en détention, le directeur de la prison alertait par écrit l’ensemble des acteurs judiciaires. Les juges tenaient alors compte de la situation dans leurs décisions, privilégiaient mesures alternatives, bracelets électroniques, etc. Un vice-procureur avait théorisé tout cela et l’expérience était suivie de près par la Chancellerie. (lire "Du bon usage de la prison") Cette semaine, le Syndicat des avocats de France a appelé les magistrats à "ne plus prononcer ou éviter les peines de prison courtes pour privilégier les alternatives".

Les référés

Jeudi, deux procédures ont par ailleurs été engagées devant le tribunal administratif de Marseille. Par l’OIP  , soutenu par l’ordre du barreau de Marseille, le Syndicat des avocat de France (Saf), le Syndicat de la magistrature, et le Conseil national des barreaux. Dans un "référé-liberté" plaidé hier, ces organisations rappellent les constatations du Contrôle général, et demandent "des mesures d’urgence" pour mettre fin aux atteintes à l’une des "libertés fondamentales" : le droit de ne pas subir "des traitements inhumains et dégradants", même (surtout ?) en prison. Elles demandent une inspection de toutes les cellules afin d’y retirer tout objet dangereux (bris de verre, fenêtres cassées, etc.). La désaffectation des cellules impossibles à remettre en état. Une autre inspection pour éradiquer rats et cafards. Le remplacement des ampoules et néons défectueux (afin de rétablir des conditions de sécurité minimales pour les personnels comme pour les détenus). Un accès régulier à l’’eau potable. Une méthode de distribution des repas qui permette d’éviter que les rats se servent avant les détenus. Un second référé, examiné ultérieurement, réclame la fermeture de trois bâtiments dans l’attente des travaux de rénovation lourds dont l’achèvement n’est pas attendu avant 2017.

L’attitude de la Chancellerie

Dans cette affaire des Baumettes, la Garde des Sceaux a jusque-là globalement déçu les organisations. Dans sa réponse un peu mécanique au Contrôleur général, le mardi 4 novembre, elle se contentait de justifications, de rappeler les mesures mises en oeuvre par ses prédécesseurs, les chantiers à venir. Dans un communiqué cruel, l’OIP   rappelle cette semaine une intervention de la députée Christiane Taubira, le 17 septembre 2009, lors d’une séance de l’Assemblée consacrée au projet de loi pénitentiaire : « Je me disais que si, dans cet hémicycle, l’on était obligé de partager un siège à plusieurs, une telle surpopulation susciterait peut-être quelques impatiences et quelques tentations d’intolérance parmi nous, et un gnon pourrait partir de temps en temps ! »

Dans son mémoire en réponse à celui de l’OIP  , jeudi, le ministère de la Justice, considère que "l’existence d’une situation d’urgence n’est pas démontrée" aux Baumettes...


Remise en état des Baumettes : « une victoire en demi-teinte »

Libération.fr avec AFP - 14 décembre 2012 - Par Olivier Bertrand, correspondant à Marseille

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait publié un rapport accablant sur l’état de cette prison marseillaise surpeuplée et insalubre. La justice a exigé une remise en état des cellules, trop peu ambitieuse selon les avocats.

Du côté des avocats, la déception domine, après que le tribunal administratif de Marseille a ordonné vendredi à l’administration pénitentiaire de contrôler que chaque cellule de la prison marseillaise des Baumettes « dispose d’un éclairage artificiel et d’une fenêtre en état de fonctionnement », à la suite d’une requête de l’Observatoire international des prisons (OIP  ).

« Face à la gravité de ce que dénonce le contrôleur général, la décision reconnait l’urgence mais on arrive à des généralités minimalistes, c’est la montagne qui accouche d’une souris, estime Laurent Bartolomeï, l’avocat du syndicat des avocats de France (Saf). Seul l’OIP   peut faire appel, mais s’il le fait devant le Conseil d’Etat nous serons bien sûr à ses côtés »

Nicolas Ferran, responsable juridique de l’Observatoire international des prisons (OIP  ), ne dit pas autre chose : « le juge reconnait l’urgence mais il n’est pas le premier. Sur ce qu’il s’autorise à prononcer, on est vraiment dans le détail. Nous réflechissons très sérieusement à un appel devant le conseil d’Etat ».

« Une victoire en demi-teinte », renchérit l’avocat de l’OIP   , Me Patrice Spinosi, regrettant que le juge administratif n’ait pas considéré que l’état de délabrement de la prison, pointé dans un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Jean-Marie Delarue, mettait en péril la vie des détenus.

L’administration devra également « faire procéder à l’enlèvement des détritus » dans les cellules et les communs de la prison, ainsi que veiller à ce que les repas des détenus ne soient plus « entreposés sur le sol ni à proximité des bennes à ordures ».

Dans le cadre d’une procédure en urgence de référé liberté, l’OIP  , auquel s’étaient associés le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), le Conseil national des barreaux, le Syndicat des avocats de France (SAF, gauche) et l’Ordre des avocats de Marseille, demandait que « des mesures urgentes » soient prises à la prison des Baumettes, une semaine après la publication du rapport Delarue. « Ce jugement est la reconnaissance d’une carence de l’administration qui porte atteinte à la dignité des détenus. Des obligations sont ainsi imposées à l’administration », a ajouté Me Spinosi, précisant qu’il envisageait de saisir le Conseil d’Etat. L’avocat a précisé qu’un second référé, dit de mesures utiles, avait été déposé devant la même juridiction, afin « qu’après ces mesures urgentes, l’administration se penche sur le fond ».

Dans cette nouvelle procédure, l’OIP   demande que des travaux de rénovation soient engagés au centre pénitentiaire des Baumettes et souhaite également que la prison soit vidée de ses occupants pendant ces travaux. De son côté, le bâtonnier de Marseille, Me Jérôme Gavaudan, a souligné que cette décision constituait « une première judiciaire ». « Injonction est faite par le juge administratif sur les conditions matérielles de détentions : il fait le constat d’un traitement inhumain et dégradant », a-t-il déclaré.

Jeudi, à l’audience, Benoît Vandermaesen, magistrat du parquet de Marseille et délégué du SM, avait souligné que rien n’avait changé aux Baumettes depuis l’inspection en octobre du contrôleur Delarue, après avoir fait lui aussi une visite au centre pénitentiaire lundi.

Par ailleurs, le nombre de détenus dans les prisons françaises a atteint au 1er décembre un nouveau record historique avec 67 674 personnes incarcérées, selon les statistiques mensuelles de l’administration pénitentiaire publiées ce vendredi.


« Aux Baumettes, rien que les odeurs, on a envie de vomir »

Libération - 5 décembre 2012 - Par Olivier Bertrand, correspondant à Marseille -

Alors que le Contrôleur des prisons dénonce une violation « des droits fondamentaux » dans le centre pénitentiaire marseillais, « Libération » a recueilli les témoignages d’un détenu et d’un surveillant.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, publie aujourd’hui au Journal officiel des « recommandations en urgence » pour le centre pénitentiaire marseillais des Baumettes [lire le document en bas de cet article]. Une procédure rarissime. Depuis sa mise en place, en 2008, il n’y avait eu recours qu’une seule fois (Libération de lundi). Vingt contrôleurs restés deux semaines aux Baumettes en octobre ont constaté une « violation des droits fondamentaux » des détenus. Des conditions de détention et de fonctionnement effarantes, rendues publiques ce matin au cours d’une conférence de presse. Face à cette situation, Libération a recueilli les témoignages croisés d’un surveillant et d’un détenu. Le premier travaille aux Baumettes, après avoir connu plusieurs autres établissements dans sa longue carrière. Le second y est incarcéré après avoir fréquenté, lui aussi, près d’une dizaine d’autres prisons. Leurs témoignages ont été recueillis sous couvert d’anonymat.

La pire prison

Le surveillant : « Dans ma carrière, j’ai connu tous les types d’établissements : maison d’arrêt, centrale, etc. Les Baumettes, c’est la pire prison que j’ai vue, et de très loin. La taule, c’est la taule : il n’y a rien de mieux pour casser un mec. Mais si en plus il débarque ici pour une première peine, c’est terrible. Ce n’est pas humain. J’ai des collègues qui disent qu’ils n’ont qu’à aller se faire enculer, que ce sont des voyous, qu’ils l’ont cherché. C’est pas possible. Moi, je ne fais pas ce métier pour traiter les gens comme si je gardais des boîtes de conserve. Le pire, c’est les bâtiments A et B, où on met les merdeux des cités. Le D en revanche est plus humain. C’est là qu’on met les détenus médiatiques. »

Le détenu :« Franchement, j’en ai fait beaucoup des prisons. Celle-là, c’est pire que tout ce que j’avais vu. On ne peut pas mettre des humains dans de telles conditions. Des animaux à la rigueur. Et encore, le mec qui tient un chenil dans cet état, il se ferait condamner. Rien que les odeurs quand vous arrivez, vous avez envie de vomir. »

Les rats et les cafards

Le détenu : « Il y a plein de rats ici. On les voit surtout dans les cours de promenade, les coursives. Le soir, quand plus personne ne passe, on les entend aussi se balader derrière la porte. Les cafards, c’est encore pire. Même dans les cellules propres il y en a partout. Ils font leurs nids, vous en trouvez derrière le frigo, dans les boîtes de DVD, le poste CD. »

Le surveillant : « Les rats c’est surtout terrible pour les surveillants qui travaillent la nuit, qui rejoignent les miradors par exemple. Ça grouille partout aux pieds des bâtiments parce que les détenus jettent leurs gamelles par les fenêtres. Il y en a aussi dans les coursives. Les auxiliaires du service général balaient tous les jours, mais le béton est rongé par endroits, les merdes se mettent dedans. On dératise mais on ne peut pas en venir à bout. C’est trop grand et trop dégueulasse. Il y en a partout. Pareil pour les cafards, autant en détention que dans les piaules et les bureaux des collègues. »

Les cellules

Le surveillant : « Aux Baumettes, quand un détenu casse les cacahuètes, on l’affecte dans "une cave", comme on dit. C’est comme ça qu’on appelle les cellules les plus dégradées. Ici, j’en ai vu sans fenêtre, avec des fuites, des chiottes descellées ou qui ne fonctionnent pas. Après, c’est tellement dégueulasse que les mecs dégradent encore plus. Un détenu qu’on veut récompenser, au contraire, on le met dans une cellule propre, avec des produits pour nettoyer. Mais que vous soyez bien traité ou non, si vos toilettes sont bouchées un vendredi soir, elles resteront comme ça au moins jusqu’au lundi, et deux ou trois mecs doivent faire leurs besoins là-dedans. La maintenance est de plus en plus compliquée, parce qu’il y a de moins en moins de moyens. »

Le détenu : « Quand tu rentres en cellule, les murs sont dégueulasses, les matelas sales, à moitié brûlés. Mais le pire, c’est les chiottes. On tend une serviette quand l’un de nous trois va chier, sinon tes collègues te regardent. Il n’y a pas de paroi pour séparer. »

Les douches

Le détenu : « A notre étage, je crois qu’il y en a quatre sur dix qui fonctionnent, pour 50 ou 60 détenus. Des fois l’eau est glacée, des fois elle est bouillante. Il ne faut surtout pas toucher les murs, tellement c’est dégueulasse. On attrape la gale, des furoncles… »

Le surveillant : « Dans certains bâtiments, il n’y a pas de lumière quand les mecs vont aux douches. Il y a de la violence mais c’est compliqué d’intervenir. On sait qu’ils attrapent des mycoses là-dedans. On sait aussi qu’il n’y a pas toujours de l’eau chaude, mais c’est tellement grand les Baumettes qu’il y a toujours des problèmes de chaufferie quelque part. »

La cantine

Le détenu : « Quand on veut cantiner ici [1], les produits qu’on commande arrivent deux semaines plus tard, et en général il n’y a pas tout ce que tu avais commandé. Il manque toujours quelque chose. Et comme on ne peut commander que deux exemplaires du même produit, on finit toujours par manquer. C’est grave, parce que tu peux pas manger la bouffe de la prison. On dirait qu’ils font cuire ça trois jours à l’avance et qu’ils réchauffent. C’est infect. »

Le surveillant : « C’est vrai qu’on a des problèmes avec la cantine. Il y a beaucoup de fauche aussi. Quand un mec est en promenade, on pose sa commande et des fois les autres se sont servis quand il remonte. »

La sécurité

Le détenu : « Il y a de la violence, des altercations, mais ça, c’est dans toutes les prisons. C’est surtout dans les cours de promenade. Quand un mec doit de l’argent à un autre par exemple. »

Le surveillant : « Quand je suis entré dans la pénitentiaire, il y avait des surveillants dans les cours de promenade. Maintenant, on n’y va plus, on surveille depuis des guérites. De toute façon, quand ils veulent choper un mec, ils le chopent. Mais l’insécurité, c’est aussi dans les cellules. Il y a plein d’interphones qui ne fonctionnent plus. Le mec qui fait un infarctus la nuit, s’il a pas des codétenus pour taper à la porte, comme au quartier d’isolement, il y reste… »

L’absentéisme

Le surveillant :« Il y a beaucoup de collègues qui craquent, qui sont en dépression. Pour un jeune qui débute et qui se retrouve à bosser aux étages aux Baumettes, c’est rude. Rien ne fonctionne, vous ne pouvez pas faire face aux demandes des détenus et les tensions montent. Beaucoup s’appuient sur les caïds. Si vous êtes bien avec un caïd, vous n’avez pas de problème. Du coup, certaines ailes sont tenues par les caïds. Pour celui qui a connu d’autres modes de fonctionnement, c’est très déstabilisant. Alors ils se font arrêter, il y a beaucoup plus d’absentéisme qu’ailleurs. Du coup, il faut faire avec moins de personnel, et ça s’aggrave. »

Le détenu : « Avant que j’arrive, on m’avait dit que les surveillants étaient plus souples, à cause de la saleté, de l’hygiène, de tout ce qui fonctionne pas. Moi je les trouve sévères. Je ne sais pas s’ils sont plus absents qu’ailleurs. Ce que je sais, c’est que j’aimerais bien m’absenter, moi aussi. »

Recommandations du contrôleur général :

Recommandations Baumettes JO


[1] On appelle « cantine » le système permettant de commander des produits (alimentaires ou autres) en prison.


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 14 décembre 2012

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