Agoraphobe, je ne sors pas de chez moi depuis quinze ans

Publié le 18 juillet 2010 sur OSIBouaké.org

Par Hélène Moreau | agoraphobe | 18/07/2010 | 11H55

Je suis agoraphobe. L’agoraphobie, ce sont des attaques de panique survenant plus généralement à l’extérieur (dans la rue, dans la foule), d’où son étymologie en grec : « agora », place publique et « phobos », peur. Cette maladie touche 2% à 4% de la population. Elle peut être mineure, en se développant à l’adolescence, et devenir majeure à l’âge adulte.

Depuis quinze ans, je ne sors plus du tout, j’ai organisé ma vie autrement. J’habite une petite maison avec une courette, pas d’appartement avec étage : l’agoraphobie peut en effet générer d’autres névroses, claustrophobie, peur du vide…

Je travaille, je saisis des textes de journalistes, les manuscrits de mon père, les recettes de cuisine d’une amie. Je m’occupe de mon intérieur. Je lis beaucoup. J’ai soif de m’instruire. Je fais mes courses par Internet.

J’ai même l’impression que ma vie est plus riche, moins superficielle qu’à l’époque où j’avais de l’argent, où je ne pensais qu’aux fringues et à faire la fête.

Paradoxalement, aujourd’hui, je suis moins timide, moins effacée, plus réactive, et, paradoxalement, mieux dans ma peau. Et surtout, j’ai une qualité primordiale pour mon entourage très proche : je suis disponible pour eux, et eux le sont pour moi.

En ce qui concerne mes amis, bien sûr, j’en ai très peu : à force de décliner les invitations sous divers prétextes -oui, on vit dans le mensonge avec cette maladie ! -, la plupart m’ont abandonnée.

Quelques résistants viennent me voir ; j’intéresse peu les autres.

J’ai l’impression de leur faire peur. Fait curieux et inexpliqué pour moi : dans mes rêves, je vis normalement, je voyage, je fais les magasins… Je n’ai pas besoin de médication, à part deux anxiolytiques, un le matin et un autre le soir, et je n’ai jamais ressenti le besoin de voir un thérapeute, il me semble avoir tout compris de l’origine de mes névroses, mais peut-être suis-je trop sûre de moi !

La société n’est pas simple

Je ne peux avoir accès aux soins médicaux autres que ceux de mon médecin traitant : dentistes, ophtalmologues, gynécologue ne se déplacent pas à domicile. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de les faire venir, après avoir exposé ma situation. J’aurais pourtant besoin de lunettes, de soins dentaires, etc.

Une fois, si, un dentiste urgentiste s’est déplacé pour m’arracher une dent qui me faisait souffrir, et quand il s’est aperçu que c’était une dent de sagesse, il n’a pas voulu procéder à l’extraction : trop dangereux (il m’a quand même délestée de 60 euros).

Quand je lis dans un de vos article qu’un joueur de la Coupe du monde a fait venir son dentiste personnel (pour un coût de 25 000 euros) avec sa mallette de soins, alors là je reste pantoise. C’est donc « faisable » de se déplacer avec du matériel adéquat, contrairement à ce que l’on m’a répondu maintes et maintes fois ? Je me pose la question : si j’étais « riche », cela se passerait-il différemment ? Je suppose que oui.

Certes, nous ne sommes pas nombreux à souffrir de ce genre de maladie, mais doit-on pour autant laisser de côté cette minorité sans accès aux soins basiques ? N’est-ce pas le rôle d’un médecin de « soigner », en toutes circonstances ?

Première attaque à 10 ans

Comment suis-je devenue agoraphobe ? Il faut revenir au commencement. Nous vivions mon frère et moi avec nos parents dans une petite banlieue tranquille de Bruxelles. Papa travaillait comme correcteur dans un grand quotidien belge, huit heures par jour, et se consacrait à sa passion, l’écriture, après le travail, tard dans la nuit et les week-ends.

Comme il vivait, selon ses mots, un « enfer » en Belgique, il a décidé de partir à la conquête de la France qu’il aimait passionnément. Nous voilà donc tous émigrés dans une autre banlieue, cette fois-ci parisienne.

Le déracinement consécutif à ce départ a provoqué ma première crise d’angoisse, dans la rue, en rentrant de l’école : sensation d’étouffement, d’étranglement, la peur de mourir : j’avais 10 ans.

Plus tard, R., un ami proche de mon père, poète, s’est suicidé, la détresse des parents de R. m’a fait prendre conscience de la mort. Leur besoin d’affection s’est reporté sur moi, et ils ont décidé de m’emmener chez eux passer plusieurs jours.

Je dormais dans la chambre du « suicidé » (pas très malin de leur part ! ) ; plusieurs crises de panique se sont alors déclenchées. D’autres ont suivi : chez ma tante, au moment de me coucher, des tremblements incontrôlés que je pensais dûs au froid.

Plus tard, des échecs scolaires, des maux de ventre inexpliqués avant de partir pour l’école… et à 17 ans, le premier boulot. Je me suis mariée avec C., j’ai eu un enfant, Baptiste.

Tout allait plutôt bien jusqu’au jour où nous sommes partis avec des amis passer un week-end. Et là, dans la rue, une crise terrible. Semant mes amis, je me suis précipitée dans une pharmacie en leur disant que j’avais besoin d’aide en urgence, que j’allais très mal, et qu’il me fallait des médicaments, ils m’en ont donné de très légers tout en me conseillant d’aller voir un médecin. Rentrée à l’hôtel, tremblements incontrôlés et paroxysme de la crise : vomissements.

Une autre fois, en Italie, sur le point d’arriver à Venise en voiture, je demande à C. de faire demi-tour, je ne me sens pas bien, je veux rentrer chez moi. Il ne m’a pas écoutée. Là encore dans la chambre d’hôtel : convulsions et vomissements.

Chaque crise me laissait pantelante, sans aucune énergie… J’appris plus tard que je faisais de la dépression. Dans le même temps, ma mère souffrait d’agoraphobie, elle restait enfermée chez elle. Elle prenait jusqu’à dix médicaments par jour.

J’ai continué de vivre ma vie tout en évitant les longs voyages. Ensuite, j’ai mené une vie étourdissante, fêtes, alcool, liaisons…

Toute cette vie d’errance où je me trouvais dans un état second m’a coûté mon mariage. Jusqu’au jour où un amant plus possessif que les autres s’est montré violent, et m’a harcelée à tel point que je me cloîtrais chez moi pour l’éviter. Ce fut l’élément déclencheur. J’étais devenue agoraphobe.

Mes parents n’ont rien « vu » ou ont fermé les yeux. Peut-être aurais-je pu être soignée à ce moment-là…

Découverte de l’agoraphobie

Je ne m’habituais pas à l’agoraphobie qui était devenue pour moi « la peur d’avoir peur »… Je la subissais au quotidien. Je me suis sentie tombée très bas… J’ai cru ne pas pouvoir m’en sortir, et de ce fait, ne m’en suis pas sortie du tout. Je suis passée par tous les états émotionnels possibles : dépressions, « pétages de plomb », violence verbale…

J’ai quand même réussi quelquefois à sortir, après m’être désinhibée par l’alcool, et alors là, j’ai vraiment fait n’importe quoi : des achats compulsifs, un chariot rempli de victuailles rapporté à la maison et dont j’ai jeté la moitié la poubelle.

Et puis j’ai lâché prise, j’ai renoncé, parce que je me suis aperçue, dans un premier temps, que je ne risquais rien, que je n’en mourrai pas, et que ma pire ennemie pouvait devenir mon alliée.

Je l’ai donc « acceptée » ma vie, dans une « bulle ». Il n’y aura pas de miracle. Pas de guérison possible pour moi. Ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère étaient toutes les trois atteintes de ce que j’appelle depuis un « accident génétique ».

imprimer

retour au site