Report des procès Lubanga et Bemba : le discrédit plane sur la CPI

Publié le 12 juillet 2010 sur OSIBouaké.org

Mediacongo.net - Kinshasa - 10/07/2010

L’attitude ambiguë du procureur près la Cour pénale internationale (CPI  ), Luis Moreno O’Campo, dans diverses affaires où sont mis en cause quelques sujets congolais, dont Thomas Lubanga et Jean-Pierre Bemba, a pris une autre tournure dans l’instance judiciaire de La Haye. Il y a un vent violent qui souffle dans les rapports entre les juges de la CPI   et M. Moreno, particulièrement dans le dossier Thomas Lubanga. Que cache donc ce dernier ? Dans les différents cercles politiques de la ville de Kinshasa, comme ailleurs, la conversation est sur toutes les lèvres. Finalement, c’est la CPI   qui joue sa crédibilité pour confirmer son indépendance.

Suspension du procès Thomas Lubanga, nouveau report du procès Jean-Pierre Bemba. La Cour pénale internationale (CPI  ) se perd en conjectures dans les procès pour lesquels elle était censée se prononcer pour rétablir la justice internationale. Le tout dernier événement est la suspension contre toute attente du procès Thomas Lubanga. Les raisons évoquées par les juges traduisent tout le malaise qui ronge l’institution judiciaire de La Haye.

Le procès de l’ancien chef de milice de l’UPC en Ituri, dans la Province Orientale, a été donc suspendu le jeudi 8 juillet 2010 par les juges de la Cour pénale internationale qui reprochent au procureur Moreno d’avoir refusé d’appliquer leurs décisions. « Le procureur a choisi d’agir unilatéralement », ont indiqué les juges dans leur ordonnance : « dans ces circonstances il est nécessaire de suspendre le procès qui est une procédure abusive », rapporte l’AFP. En matière juridictionnelle, cela s’appelle une entrave à la justice. Pourquoi Moreno a choisi de faire front contre les juges ? Que cache son attitude ? Se sentirait-il perdant dans un procès dont les variables de décision échapperaient déjà à son contrôle ? Ou s’est-il senti perdant à l’avance ? Des commentaires vont dans tous les sens.

Pour la Chambre de première instance I de la Cour pénale internationale, qui a en charge le dossier Lubanga, les mobiles de cette suspensions tiendraient à l’équité des procédures à l’encontre de l’accusé qui, estime-t-elle, n’est plus garantie, du fait du non respect par l’accusation des ordonnances émises par la Chambre.

LES EXIGENCES DE LA CHAMBRE

Selon une source des Nations unies, la Chambre avait ordonné au Bureau du Procureur de divulguer confidentiellement à la défense les noms de l’intermédiaire 143 ainsi que d’autres informations sur son identité.

La Chambre de première instance I a considéré qu’afin de lui permettre de veiller à ce que l’accusé bénéficie d’un procès équitable, il est nécessaire que ses ordonnances et décisions soient respectées, jusqu’à ce que ces dernières soient renversées en appel, ou suspendues sur ordre de la Cour. « Aussi longtemps que ces circonstances perdurent, l’accusé ne peut être jugé de façon équitable et la justice ne peut être rendue », souligne l’ordonnance de jeudi.

Cependant, le procureur est resté de marbre dans sa position, se refusant de répondre favorablement à la demande de la Cour, en divulguant notamment l’identité d’un intermédiaire qu’il avait chargé de retrouver des témoins des crimes de guerre dont est accusé Thomas Lubanga.

Selon la défense de l’ex-chef de milice, de faux témoignages avaient été « fabriqués » avec l’assistance d’intermédiaires et la collaboration du bureau du procureur. Les témoins présentés par l’accusation comme étant des enfants soldats avaient tous menti lors de la présentation des charges contre l’accusé, affirme encore la défense.

Dans le but, sans doute de se dédouaner, la Cour a prédit la suite des événements, faisant remarquer que, pendant la suspension des procédures, la Chambre traitera toute demande d’autorisation d’interjeter appel de cette décision. De même, la Chambre s’est dit disposer à recevoir les éventuelles requêtes concernant la possible application de l’article 71 du Statut de Rome (sanctions en cas d’inconduite à l’audience) et des requêtes relatives à la détention de l’accusé.

Outre Thomas Lubunga, la CPI   se bute presque aux mêmes difficultés pour le procès Bemba. A plusieurs reprises, se rappelle-t-on, la défense de l’ex-vice-président de la RDC avait clairement fustigé l’absence de collaboration du procureur dans l’échange des pièces du procès. Malheureusement, elle n’a pas su obtenir gain de cause, la Cour s’obstinant à se laisser entraîner dans la voie de la défense. Mais, avec un peu de recul, l’on se rend bien compte que la CPI   n’est pas une structure aussi indépendante comme elle a toujours été présentée.

L’ouverture du procès Jean-Pierre Bemba à la CPI   n’aura pas lieu le 14 juillet comme initialement prévu. La Chambre de première instance III de cette juridiction a décidé de reporter de nouveau le rendez-vous. La décision a été prise le mercredi 7 juillet pour permettre à la Chambre d’appel de se prononcer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la défense du sénateur congolais. La décision a été prise dans l’intérêt de la justice, estime la Chambre de première instance.

Selon le chargé de communication de la CPI   en RDC, les juges de la Chambre de première instance considèrent qu’il serait inapproprié de commencer le procès alors qu’il existe devant la chambre la question de savoir si les procédures devaient être suspendues ou pas.

En effet, le 24 juin, les juges de la Chambre de première instance avaient rejeté les exceptions d’irrecevabilité et d’abus de procédure soulevées par la défense de Jean-Pierre Bemba. Les avocats de Jean-Pierre Bemba avaient à leur tour interjeté appel contre cette décision des juges.

A Kinshasa, certains ténors de l’opposition dénoncent ce qu’ils appellent « une justice orientée et manipulée » et invitent en même temps la CPI   « à rendre réellement justice, au lieu de servir d’instrument de règlement de compte ». Une affirmation qui se répand de plus en plus dans les milieux politiques congolais.

LA NEBULEUSE DE LA HAYE

Même si de l’extérieur, la CPI   fait preuve d’une certaine indépendance dans l’instruction des dossiers transmis à son instance, de l’intérieur, la Cour a tout l’air de subir encore le poids des forces obscures. Déjà, son procureur, Luis Moreno O’Campo se trouve dans la position d’un électron libre, n’obéissant qu’à ses seuls reflexes et ne laissant nullement soumis aux procédures prévues dans le traité créant la CPI  .

C’est donc la crédibilité de la CPI  , pense-t-on, qui est en jeu. Les rapports tendus entre les juges et le procureur sont le reflet de la complexité dans laquelle fonctionne la CPI  . Mais, ces tensions traduisent également un fait. C’est-à-dire la reconsidération de la CPI   en tant qu’instance internationale de justice. Pour retrouver sa crédibilité, qui s’effrite au jour le jour, la CPI   doit en première lieu s’interroger sur l’efficacité de ses procédures, avant d’assainir ses us et coutumes.

Tout entêtement de sa part serait contre-productif et lui fera perdre tout son sens dans un monde en pleine mutation où, à côté de l’Occident – grand bâtisseur de la CPI   – d’autres pays émergents s’efforcent de s’affirmer pour un nouvel ordre mondial, bâti sur l’égal traitement des Nations sur la scène internationale.

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