Un détenu se suicide trois jours après un refus d’hospitalisation

Publié le 5 juillet 2010 sur OSIBouaké.org

Par Laure Heinich-Luijer | Avocate | 04/07/2010 | 18H13

L’effet de vases communicants est flagrant : les hôpitaux psychiatriques se vident de leurs lits et les prisons se remplissent de personnes atteintes de troubles mentaux. Les psychiatres défroquent-ils leur blouse blanche ?

Ils semblent en tous cas s’accorder avec les politiques sur le fait que les pathologies mentales ne doivent pas permettre l’immunité judiciaire. A peine 1% des expertises psychiatriques concluent à l’abolition du discernement des mis en cause et donc à leur irresponsabilité pénale.

Les experts deviennent ainsi la caution « scientifique » des décisions d’emprisonnement comme les avocats sont l’alibi de la procédure pénale.

La société, informée par quelques faits divers sur-médiatisés et utilisés à des fins sécuritaires, porte le fantasme du tout carcéral contre le rien psychiatrique que représenterait l’hospitalisation d’office. Cela arrange nécessairement quelques praticiens qui ont, et on les comprend, peur des agressions et des évasions à l’hôpital.

Le centre pénitentiaire de Liancourt serait-il le reflet de ce tout carcéral, de ses dérives et de ses drames ? La prison est en tout cas à l’image de la statuette des trois singes que l’on voit dans le bureau de la DRH de l’hôpital de Clermont-de-l’Oise, dont dépend la centre pénitentiaire, avec les mains sur les yeux, la bouche et les oreilles. Pour les psychologues qui y travaillent, cette statuette symboliserait-elle le seul moyen de conserver leur emploi ?

Neutraliser le détenu, plutôt que soigner le patient Un quart du centre pénitentiaire est sur liste d’attente pour voir un psychiatre ou un psychologue. Il faut compter quatre à six mois pour les premiers entretiens d’évaluation sans que ceux-ci ne soient encore une prise en charge.

A Liancourt, comme dans tous les établissements pénitentiaires, il s’agit de neutraliser des détenus plutôt que de soigner des patients.

Les traitements sont régulièrement renouvelés sans voir les individus. Les médicaments se cumulent dans des sachets sans que les infirmiers soient bien certains de leur compatibilité car il n’y a pas de préparateur en pharmacie à Liancourt.

Dans les prisons françaises, en manque d’effectif médical, on ne peut pas être patient et détenu, il faut choisir.

Le numéro 5669 est mort. Il avait un numéro d’écrou au lieu d’un lit d’hôpital. Il est mort et il avait prévenu. Autant qu’un suicidaire puisse le faire.

En tournant les pages de son dossier, il n’y a pas une feuille sans les initiales TS, pour « tentative de suicide ».

* Avant d’être incarcéré : TS. * Grille de vulnérabilité : TS. * Notice individuelle : TS. * Fiche d’observation : TS. * Fiche audience arrivant : TS.

Et quand il n’est pas écrit TS, on lit « risque auto-agressif », le mot est plus recherché.

5669 avait fait quatre tentatives de suicide préalables desquelles il avait été sauvé in extremis en service de réanimation.

Le risque suicidaire était si évident que l’administration pénitentiaire l’avait placé sous surveillance spéciale. Il faisait également l’objet d’un traitement psychiatrique et psychologique.

Un refus d’hospitalisation sans entretien préalable A partir du 1er mars 2010, tout convergeait pour indiquer qu’une nouvelle tentative était imminente : il stockait son traitement médical, sa femme introduisait une procédure de divorce, une confrontation avec la partie civile était prévue, le juge d’instruction refusait finalement d’accorder un permis de visite à son fils après lui avoir annoncé le contraire.

Il avait, par ailleurs, perdu trente kilos en six mois de détention et avait été hospitalisé d’office trois jours en novembre 2009. Devant ce tableau accablant, le psychologue qui le suivait en détention a demandé à la psychiatre de le faire bénéficier d’une hospitalisation d’office.

Le conseiller d’insertion et de probation signalait lui aussi le risque accru de suicide. La psychiatre a refusé l’hospitalisation le 5 mars 2010 sans même prendre le soin de rencontrer le patient -le détenu ? le numéro d’écrou ?

Effectivement, bien qu’en détention provisoire et donc présumé innocent, le numéro 5669, incarcéré pour inceste, n’avait pas grand chose pour plaire. Il s’est suicidé le 8 mars 2010.

La Commission nationale de déontologie saisie

A Liancourt, a-t-on oublié le droit à la vie tel qu’il résulte de l’article 2 de la Convention européenne ?

C’est sur ce fondement que le Conseil d’Etat considère qu’un détenu est une personne particulièrement vulnérable, entièrement dépendante de l’administration, laquelle doit par conséquent prendre les mesures nécessaires à protéger sa vie :

« En vertu d’un principe rappelé notamment par la première phrase de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, au terme de laquelle le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi, eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration, il appartient tout particulièrement à celle-ci, et notamment au garde des Sceaux, ministre de la Justice et aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie. » (Conseil d’Etat, arrêt du 17 décembre 2008 rendu à l’initiative de la section française de l’Observatoire international des prisons)

Si la société d’aujourd’hui considère qu’elle n’a pas à tout mettre en œuvre pour garder les auteurs d’infraction en vie pour ce qu’ils sont, peut-être devrait-elle au moins le faire au nom des victimes et de leur droit à un procès et ce, bien que l’on sache que celui-ci demeure toujours sans rapport avec leur douleur et sans effet sur elle.

Le psychologue a averti la hiérarchie du refus opposé par la psychiatre à l’hospitalisation d’office. Il a également fait saisir la Commission nationale de déontologie de la sécurité pour que des explications soient données sur les conditions de ce passage à l’acte.

Psychologue diligent, fort bien noté jusque là, il recevait un avis défavorable à sa titularisation. Il s’était manifestement trompé de serment. Au centre pénitentiaire de Liancourt on n’est pas fidèle à Hippocrate, on l’est à la statuette : ne rien dire, ne rien entendre, ne rien voir

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