Les Bleus « black-blanc-beur » encore coincés sur leur origine

Publié le 1er juillet 2010 sur OSIBouaké.org

Par Chloé Leprince | Rue89 | 01/07/2010 | 13H20

« Dites à M. Escalettes que l’on veut une équipe de France blanche et chrétienne », ont scandé des supporters au siège de la FFF.

Patrice Evra le 21 juin 2010 en Afrique du Sud (Ivan Alvarado/Reuters).

Vendredi 25 juin, le siège de la Fédération française de football (FFF) a été envahi par une trentaine de personnes criant « L’Algérie c’est pas la France » et encore :

« Dites à M. Escalettes que l’on veut une équipe de France blanche et chrétienne, virez les bougnoules, les “muslims” et les Noirs. Dites-lui que l’on reviendra et qu’on cassera tout. »

Entre-temps, Jean-Pierre Escalettes, président de la FFF, a démissionné. Son geste a été médiatisé. Mais de l’irruption des supporters racistes, on a très peu parlé. Pourtant, la stigmatisation de la couleur, de la religion ou de l’origine supposée des joueurs de la sélection nationale est un vieux serpent de mer.

Bien sûr, vous songez à Jean-Marie Le Pen, outré en 2006 qu’une partie de l’équipe de France n’ait pas entonné à pleins poumons « La Marseillaise » sur les pelouses de l’Euro (« Certains ne la connaissent même pas »). Ou encore, quelques jours plus tard, à Georges Frêche. Le président de la région Midi-Pyrénées, qui appartenait encore aux rangs socialistes, avait fait grand bruit en déclarant que l’équipe de France lui faisait « honte » :

« Bientôt elle comptera onze Blacks. »

On n’a pas non plus oublié Finkelkraut qui arguait qu’une équipe « black, black, black » faisait « ricaner toute l’Europe ». L’intellectuel médiatique faisait évidemment référence au label « black-blanc-beur » cuisiné à toutes les sauces dans le chaudron euphorique de la victoire tricolore en Coupe du monde, en 1998.

Un documentaire diffusé sur Canal+ début juin, à l’occasion du début du Mondial 2010 se consacre exclusivement à la dose de mélanine de la sélection nationale. Il est signé Pascal Blanchard, historien, et Morad Aït-Habbouche, réalisateur.

Histoire du foot, histoire de France

Ce que ce film inédit démontre avec efficacité, interviews de joueurs et images d’archives à l’appui, c’est l’imbrication des histoires : celle du football français avec celle de l’immigration (Platini, Kopa, Fernandez…), celles de colonies (Boli, Tigana, Zidane, Vieria…) et celle de l’Outre-Mer (Lama, Karembeu, Thuram, Henry…). (Voir la vidéo)

Au total, 72 joueurs Afro-Antillais ont porté le maillot tricolore. La première sélection d’un étranger en équipe de France remonte à 1908. Celle du premier Noir à 1931. Cette année-là, Raoul Diagne change l’historiographie du sport en France. Il est moitié guyanais, moitié sénégalais, on le surnomme « L’Araignée noire » depuis les gradins bardés de publicité « Dubonnet ». Son père est sous-secrétaire d’Etat africain de la République française, il inaugure l’Exposition coloniale qui s’installe justement cette année-là au Bois de Vincennes.

La famille de Karembeu exhibée à l’Exposition universelle

A l’intérieur de cette exposition dont on écoulera trente millions de billets d’entrée, des pavillons mais aussi des indigènes qu’on exhibe. Parmi eux, sur des photos d’époque, Christian Karembeu reconnaîtra « tous [ses] grands-pères et tous [ses] oncles ». Karembeu est kanak de Nouvelle-Calédonie.

Entre les deux hommes, un même destin iconique sur les pelouses tricolores. Mais Diagne devra interrompre sa carrière internationale durant la Seconde Guerre mondiale, tandis que Karembeu raconte dans le film pourquoi il préférait se taire plutôt que de chanter « La Marseillaise », en 1998.

Ce qui frappe lorsque l’on regarde le film, c’est combien la France ne rompt finalement jamais avec une vision essentialiste des Noirs. Après les Jeux olympiques de 1936 et le sacre de Jesse Owens, les autorités françaises d’Afrique de l’Ouest décident même carrément de partir chercher une nouvelle élite sportive en brousse.

Vingt ans après avoir été un réservoir de tirailleurs pour l’armée, les colonies deviennent ainsi un creuset d’athlètes très prisés, malgré les caricatures qui continuent d’irriguer la publicité, le cinéma et les mentalités en général.

Mais alors que le père de Basile Boli, ivoirien, affiche au mur la photo du maréchal Leclerc qui l’avait commandé au sein de la 2e DB, ce sont les propriétés intrinsèques du corps noir qu’on célèbre quand émerge Larbi Ben Barek, « La Perle noire », alors que le Marocain a conservé depuis l’après-guerre le record inégalé du nombre de sélections en équipe de France. (Voir ces images commentées par Thierry Roland, qui datent des années 50)

Métaphores essentialistes

Cela n’évoluera jamais vraiment pour ceux qui lui succèderont : métaphores félines, attributs fougueux, prétendues « qualités naturelles », postes à l’attaque plutôt qu’en défense malgré Marius Trésor et Jean-Pierre Adams… Derrière ces pseudo-compliments, rien d’autre que le mythe du bon sauvage et une opposition entre nature et culture.

C’est encore le cas en 1984, alors qu’on vient de célébrer le « cinq majeur » de « l’équipe noire » demie-finaliste du Mondial 82 et qu’on salue en 1984 la victoire d’une « équipe métissée ». C’est l’année qui voit émerger le Front national, mais l’année aussi où Jean Tigana, mère marseillaise et père sénégalais, parle de « mélange de races » tandis que les commentateurs évoque « un Africain qui n’est pas vraiment africain ». La preuve ? « Il a l’accent du Midi ! »

Les premières attaques ouvertement racistes jaillissent surtout à partir de 1996. C’est le début des cris de singes dans les stades italiens, c’est aussi l’époque à laquelle émerge la génération de Lilian Thuram ou Thierry Henry. Cette génération-là se rebellera contre les attaques racistes, qu’elles viennent des supporters ou d’un entraineur comme Luis Aragones qui traitait Henry de « nègre de merde ».

Curieusement, plus les joueurs seront nés français (dans les DOM-TOM ou de parents immigrés dans l’Hexagone) plus le phénomène amplifiera. Justement parce qu’on parle ici de couleur et qu’Henry lui-même utilise le terme de « race ».

« Black-blanc-beur », « un faux slogan »

C’est cette génération-là qui a remporté le Mondial 98, et de ce groupe à l’image de la France dont est issu Zidane, personnalité préférée des Français. Or, pour Lilian Thuram, c’est précisément l’effet pervers d’un slogan comme « Black-blanc-beur » :

« Tous ces faux slogans parasitent la réflexion. Un Maghrébin ne peut pas devenir président de la République en France. »

Thuram est connu pour ses initiatives antiracisme. Lama est le premier à s’être ouvertement exprimé sur la question alors que Luc Sonor trouvait ça banal. Le gardien de but né en Guyane raconte la difficulté qu’ont les joueurs français à se saisir de la question :

« Il y a un véritable problème dans la société française parce que justement on n’en a jamais vraiment parlé. Et même nous, il a toujours été très difficile pour nous de nous exprimer sans être ghettoïsés, considérés comme extrémistes.

Simplement parler de soi, de sa personnalité, de sa couleur, de ses origines à un moment donné, ce n’était pas politiquement correct en France. »

Il a fallu attendre 2005 pour que l’équipe de France dispute son tout premier match sur un terrain ultramarin. Et alors que Thuram, Henry, Angloma, Silvestre, Anelka, Saha y ont leurs origines, l’initiative avait fait débat.

Thierry Henry, qui a marqué le plus de buts avec le maillot tricolore, dit justement ceci de son enfance aux Ulis, en banlieue parisienne :

« J’ai commencé à me retourner et à chercher mes racines vers 19, 20 ans. Le mec qui arrive en France à 9, 10 ans, arrive avec ses racines. Celui qui grandit en France… il les cherche. »

Aujourd’hui, la sélection française est la plus métissée d’Europe. Mais, quand elle échoue sur les pelouses sud-africaines, ce qu’une bande de supporters racistes demande à la Fédération, c’est de « virer les bougnoules, les “muslims” et les Noirs ».

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