Autour de « La Révélation » : « La justice internationale insuffisante »

Publié le 9 mai 2010 sur OSIBouaké.org

Rue 89 - Par Carole Vann | Tribune des droits humains | 20/03/2010

(De Genève) Sorti cette semaine, le film « La révélation » de Hans-Christian Schmid raconte sous forme de thriller les coulisses de la justice internationale. Hannah Maynard, procureur général du TPIY (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie), tente de déterminer, à travers un témoin clef, le rôle que Goran Durik a joué dans le nettoyage ethnique des Musulmans de Bosnie entre 1992 et 1995.

Marchandages politiques, menaces des anciens bourreaux sur les témoins… le film dévoile une justice dont la recherche de vérité est mise en échec par les limites des tribunaux et les intérêts diplomatiques.

Des questionnements que soulève aussi l’ancienne journaliste et porte-parole de Carla Del Ponte, ex-procureure du TPIY à La Haye, Florence Hartmann dans son livre Paix et châtiment : les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales (éd. Flammarion). Certains passages de ce livre lui ont valu d’être poursuivie à son tour par le TPIY, et d’être condamnée à une peine d’amende. Elle a fait appel.

Présente à Genève à l’occasion du festival des films sur les droits humains (FIFDH), dont Rue89 était partenaire, Florence Hartmann, qui a conseillé l’auteur de « La Révélation », revient sur la toile de fond du film.

Dans « La Révélation », on constate un abîme entre la logique froide de la justice internationale et le besoin impératif de justice des victimes. Comment voyez-vous cela ?

La justice internationale n’a pas pour mission de poursuivre tous les individus, comme dans les crimes de droit commun. Elle est sélective et peut créer une insatisfaction légitime. La victime peut être confrontée à des cas de figure où son bourreau ne se retrouve pas devant une cour. En ce sens, la justice internationale est insuffisante, il ne faut pas la concevoir comme un processus unique.

Quels sont les autres processus possibles ?

Les commissions vérité réconciliation, par exemple, permettent d’établir les faits et reconstituer les chaînes de commandement dans les crimes de masse. Cela afin de montrer qu’il s’agit de crimes de système, de processus mis en branle par des dirigeants politiques, parfois par l’Etat, et non de violences entre voisins qui se détesteraient et qui subitement prendraient la machette et la kalachnikov pour s’entretuer.

Mais ce genre de processus, possible en Afrique du Sud ou en Amérique latine, ne l’est pas dans le cas de l’ex-Yougoslavie. Car il y a plusieurs Etats et on ne pourrait concevoir des commissions vérités et réconciliations travaillant de manière séparée et racontant chacune ce qu’elle entend par sa propre vérité. On n’avancerait pas.

Le film montre les marchandages politiques qui se livrent autour de cette justice, avec des conséquences brutales pour les victimes. Pourquoi la justice dérange-t-elle tant ?

Ce n’est pas la justice qui dérange mais la vérité qui en découle. On le voit avec les problèmes auxquels est confronté aujourd’hui le juge Garzon en Espagne, qui, en voulant ouvrir les charniers, ouvre aussi des questions de fond sur les réelles implications dans la guerre civile en Espagne. Cela dit, les pressions politiques existent dans tous les systèmes de justice, nationaux et internationaux.

Est-il possible de venir à bout de l’antagonisme entre la recherche de la paix qui passe par la politique et la justice internationale ?

C’est difficile. On a un exemple avec l’inculpation du président soudanais Omar al-Bachir. Les diplomates s’en servent comme instrument diplomatique, le forçant à signer des accords de paix qui étaient bloqués jusqu’à présent. Mais, pour que l’accord marche, il faut geler l’inculpation et surtout ne pas le conduire devant les tribunaux.

La paix et la justice, toutes deux indispensables, ne fonctionnent pas dans la même temporalité. La justice travaille sur le passé et le long terme, fournissant certains instruments préalables indispensables à la réconciliation. Alors que la politique se fait dans l’immédiat : on veut l’intégration dans l’Union européenne, la démocratisation, etc. On n’arrive donc pas à conjuguer les deux processus et il n’y a pour l’instant pas de réflexion à ce sujet.

La justice internationale est en pleine construction. Y a-t-il des éléments à changer de manière urgente ?

Il faut que les magistrats soient élus selon leurs compétences et non pour des raisons politiques. Les Etats doivent cesser d’envoyer des diplomates pour être juges devant les institutions internationales. Certains juges à la CPI   n’ont jamais fait de droit pénal. Il faut que la justice soit indépendante. Ce n’est pas le cas à la CPI  , qui a d’ailleurs été instituée avec un contrôle politique, celui du Conseil de sécurité qui s’est érigé en parquet supérieur. Cela pose un véritable problème.


http://www.amnesty-marseille.fr/spip.php?article265

Amnesty soutient le film "La révélation"

LA REVELATION met en scène le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et les pressions exercées pour l’empêcher de fonctionner, en particulier dans l’instruction de viols comme armes de guerre. C’est un film d’actualité, au moment où l’on juge Radovan Karadzic.

A travers le procès fictif de l’ex-général serbe Goran Duric, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour ses actes dans le conflit bosniaque (1992-1995), le réalisateur Hans-Christian Schmid met en scène le travail du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). LA REVELATION montre à quelles pressions est soumis le travail du TPIY, à quels compromis ou compromissions la justice doit se résoudre pour arriver à quelques résultats. Il apparaît clairement qu’il existe une terrible contradiction entre la grandeur des principes fondateurs de ces juridictions et la réalité des intérêts particuliers, notamment le manque de volonté politique des autorités de l’ex-Yougoslavie de coopérer pleinement avec le Tribunal.

Campagne d’Amnesty international pour la lutte contre l’impunité

L’impunité résulte de l’absence de volonté des Etats de poursuivre les responsables des violations des droits humains. Certains crimes sont d’une telle gravité -crimes de guerre, crimes de génocide, crimes contre l’humanité- qu’ils concernent la communauté internationale toute entière.

Selon le principe de "compétence universelle", les tribunaux nationaux du monde entier doivent pouvoir juger localement les suspects de crimes internationaux qui ne seraient pas déférés à la Cour Pénale Internationale (CPI  ). Celle-ci en effet a vocation à juger les cas les plus graves et les plus emblématiques de ces crimes, mais ne peut guère gérer plus de trois ou quatre dossiers par an.

Le Statut de Rome créant la CPI   et signé le 17 juillet 1998 par 120 Etats a instauré une complémentarité entre la CPI   et les tribunaux nationaux. Mais cela suppose que les Etats adaptent leurs législations pour permettre à leurs tribunaux d’assumer ces responsabilités nouvelles.

Or la France, "Patrie des Droits de l’Homme", a 10 ans de retard.

Depuis juin 2000, le gouvernement français doit faire voter par le Parlement un projet de loi d’adaptation du droit interne au Statut de Rome, indispensable à la mise en œuvre de ce dernier. A ce jour, le projet n’a pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. La France, à la différence de nombreux pays européens, ne peut donc arrêter et juger les suspects de crimes de guerre, génocide, crimes contre l’humanité qui se trouveraient sur son territoire.

Vous pouvez signer la pétition en ligne adressée au Président de la République.

Le viol, crime de guerre

LA REVELATION évoque aussi les viols organisés et planifiés pour servir une politique d’épuration ethnique, visant à détruire une collectivité entière. A ce jour, les femmes du Soudan Darfour, du Tchad, de la Guinée (28 septembre 2009), ont subi ou continuent de subir des viols systématiques et quotidiens. L’ONU  , dans sa résolution 1820, rappelle que "le viol et d’autres formes de violence sexuelle peuvent constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un élément constitutif de crime de génocide", et menace de traduire les suspects devant la cour pénale internationale. Dans ce domaine aussi, les tribunaux nationaux doivent prendre des mesures contre ces criminels ; or, 14 ans après, les milliers de femmes de Bosnie-Herzégovine violées pendant la guerre n’ont toujours pas obtenu réparation.

Vous pouvez signer la pétition en ligne adressée au Premier Ministre de Bosnie-Herzégovine .

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