Afrique australe : Se préparer au pire

Publié le 18 mars 2010 sur OSIBouaké.org

Johannesburg, 4 mars 2010 (PLUSNEWS) - Lorsqu’une crise éclate, l’accès aux médicaments antirétroviraux (ARV  ) peut faire partie des premières victimes, en particulier dans les pays où de nombreux habitants sont sous traitement.

Mais en Afrique australe, si, comme l’expérience l’a montré, espérer prévenir les perturbations des traitements reviendrait à prendre ses désirs pour des réalités, il est devenu urgent de s’y préparer.

Dans le cadre de nouvelles recherches, la Division des recherches sur l’économie de la santé et le VIH  /SIDA   (HEARD) de l’université du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud, a comparé trois crises récentes ayant occasionné une perturbation des traitements (les inondations de 2008 au Mozambique, la crise qui touche actuellement le secteur de la santé publique au Zimbabwe, et la grève du secteur public sud-africain en 2007) pour définir différentes stratégies possibles, visant à permettre aux patients de poursuivre leurs traitements en situation d’urgence.

Selon le rapport de la HEARD, intitulé Unplanned ARV   Treatment interruptions in southern Africa : what can we do to minimise the long-term risks ? [Interruptions imprévues des traitements ARV   en Afrique australe : que faire pour réduire les risques à long terme ?], la mauvaise planification est le principal facteur à l’origine de l’insuffisance des interventions menées pour combler les lacunes en matière d’accès aux traitements ; la HEARD suggère par ailleurs, dans son rapport, de mieux informer les médecins et les patients à réagir en cas de perturbation.

« Bien que les crises (qu’elles soient politiques, économiques ou environnementales) soient relativement fréquentes en Afrique australe, il y a très peu de planification méthodique en vue d’y faire face dans le cadre des programmes ARV   », a expliqué Andy Gibbs, de la HEARD, co-auteur du rapport. L’insuffisance des systèmes de santé de la région est souvent à l’origine de perturbations.

« Les systèmes de santé efficaces ont une bonne capacité de planification, une capacité à surveiller ce qui se passe et [à mobiliser] les compétences et les ressources nécessaires pour faire face à des problèmes inattendus », selon M. Gibbs. Des recherches ont en outre révélé l’existence d’une corrélation entre les perturbations des traitements et un risque accru de résistance aux médicaments et d’échec des traitements.

Survivre à la tempête

L’Afrique australe affiche des taux de prévalence du VIH   parmi les plus élevés du monde, et dans cette région chroniquement vulnérable, les sécheresses, les inondations et les cyclones donnent lieu à des situations d’urgence humanitaire. Aussi la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) a-t-elle incité ses Etats-membres à intégrer les traitements ARV   à la préparation aux catastrophes nationales.

Selon Mumtaz Mia, conseiller régional en interventions humanitaires pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe auprès du Programme commun des Nations Unies sur le sida   (ONUSIDA  ), le Mozambique, le Zimbabwe et la Namibie ont été les premiers à s’assurer que leurs populations ne manquaient pas de prendre toutes leurs doses d’ARV   en situation de catastrophe.

En 2007, le Mozambique a été frappé par des inondations parmi les plus graves de son histoire, et plus de 56 000 personnes ont été touchées par des crues en 2008 ; toutefois, d’après M. Mia, la planification assurée par l’ONUSIDA  , le Conseil national de lutte contre le sida   et l’Institut national de gestion des catastrophes a permis de réduire les perturbations occasionnées en matière de traitement.

La HEARD a découvert que le Mozambique avait cartographié la localisation des patients sous ARV   dans les zones sujettes aux crues, et formé les travailleurs communautaires de proximité des environs à la distribution d’ARV   avant les inondations dévastatrices de 2008.

Le docteur Mit Philips, analyste des politiques sanitaires au sein de l’organisation médicale et humanitaire internationale Médecins sans frontières (MSF  ), a souligné qu’il était important d’informer les patients avant et pendant les interruptions de traitement. MSF   opère au Mozambique, au Zimbabwe et en Afrique du Sud, et fournissait également des traitements ARV   pendant les violences post-électorales de 2008 au Kenya.

« Lorsque les [violences post-électorales] ont éclaté au Kenya, nous avons mis en place une assistance téléphonique gratuite, nous avons diffusé des spots radio et nous avons eu recours aux réseaux de pairs pour que les patients sachent où nous trouver pour venir chercher leurs pilules et poursuivre leurs traitements », a-t-elle expliqué à IRIN/PlusNews.

« Vous n’avez pas besoin d’aller chercher les patients, il faut juste s’assurer qu’ils sachent comment vous trouver. Si vous pouvez prévoir, il est important que les patients sachent comment faire face aux perturbations possibles dans leurs centres de santé habituels ; cela devrait faire partie de la connaissance élémentaire des traitements ».

Un secteur public pas si public

En 2007, l’Afrique du Sud a été ébranlée par une grève générale des services publics qui a duré un mois et a été suivie par un demi-million d’employés, dont les travailleurs de la santé. Selon les données communiquées par la province sud-africaine de Gauteng, le nombre de patients ayant débuté un traitement dans certaines zones telles que les quartiers défavorisés du centre-ville de Johannesbourg a diminué pour atteindre un des taux les plus faibles observés en quatre ans, selon la HEARD.

Pendant la grève, selon les témoignages recueillis par la Treatment Action Campaign, un groupe de lobbying contre le sida  , dans la province du Cap-Occidental, certaines pharmacies manquaient de personnel au point de ne pouvoir traiter que 25 pour cent des commandes.

Pour faire face aux perturbations des traitements, patients et médecins ont employé diverses stratégies de survie et la South African HIV Clinicians Society a publié des directives indiquant comment faire face aux interruptions de traitement. Certains patients ont pu obtenir des réserves de médicaments pour un mois.

D’après les chercheurs de la HEARD, toutefois, les autorités sud-africaines auraient pu prévoir cette interruption et mieux former à la fois les patients et les médecins à réagir lorsqu’ils ne peuvent obtenir d’ARV  .

Au Zimbabwe aussi, dans le secteur de la santé publique, les traitements ARV   ont connu leurs mauvais moments. La crise économique a provoqué des migrations chez les médecins et les infirmiers, ainsi que chez les patients ; et en raison de l’hyperinflation et du taux élevé de chômage, les tests à effectuer avant de débuter le traitement ARV   ne peuvent souvent pas être réalisés ou sont proposés à des prix prohibitifs.

Pour aider les migrants à poursuivre leurs traitements dans d’autres pays, MSF   remet aux patients des copies portables de leurs dossiers médicaux, indiquant notamment le traitement ARV   suivi.

La SADC a reçu des fonds pour mettre en place un système régional de « passeports santé » semblable, mais pour pouvoir le mettre en ouvre, il faudrait que les ministres de la Santé nationaux fassent d’abord adopter de nouveaux projets de loi, selon M. Mia. En attendant, l’accès aux traitements reste problématique, même pour les immigrés légaux, tels que les demandeurs d’asile et les réfugiés.

Les flux de financements, une menace en soi

A en croire le docteur Philips, de MSF  , l’interruption des flux financiers présente une menace tout aussi importante pour les programmes de traitement ARV   que n’importe quelle crue ou que n’importe quelle période de troubles civils ; une menace qui pourrait bien s’aggraver de plus en plus, avec la compression des financements destinés à la lutte contre le VIH   et le sida  , en ces temps de crise financière mondiale.

« Nous constatons depuis six mois ou un an des perturbations de plus en plus importantes dans les programmes ... bon nombre de ces perturbations sont dues à des retards de financement, ou à des retards dans la chaîne d’approvisionnement », a-t-elle commenté. « D’une certaine manière, il est plus difficile de s’y préparer [que de se préparer aux catastrophes naturelles] car les informations sur le risque d’interruption des traitements ne sont pas toujours communiquées à l’avance, de manière transparente, aux partenaires de mise en ouvre ».

En 2009, la province sud-africaine de Free State a connu des perturbations généralisées des traitements en raison à la fois de problèmes de financement et de mauvaise gestion présumée.

D’après le docteur Philips, plusieurs pays dont le Malawi, le Mozambique et l’Ouganda se sont heurtés à des problèmes de financement ou d’approvisionnement en médicaments, et ces pays sont plus vulnérables aux perturbations, en raison non seulement de leurs systèmes de santé insuffisants, mais aussi de leur dépendance forte envers une seule et unique source de financement. Ainsi, depuis 2009, selon un rapport publié par MSF   et intitulé Punishing Success [Punir la réussite], la majorité des financements destinés à l’achat d’ARV   au Malawi proviennent du Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme.

« Ce que nous constatons, c’est que bon nombre de bailleurs semblent considérer le Fonds mondial comme la principale voie de financement international des traitements contre le VIH  . S’il n’y a qu’une voie et qu’il arrive quelque chose, vous ne pouvez rien faire », a-t-elle déclaré. « Les pays dépendent de la livraison opportune de l’approvisionnement ; lorsque le versement des financements destinés à l’achat de médicaments a été retardé au Malawi, il n’y avait pas de mesure de protection ».

Ainsi, rares sont les pays qui conservent des réserves d’ARV   de sécurité (surplus de médicaments mis de côté, et utilisés dans l’éventualité d’une pénurie de médicaments). Selon le docteur Philips, cette stratégie est employée avec succès en République démocratique du Congo : le pays a confié une réserve d’ARV   financés par les bailleurs de fonds à la gestion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ). Cette réserve de sécurité est toutefois épuisée depuis plus d’un an, a-t-elle ajouté.

Selon Fareed Abdullah, directeur de l’unité Afrique du Fonds mondial, le Fonds a commencé à traiter les retards de financement après que cette question fut soulevée au plus haut niveau de l’organisation.

« Clairement, les raisons des ruptures de stock sont multiples ; celles-ci sont imputables à différents bailleurs et organismes de mise en ouvre, mais aussi et surtout aux gouvernements », a-t-il dit à IRIN/PlusNews. « Ceci dit, il y a bien entendu un certain nombre d’étapes, dans le cadre de notre processus de financement, où le Fonds mondial envisage le risque de rupture de stock de médicaments ».

Le Fonds offre aux pays des décaissements d’urgence pour permettre de pallier les pénuries de traitements imprévues, et se propose de couvrir pendant deux ans les déficits de fonds spécifiquement destinés à l’achat d’ARV  , entre le versement des bourses, selon M. Abdullah. Le Fonds assume également d’autres responsabilités en vue de réduire les perturbations des traitements occasionnées par des problèmes d’approvisionnement.

« Il nous arrive parfois de financer des médicaments qui sont livrés à la réserve centrale, mais qui ne sont pas acheminés de la réserve centrale jusqu’aux cliniques ; c’est aux pays de régler ce problème, avec l’aide de leurs partenaires de mise en ouvre », a commenté M. Abdullah.

« Dans certains pays, toutefois, nous constatons des défaillances de l’approvisionnement et bien que nous refusions d’assumer ces fonctions, parce que nous croyons en l’appropriation des pays, nous avons désormais mis en place un mécanisme qui nous permettra d’approvisionner un pays en médicaments ».

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