Aides : le dépistage systématique du Sida est nécessaire

Publié le 23 octobre 2009 sur OSIBouaké.org

Sophie Verney-Caillat - Rue89 - 23/10/2009 - Proposer un dépistage systématique du Sida   à toute la population de 15 à 70 ans, c’est un changement de cap nécessaire, selon Aides. Parce que 30 à 40 000 personnes en France seraient séropositive sans le savoir. Et parce que vingt-cinq ans après l’apparition de la maladie, on oublie trop que « toute personne ayant des rapports sexuels non protégés est exposée ».

Jean-Marie Le Gall, responsable de projets de recherche à Aides, première association française et européenne de lutte contre le Sida  , qui a participé au groupe de réflexion de la Haute autorité de santé (dont le rapport propose ce dépistage de 15 à 70 ans), explique pourquoi cette proposition arrive maintenant et si elle a une chance d’être mise en œuvre.

« La maladie s’est installée, il faut s’y habituer »

Depuis le début des années 2000, les associations travaillant auprès des séropositifs proposent ce changement, mais « il fallait le temps que le corps social soit prêt à l’entendre », explique Jean-Marie Le Gall :

« On pense toujours que c’est une épidémie transitoire, qui ne touche qu’une petite partie de la population. Or on est en situation d’endémie, comme pour le paludisme en Afrique : la maladie est installée et malgré les petits espoirs sur les essais vaccinaux, on n’a jamais éradiqué une endémie sans vaccin : il faut s’habituer à ce que ça dure. »

La population hétérosexuelle lambda ne se considère pas comme à risque, surtout quand elle est en couple. Du coup, beaucoup de gens découvrent leur séropositivité tard, à l’apparition des premiers symptômes. Le rapport de la Haute autorité de santé indique que « 47% des sujets pour lesquels un diagnostic de Sida   a été porté présentaient un retard au dépistage ».

« Il faut passer au travers des freins culturels »

On sait que sur les 6000 nouvelles découvertes de séropositivité par an, il y a 10% d’hétérosexuels « lambdas » (pas usagers de drogue et pas originaires de zones « à risque »), donc « il faut passer au travers des freins culturels ». Jean-Marie Le Gall :

« On sait qu’il y a des groupes plus exposés, comme les femmes de 40 ou 50 ans qui, après une première vie de couple, sont en recherche de partenaires et n’ont pas intégré le préservatif. Les soignants n’imaginent pas non plus que ces groupes-là soient exposés, donc ils ne proposent pas de dépistage. »

Si le préservatif est bien intégré comme habitude lorsqu’on commence ses relations sexuelles (84% d’utilisation selon les enquêtes), ensuite lorsqu’on se met en couple, on s’estime à l’abri, confiant dans la fidélité de son partenaire.

« Une maladie sociale avant d’être une maladie virale »

Le dépistage tel qu’il est pratiqué n’est pas satisfaisant : les centres de dépistage anonymes et gratuits créés en 1988 n’existent que dans les grandes villes, à des horaires restreints. Ils sont souvent débordés et il faut attendre les résultats huit jours. Si l’on demande à son médecin une ordonnance pour un dépistage, il est parfois étonné, voire réticent, surtout si la demande revient fréquemment.

Le problème est que « le VIH   est une maladie sociale avant que d’être une maladie virale », les gens ont peur d’être jugés :

« Beaucoup préfèrent ne pas savoir que de porter cette image-là, ils ne savent pas ce qu’ils feront du résultat s’ils sont en couple (selon une enquête auprès de 3000 personnes, 55% des gens disent que leur partenaire les quitte s’ils annoncent leur séropositivité), ils pensent ne jamais avoir été exposés alors que tous ceux qui ont des rapports sexuels non protégés sont exposés. »

« Les labos ont bloqué l’évolution de la stratégie »

Après les propositions de la Haute Autorité de Santé, que va-t-il se passer ? Roselyne Bachelot n’a pas, comme pour le vaccin contre de la grippe A, l’intention d’écrire à tous les assurés sociaux. Mais va-t-elle garder dans ces tiroirs ce rapport ?

Pour Aides, le dépistage de tout le monde entre 15 et 70 ans devra se faire sur proposition des médecins généralistes, avec une évaluation dans les trois ans car c’est « à un changement des mentalités qu’il faut aboutir. Pour les groupes de populations dites “à risque” (gays et bi, personnes originaires d’Afrique et des Caraïbes, personnes vivant aux Antilles, en Guyane, en région parisienne et en Paca), il faut proposer un dépistage régulier (tous les ans).

Déjà en octobre 2008 un rapport de la Haute autorité de santé sur les modalités de réalisation des tests de dépistage était resté lettre morte. Il s’agissait d’accélérer la diffusion des tests rapides, qui peuvent se faire un mois et demi après le rapport à risque. Mais, explique Jean-Marie Le Gall, “l’arrêté ministériel n’est jamais paru” :

“Parce que ces nouveaux dispositifs nécessitent un seul test au lieu de deux, le manque à gagner pour les laboratoires est énorme. On pense qu’ils bloquent l’arrivée des nouveaux tests pour écouler leurs stocks. On commence à s’impatienter.”

Gageons que la perspective de tester toute la population réjouira les labos et débloquera ces nouveaux tests. Madame Bachelot, il paraît que le dossier est sur votre bureau.

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