Loto « humanitaire » pour l’Afrique : stop !

Publié le 4 octobre 2009 sur OSIBouaké.org

Afrik.com - Dimanche 27 septembre 2009 Une tribune de l’écrivain congolais Bolya Baenga

Comme dans toutes les palabres planétaires, on commencera par un florilège des déclarations des promoteurs de l’idée du Loto « solidaire ». Leur vocabulaire est si glissant, par moment si glauque, qu’on ne s’y retrouve pas...

Un exemple : le secrétaire d’Etat français à la Coopération, Alain Joyandet, déclarait le mois dernier à propos d’un projet de Loto « humanitaire » en ligne qu’il s’agissait d’un « financement innovant », révolutionnaire (au sens propre de ce mot) : « ce jeu en ligne », ce bingo pour le Continent « pourrait rapporter environ 10 millions d’euros par an ». Une partie de la mise irait à la bonne cause : l’humanitaire. Il s’agit bien entendu de sortir l’Afrique du sous-développement. Grâce aux jeux de hasard. Un combat douteux… Et le secrétaire d’Etat à la coopération d’ajouter, non sans humour : « Avec cette source de financement innovant, il serait possible de faire beaucoup plus pour l’aide au développement. » Et de préciser qu’il pensait en particulier au volet éducation, notamment des jeunes filles. Et de révéler l’origine de son idée sur les financements innovants du Bingo ou du Loto spécifique pour le Continent noir. La révélation, la voici : « En marge de mon déplacement de cette semaine en Afrique (Guinée, Mali, Mauritanie). J’ai réaffirmé mon souhait de créer sur Internet un jeu de hasard pour l’Afrique ». Et il conclut, sur un ton badin et mondain : « qu’on aime ou n’aime pas le jeu, une chose est sûre, les gens jouent. » Sans les jeux de hasard, point de salut pour l’Afrique. Faut-il rappeler qu’aucun pays au monde, depuis la nuit des temps de l’histoire de l’humanité, ne s’est développé en recourant à ce type de financement « innovant » ?

Jamais un pays n’a mis son développement entre les mains du hasard

Le Japon, premier pays non occidental à avoir brisé le cycle infernal du sous-développement, de la « pauvreté absolue de masse » (J.k.Galbraith) par la Révolution Méiji de 1868 (la scène primitive du Développement) n’a pas eu recours à ce type de financement « innovant ». Et comme le clamait dans les 1980 le ministre japonais des affaires étrangères du Premier ministre Yasurio Nakasone, ancien élève de l’ENA (France) : le capitalisme français, « ce sont des gens qui ont des idées arriérées à cause de leur économie arriérée ». Il ajoutait à l’époque : « Vous me demandez quel projet nous avons ? Faire disparaître la pauvreté ». Aujourd’hui, l’Asie Orientale, l’arrière-cour du Japon, se développe. Les Japonais disaient : « nous avons fait en un siècle, ce que l’Occident à fait en cinq siècle. » Et la Chine, depuis la révolution Deng Xiao-Ping de 1978, a fait en trente ans ce que le Japon à fait en un siècle. Cette Longue Marche du sous-développement vers la sortie de la misère de masse, pour finalement devenir la troisième puissance économique de la planète Terre. C’est le « développement accéléré » comme le clame les Asiatiques.

Toutes ces performances économiques ont été réalisées sans recours aux jeux de hasards. Pour une raison toute simple : le développement ne relève du hasard ou de la chance ! Mais bel et bien d’une stratégie économique, pensée, voulue et conduite avec détermination. C’est ainsi que le Japon est devenu la deuxième puissance économique de la planète. C’est ainsi, aussi, que la Chine est devenue « l’Usine du monde » et l’Inde, « le Bureau du monde ». Nul jeu de hasard dans ces métamorphoses brutales, rares et insolites. « Un jour de perdu, c’est un siècle perdu », dit le proverbe nippon. Le « tout-humanitaire », l’« humanitarisme », « l’indigence humanitaire », pour citer Rony Brauman, est une impasse suicidaire pour le Continent.

A qui le tour ? A Basile Boli...

La loterie de la « charité business » à un grand avenir en France. En effet, tous les promoteurs de cette régression insistent sur l’aspect « humanitaire » de ce financement « innovant », invoquant au passage l’origine onusienne de ce concept. Etrange amalgame et troublante confusion entre le Développement et l’Humanitaire. Si la première notion relève du temps long, la seconde appartient au cours terme, pour ne pas dire à l’immédiateté. On ne rappellera jamais assez aux nouveaux chantres du loto humanitaire que l’ambulance ne remplacera jamais l’hôpital... De même qu’il ne faut pas confondre le secteur marchand et le secteur non marchand. Les soins palliatifs (l’humanitaire) ne sont qu’un accompagnement à la mort. On est dans le protocole compassionnel, comme disent les médecins. Le verdict vital est connu, mais on attend l’issue fatale du patient.

Certains investisseurs innovants viennent de créer « Africamillions » sur le modèle de l’Euromillions. Jean-Michel Bailly est le fondateur d’Africamillions, et le grand footballeur Basile Boli est actionnaire à 20% de cette nouvelle entreprise de financement du développement de l’Afrique. Le football mène à tout, à condition de rester dans le jeu… A terme, leur objectif est de développer leur concept en Amérique du nord. En espérant « dégager des sommes plus élevées pour venir en aide à ceux qui ont à ceux qui en ont besoin ».Ce projet a été rejeté par le Brésil, un des pays émergent du G20 et surtout du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine.).

Les profits prévisionnels sont mirobolants pour Africamillions. Le chiffre d’affaires attendu en 2010 est de 16 millions d’euros et la marge bénéficiaire s’élèverait à 4 millions d’euros. Dans leur projection, dans quatre ans, le chiffre d’affaire d’Africamillions avoisinerait 326 millions d’euros et les bénéfices 100 millions d’euros. Un fabuleux retour sur un investissement en ces temps de crise économique et financière mondiale. Le fond d’investissement Alpha ne s’y est pas trompé sur le caractère juteux de ce loto « humanitaire ». Il met sur la table 15 millions d’euros, immédiatement valorisés à 50 millions d’euros. Foudroyante force du label humanitaire. Du marketing de combat...

Bingo ou Banco pour aider l’Afrique ?

Mais au-delà de ces considérations financières et par-delà les motivations ultimes de ces « hommes de bonne volonté », il convient de rappeler que si les 700 à 800 millions d’Africains misaient sur la chance pour s’affranchir – individuellement – de la misère, la pauvreté absolue de masse aurait encore de belles décennies devant elle. Le Développement n’est pas un match de football, encore moins un jeu de hasard qui se gagne en ligne ou par SMS, au tirage ou grattage.

Le président Obama, lors de son discours d’Accra, stigmatisait ceux qui veulent aider en toute bonne foi, mais dont l’incompétence en matière de lutte contre le sous-développement n’a souvent d’égale que l’arrogance, laquelle insiste « sur un aspect de l’Afrique qui est trop souvent négligé par un monde qui ne voit que les tragédies ou la nécessité d’une aide charitable ». Telle est la foudroyante force de frappe du label Humanitaire. Jackpot : « 100% des gens qui ont gagné, on joué ».

Faut-il rappeler que la mise pour les parieurs est de 0,30 euros, alors que les populations africaines sont au seuil de la pauvreté et vivent avec 2 euros par jour ? L’humanitaire, le « tout humanitaire », « l’humanitarisme » bêlant, sont de la bonne conscience à vil prix.

Bolya Baenga

Bolya Baenga, La profanation des vagins. Le viol, arme de destruction massive, Editions Le Serpent à Plume, 2005.

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