Le Ghana plébiscite Obama l’Africain

Publié le 11 juillet 2009 sur OSIBouaké.org

Libération - 11/07/2009 - Accra (Ghana), correspondance Thierry Secretan

Le président américain vient pour la première fois comme homme d’Etat dans le continent de naissance de son père. Il restera vingt-quatre heures dans ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest avec sa femme, descendante d’esclave.

« Quand la sécheresse frappe, nos féticheurs ne parviennent pas à faire venir la pluie, et quand Obama nous rend visite impossible de la faire cesser », rigole un chauffeur de minibus en négociant le fleuve de boue qui a envahi la chaussée d’une capitale qui s’est tardivement pavoisée vendredi à l’aube aux couleurs nationales et américaines. « Akwaaba [bienvenue, ndlr], partenaires du changement », clament des milliers affiches représentant côte à côte les présidents Obama et Atta-Mills ou bien Barack et Michelle Obama. Les radios passent en boucle Barack Obama le tube de Black Rasta, la star locale du reggae. Il l’avait écrit durant la campagne électorale américaine sans penser qu’il le ressortirait moins d’un an plus tard pour accueillir dans son pays celui qui incarnait pour beaucoup le rêve afro-américain. Plus de 10 000 policiers vont assurer la sécurité du couple présidentiel. Mais l’article qui a le plus de succès en cette saison des pluies est un immense parapluie coloré avec les photos des deux présidents.

Pétrole. A cause des intempéries, le gouvernement ghanéen vient d’annuler le grand meeting en plein air prévu samedi matin au profit d’une conférence au cours de laquelle le président américain s’adressera à l’Afrique depuis le Centre de conférences internationales de la capitale. Auparavant, Obama se sera entretenu avec le président Atta-Mills, élu sur le fil quelques semaines après lui, lors de la cinquième élection présidentielle en seize ans. L’alternance entre le NDC (National Democratic Congress) et le NPP (New Patriotic Party) a joué déjà par deux fois. Un modèle de démocratie qui, selon le président américain, a provoqué le choix du Ghana pour sa première visite présidentielle en Afrique noire. Elle provoque chez tous la même réaction, un formidable sourire : « He is coming ! »

« Obama vient pour le pétrole », assurent les hommes d’affaires expatriés. Les gisements découverts seraient comparables à ceux de l’Angola. Légende ou réalité ? Seule certitude, la plus grose plateforme de forage du monde opère à 100 miles du port de Takoradi avec un programme de 80 forages ces trois prochaines années. Les importations de matériel de prospection explosent. Le pétrole devrait couler en 2010 ou en 2011. Mais la principale raison du voyage d’Obama est ailleurs. Dans le passé. Aussitôt après son discours de politique africaine, Barack, Michelle et leurs deux filles monteront dans l’un des six hélicoptères amenés pour la circonstance et s’envoleront vers Cape Coast, l’une des quinze forteresses qui jalonnent encore la côte. Elles furent érigées là par toutes les nations européennes dès le XVe siècle pour la traite du métal précieux, puis pour celle des esclaves. Sur cette ronde de la mort et du négoce se construisit le Nouveau Monde. La famille Obama survolera en chemin plusieurs de ces forts devenus hôtels, musées (l’un d’eux abrite la présidence) d’où partirent des millions d’esclaves à destination des Caraïbes et des Amériques. Aujourd’hui plus de 10 000 Afro-Américains en quête de leurs racines les visitent chaque année. C’est à leur demande qu’est inscrit au-dessus de la poterne débouchant sur l’océan, « la porte sans retour », et de l’autre côté, « la porte du retour ».

Rita Marley. Louis Armstrong amorça dès 1957 ce retour aux racines. Depuis, 4 000 Afro-Américains ont suivi son exemple, dont plusieurs célébrités comme Stevie Wonder, Dionne Warwick, Isaac Hayes ou Rita Marley, la veuve de Bob. Comme eux Barack, Michelle, Malia et Sasha pénétreront dans les vastes cachots aux plafonds voûtés situés sous les remparts. Ils reprendront ensuite l’hélicoptère pour l’aéroport d’Accra d’où ils s’envoleront vers les Etats-Unis pour un voyage que les Ghanéens ne souhaitent évidemment pas sans retour.


Racines

François SERGENT

A Chicago, Obama peut se dire du Midwest. A Accra, il pourra parler comme un Africain. Au Caire, il avait montré une réelle affinité pour le monde musulman où il a grandi gamin. Chez un autre, ces identités multiples seraient synonymes de conflits et de ressentiments. Barack Obama, lui, est à l’aise avec toutes ses facettes. Il n’en récuse aucune. Il assume cet harmonieux et complexe métissage. C’est certainement pour cette raison que les jeunes Africains le voient comme « l’un des leurs ». La popularité d’Obama dans le continent de son père est émouvante et profonde. Elle est aussi positive. Ce n’est pas un hasard si Obama a choisi le Ghana comme première étape pour revenir à ses racines depuis qu’il est président. Premier pays d’Afrique à se libérer de la colonisation, le Ghana est un Etat africain et démocratique. Un symbole qui va à l’encontre des clichés, entendez le discours de Sarkozy à Dakar sur la malédiction africaine. Le Ghana est un pays qui a su lutter contre la corruption et le tribalisme, un des rares pays du Sud qui atteindra les objectifs économiques et sociaux dits du « millénaire ». Si le Ghana, avec quelques autres comme le Bénin, peut être ce pays exemplaire, pourquoi pas le reste de l’Afrique ? Dans le destin de ce pays, il y a comme une similitude avec la trajectoire exceptionnelle mais aussi authentique d’Obama. Il n’y a pas de fatalité de l’échec, de la corruption, des maladies ou des guerres. Comme le dit joliment Bono, « l’Afrique n’est pas seulement le pays d’Obama.C’est aussi le nôtre. C’est là où est née l’humanité ». Nous sommes tous des Africains.

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