Messieurs les magistrats, j’ai un faire-part à vous donner

Publié le 1er juin 2009 sur OSIBouaké.org

Par Laure Heinich-Luijer | avocate | 01/06/2009 | 16H04

M.O. s’est pendu dans sa cellule à Fresnes. Son avocate demandait en vain son hospitalisation. Voici sa lettre ouverte aux magistrats.

Des années de détention provisoire pour n’avoir pas travaillé ont valu au Juge Burgaud une réprimande.

Ça vaut combien, quand on est magistrat, d’avoir laissé quelqu’un se suicider ?

M.O. s’est pendu dans sa cellule de la Maison d’arrêt de Fresnes.

Il était schizophrène.

Un collège d’experts l’avait déclaré irresponsable de ses actes et capable de s’accuser de faits qu’il n’avait pas commis.

Il existait un doute sur sa culpabilité.

Il n’existait plus de doute sur son irresponsabilité.

Cela faisait 18 mois qu’il était en détention provisoire.

Monsieur le Juge n’était pas pressé « parce que les faits étaient graves ».

M.O. aurait noyé son fils.

Vous avez oublié de penser que son fils se serait peut être noyé.

L’expert vous avait alerté sur le fait qu’il « relève de soins intensifs menés par une équipe polyvalente et aguerrie dans la prise en charge de ces pathologies ».

Vous avez dit que certainement pour plus tard ce serait vrai. Pour après.

Après quoi ?

Après avoir pris le temps de ne pas travailler pour lui, pris le temps de vous désintéresser de son dossier ?

Je vous ai alerté plusieurs fois, Monsieur le Juge d’instruction, sur l’incapacité de la Maison d’arrêt à traiter M.O.

Vous m’avez dit avoir écrit un courrier. Fallait-il vous en féliciter ?

La dernière fois que j’ai demandé sa mise en liberté c’était en avril. J’ai demandé qu’il soit hospitalisé.

Vous m’avez répondu qu’on n’était pas pressé. Ce n’était pas vos jours qui étaient comptés.

J’ai fait appel de votre refus.

A la Chambre de l’instruction, je leur ai dit que je venais plaider pour que ce ne soit pas de ma faute, le jour où il se suiciderait, je voulais les mettre en face de leur responsabilité. Que ce soit leur faute aux autistes de la Justice, à ceux qui veulent réprimer sans rien soigner.

J’ai bien cru qu’ils avaient eu peur, un éclair de lucidité, quelque chose qui ressemblait à de l’humanité. Ils ont décidé de l’hospitaliser, du moins c’est ce qu’ils ont annoncé à l’audience. Cela devait être fait trois jours après.

Deux heures plus tard je croisais l’Avocat général dans le Palais, il m’annonçait avoir fait « un délibéré de couloir ». C’est quoi un délibéré de couloir ?

Je ne suis pas près de l’oublier.

Un délibéré de couloir se pratique tellement que le magistrat en parle sans se méfier. Cela signifie que le représentant du Parquet s’est invité dans le secret du délibéré, qu’il a pris la décision avec les magistrats du siège, en violant tous les principes fondamentaux, les règles du procès équitable et de la séparation des pouvoirs. Il a bien travaillé l’Avocat général. Ils l’ont bien écouté.

Voilà ce qui arrive quand les Juges se croient au dessus des lois.

Ils ont rejeté la demande de mise en liberté, sans explication, comme si l’audience n’avait jamais existé.

Quand mon associée a appelé l’Avocat général, il lui a dit de ne pas m’inquiéter, qu’il ferait très rapidement le nécessaire pour que M.O. soit hospitalisé, que trois jours ça n’aurait pas été suffisant, qu’il avait besoin d’un peu plus de temps.

M.O s’est suicidé.

Monsieur l’Avocat général, votre délibéré de couloir l’a probablement tué.

Vous avez eu cinq semaines, ce n’était toujours pas assez ?

Monsieur le Président de la chambre de l’instruction, votre absence de respect pour la procédure, oserais-je dire votre soumission au Parquet, l’a tué.

Monsieur le Juge d’instruction, j’ai un faire-part à vous donner.

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