Ces enfants qui nous font peur : de l’enfant sorcier au délinquant en culottes courtes

Publié le 7 mars 2009 sur OSIBouaké.org

OSI Bouaké, Paris, le 7 mars 2009

Cela s’est passé en France cette semaine : une mère poignarde sa fillette de 10 ans et accuse son fils de 5 ans d’avoir commis ce geste, l’enfant confirme et couvre le mensonge de sa mère.

Tout le monde, police et médias, a cru en cette version des faits et en quelques jours, ce fut la curée médiatique contre nos enfants, à grand renfort d’interprétations psychologiques et d’avis d’experts sur la violence croissante des tout-petits. Un enfant de cinq ans lynché dans les forum internet, et au final, une société entière qui montre sa peur au grand jour.

Ces enfants qui font peur, ces délinquants en culottes courtes, capables de tuer avec une froideur effrayante, devenus des monstres dont il faudrait se méfier et se protéger... sont une figure dont nous connaissons bien l’avatar africain. Je veux bien sûr parler de l’enfant sorcier ! Ceux qui nous lisent d’habitude l’auront reconnu... Je ne développe pas cette idée ici puisque j’ai déjà publié un long article sur les accusations contre les enfants africains dans les colonnes d’OSI Bouaké et ce que ces accusations disent du statut de l’enfant dans une société.

Cependant, il me parait très intéressant de constater que ce sont les mêmes médias occidentaux qui sont prêts à dénoncer l’irrationnalité et l’absurdité des accusations sorcières contre les enfants en Afrique, invoquant le poids des traditions, forcément réactionnaires et idiotes, et qui s’érigent en redresseurs de tords et grands défenseurs des Droits des enfants... Ce sont donc ces mêmes médias qui sautent à pieds joints dans l’idée, décidément dans l’air du temps en France, que nos enfants représentent une menace pour l’ordre social.

Quant aux psychologues qui se prêtent à la fabrication de cette figure de l’enfant comme menace, ils ne font que montrer que la psychologie est bien le produit d’une société et d’une culture, et ne doit jamais être entendue comme une parole de vérité sur l’être humain. Pour peu, j’aurais presque envie de les remercier.

Sandrine Dekens, ethnospychologue

Uckange : l’enfant victime de l’emballement médiatique

Rue89, Par Bernard Girard, le 03/05/2009

Un enfant de 5 ans poignardant sa grande sœur qui refusait de lui prêter son jeu vidéo. Du pain béni pour des médias qui ont pris prétexte de ce fait divers pour se laisser aller à une sidérante campagne de désinformation dont ils sont malheureusement coutumiers lorsque les enfants sont en cause.

Aujourd’hui, alors que la vérité sur ce drame est connue -c’est la mère qui a poignardé sa fille, avant de faire accuser son enfant- il faut redonner la parole à quelques-uns de ceux qui, tout au long du week-end, avec un manque de professionalisme avéré, un sensationnalisme débridé mais aussi sans doute pas mal d’arrière-pensées politiques, se sont laissés aller à cette caricature d’information. Bien sûr, pour faire sérieux, il importe de donner la parole à un spécialiste dont le titre où les publications sont gage de compétence. Par exemple, pour le Parisien.fr [1], Michael Stora, psychologue, "spécialiste de l’image et des jeux video", expose doctement son analyse : "La rivalité entre frère et sœur est courante. La jalousie permet à l’enfant de s’autonomiser. Mais dans cette histoire où le passage à l’acte est extrêmement violent, l’enfant s’est retrouvé dans une position d’envie. Sa sœur est devenue un obstacle. Les coups qu’il lui inflige visent à combler ses désirs."

Une analyse qui prend toute sa saveur lorsque l’on sait comment les faits se sont réellement déroulés. Comment parler de quelque chose que l’on ne connait pas ? Michael Stora et ses collègues psy -qui ont repris à n’en plus finir ce thème de l’enfant-roi, qui n’accepte aucune frustration- n’ont pas eu ce genre de pudeur, d’honnêteté. On ne refuse pas un micro qui se tend.

Inévitablement, il fallait s’attendre à ce que ce fait divers, qui, de toutes manières, n’aurait jamais dû quitter la sphère privée, se voit promu en fait de société.

Ainsi, pour M6, chaîne experte dans la fabrication des peurs imaginaires et la dénonciation de la délinquance juvénile [2], "ce drame soulève une nouvelle fois la question de la violence des enfants" et dans l’Express.fr, le psychiatre Serge Tisseron ne craint pas le grand saut [3](ni le ridicule) : "Le drame souligne un problème plus général : des enfants de plus en plus jeunes commettent des agressions de plus en plus violentes (...) Le paysage de la petite enfance change. Et c’est préoccupant."

Des enfants de plus en plus violents, l’enfance qui n’est plus ce qu’elle était... Ce genre d’affirmations gratuites ne rappelle rien à personne ? Des délinquants de plus en plus jeunes et de plus en plus violents, des jeunes qui n’ont plus rien à voir avec ceux de l’après-guerre, n’est-ce pas le fondement du rapport Varinard sur la délinquance des mineurs visant à enfermer des enfants de 12 ans, mesure dont on sait que Dati apprécie "le bon sens" ?

Présupposés et conclusions avant faits et analyse

Cette histoire d’Uckange, avec l’exploitation mensongère qui l’a accompagnée nous replonge dans un contexte initié il y a plusieurs années par des rapports et des analyses pseudo-scientifiques (Inserm, rapport Benisti) pleins de contrevérités qui tendent à faire du tout jeune enfant un délinquant en puissance, qu’il faut surveiller comme tel, rapports sur lesquels s’appuie pourtant toute la politique pénale de ces dernières années.

Si un enfant de 5 ans, incapable de supporter la moindre frustration, en arrive à poignarder sa grande sœur, c’est bien la preuve que Dati a raison, que la surveillance et la répression doivent s’exercer dès le plus jeune âge.

Dira-t-on qu’il s’agit là d’un procès d’intention intenté aux médias ou aux "spécialistes" en question ? Pour ce qui concerne les médias, il ne fait guère de doute que la peur des jeunes est devenue leur fonds de commerce, c’est un sujet vendeur, largement récupéré par le pouvoir politique.

Les psychologues ou les psychiatres qui se sont exprimés sur cette affaire et desquels on est en droit d’attendre une analyse un peu plus étayée, ont, pour ce qui les concerne, fait preuve non seulement d’une curieuse déontologie mais d’une forme de dialectique qui tend à se généraliser dès lors qu’il s’agit d’enfants : dans la construction de la pensée, les présupposés et les conclusions interviennent avant les faits et l’analyse.

Puisqu’un enfant de 5 ans poignarde sa sœur, c’est bien le signe que l’enfance est de plus en plus violente. Mais lorsqu’il s’avère que l’histoire est entièrement inventée ?

On n’insistera pas non plus sur le déferlement bête et méchant, désormais familier sur les forums Internet (notamment ceux des journaux) qui ont accompagné ce gibier de potence de 5 ans, un enfant capricieux, mal élevé à qui auront surtout manqué quelques bonnes paires de gifles, quelques saines fessées.

Un enfant de 5 ans qui voit sa grande sœur poignardée par sa propre mère, arrêté par les gendarmes, voué aux gémonies l’espace d’un week-end, c’est lui, donc, cet enfant injustement accusé, qu’il faudrait frapper. Les Français ont décidément un problème avec leurs enfants mais ce ne sont pas les enfants qui font problème.


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