Gus Van Sant : "Le combat d’Harvey Milk a encore un sens"

Publié le 4 mars 2009 sur OSIBouaké.org

Rue89, Par Olivier de Bruyn - 03/04/2009 - 10:20

Rencontre avec le réalisateur de "Milk", dans lequel Sean Penn incarne le premier élu américain ouvertement gay.

Harvey Milk, abattu dans la mairie de San-Francisco en 1978, fut le premier homme politique ouvertement gay à être élu aux Etats-Unis. Gus Van Sant, figure du cinéma indépendant U.S, lui consacre aujourd’hui un film, "Milk", incarné par un Sean Penn au sommet de son art. Rencontre avec le cinéaste.

Depuis ses débuts dans les années 80, Gus Van Sant a toujours aimé filmer les marginaux dans tous leurs états, les jeunes ados en bisbille avec l’ordre moral et social. De "Drugstore cow-boy [1]" à "Paranoïd Park [2], de "My Own Private Idaho [3]" à "Elephant [4]" (sur le massacre de Columbine, palme d’or à Cannes en 2003), il ausculte la face noire de l’Amérique avec une prédilection pour l’examen des états seconds (dans sa filmo, on se came plus que dans aucune autre) et des formes esthétiques radicales et hypnotiques.

A l’occasion, Gus Van Sant fréquente également l’univers des grands studios. Il y tourne des fictions plus sages mais non moins inventives ("Prête à tout [5], Will Hunting [6]) qui témoignent de son intelligence et de son savoir faire.

"Tom Cruise avait également témoigné de son intérêt"

Son nouveau film, "Milk", célébré la semaine dernière aux Oscars (prix d’interprétation plus que justifié pour Sean Penn), se situe à l’intersection des deux veines de sa carrière. Formellement, c’est probablement son film le plus classique. Un "biopic" qui suit les huit dernières années de la vie d’un personnage emblématique, Harvey Milk [7], incarnation de la cause gay, de son installation à Frisco dans le quartier gay (le "Castro"), jusqu’à son assassinat dans la mairie de la ville.

Entretemps, une vie perso déchirée de partout, une élection au conseil municipal (une première aux Etats-Unis) et, surtout, un combat viril pour les droits des homosexuels et contre les ultra-réactionnaires qui, dans les années 70, militaient activement pour renvoyer les gays au rang de sous-hommes (et de sous femmes, ça va de soi). (Voir la vidéo)

Avec un tel sujet, Gus Van Sant, qui n’a jamais caché son homosexualité, sait qu’il convient de faire simple et fort. Il le sait d’autant plus qu’il traîne ce projet depuis plus de quinze ans et a mis beaucoup de temps à trouver le bon script, les partenaires compétents, la forme adéquate. Le cinéaste se souvient.

"Oliver Stone était un temps pressenti pour mettre en scène un film sur Harvey Milk. J’ai failli récupérer le projet, mais ça ne s’est pas fait. Puis, dans les années 90, j’ai fait une autre tentative. Sean Penn y était déjà impliqué. Et Tom Cruise avait également témoigné de son intérêt. Finalement, nouvel échec.

"Il me fallait en finir avec cette histoire vieille de quinze ans. Ma rencontre avec Dustin Lance Black a été déterminante. Il a longuement enquêté sur Harvey. Rencontré ses amis encore en vie. Il a bâti un script efficace et intelligent qui renvoie à une époque et un contexte précis, mais montre aussi combien le combat d’Harvey a toujours un sens aujourd’hui."

"Je connais la culpabilité, le pouvoir d’une morale aveugle"

Connu pour sa discrétion et sa timidité, Gus Van Sant répond aux interviews accompagné de son jeune acolyte scénariste. Les deux hommes partagent beaucoup. Même amour pour un cinéma farouchement indépendant, mêmes souvenirs d’adolescence peu frivoles.

Dans ses entretiens (et surtout dans ses films), Gus Van Sant a souvent évoqué ses angoisses d’enfance face au monde normatif des adultes et à ses diktats. Le combat de Milk résonne évidemment d’une façon particulière en lui. Constat similaire chez son scénariste.

"J’ai été élevé chez les mormons, confie Dustin Lance Black. Dans ce genre de milieu, l’homosexualité est considérée comme le mal absolu et l’on vous promet l’enfer. Je connais la culpabilité, le pouvoir d’une morale aveugle, la peur d’avouer ses désirs.

"J’ai 35 ans. Je n’étais qu’un gamin quand Harvey a été assassiné. Quand j’ai commencé à travailler sur le projet, je me suis aperçu combien ses idées restaient actuelles. Ce film s’adresse aussi aux nouvelles générations, et à toutes les minorités. Si ’Milk’ peut les aider à comprendre qu’il faut rester vigilants, nous n’aurons pas bossé pour rien."

Avec la biographie opulente de son personnage, Gus Van Sant aurait pu tourner un film de 4 heures ou bâtir une série en plusieurs épisodes. Il a préféré se concentrer sur les dernières années d’Harvey Milk et réaliser un film de deux heures, susceptible d’être vu par le plus grand nombre.

Captivant du premier au dernier plan, d’une incroyable fluidité narrative, "Milk" apprend énormément de choses concernant les années 70, l’ébullition du San Francsiso de l’époque, la lutte pour l’égalité des droits.

"Accuser Sean d’une quelconque complaisance homophobe est juste absurde"

Sean Penn incarne le protagoniste en évitant le cabotinage grande folle qui lui tendait les bras. Sobre, bouleversant, il signe une de ses prestations les plus convaincantes, ce qui, au regard de sa généreuse filmographie, n’est évidemment pas rien.

De quoi oublier les polémiques grotesques initiées par une partie de la communauté gay US reprochant à l’acteur ses amitiés politiques avec Castro et Chavez, personnalités assez peu "gay friendly", il est vrai.

"Accuser Sean d’une quelconque complaisance homophobe est juste absurde, explique Gus Van Sant. Son implication dans le film a été totale. Il s’est documenté de son côté. Il a veillé avec un soin maniaque à la caractérisation de son personnage, à son look, ses fringues.

"Lui comme moi n’aimons pas beaucoup parler sur le plateau de tournage. Nous nous comprenions d’un simple regard. Quand on peut se passer de grands discours, je pense que tout va bien. Le succès commercial du film aux Etats-Unis est une belle récompense. Pour lui comme pour nous, l’essentiel est que ce film soit vu par le grand public et que les spectateurs comprennent que le combat de Milk est toujours contemporain."

A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89 ► Tous les articles dur Gus Van Sant [8] ► Tous les articles sur Sean Penn [9] ► Tous les artciles sur l’homosexualité [10]

Ailleurs sur le Web ► Oscars, les gays et lesbiennes censurés dans 53 pays d’Asie [11], sur Têtu.com ► La fiche Allociné sur ’Milk’ [12] ► La bio de Harvey Milk [13], sur Wikipedia

A lire ► "Gus Van Sant", de Stéphane Bouquet et Jean-Marc Lalanne. (Ed "Cahiers du cinéma") Tout sur le cinéaste, de ses débuts à "Milk". ► "L’homosexualité au cinéma", de Didier Roth-Bettoni (Ed. La musardine). Une somme sur la représentation de l’homosexualité sur grand écran.

Liens : [1] http://www.allocine.fr/film/fichefi... [2] http://www.allocine.fr/film/fichefi... [3] http://www.allocine.fr/film/fichefi... [4] http://www.allocine.fr/film/fichefi... [5] http://www.allocine.fr/film/fichefi... [6] http://www.allocine.fr/film/fichefi... [7] http://fr.wikipedia.org/wiki/Harvey_Milk [8] http://www.rue89.com/tag/gus-van-sant [9] http://www.rue89.com/tag/Penn [10] http://www.rue89.com/tag/homosexualite [11] http://www.tetu.com/actualites/inte... [12] http://www.allocine.fr/film/fichefi... [13] http://fr.wikipedia.org/wiki/Harvey_Milk

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