Les virus, vivants ?

Publié le 20 février 2009 sur OSIBouaké.org

Horizons | Le Monde | 20.02.09 | 16h20

Les manuels scolaires l’assènent volontiers : les virus n’ont pas le privilège de la vie. Certes, ils disposent d’un génome. Mais, à la différence des organismes cellulaires (plantes, bactéries, animaux, etc.), ils sont incapables de le répliquer hors de la cellule qu’ils infectent. Ce "parasitisme absolu" les exclurait de la vie, les confinerait au statut d’"entités biologiques", minuscules sacs de gènes agrégés au hasard des hôtes rencontrés... Mais, depuis peu, les découvertes s’accumulent qui semblent faire aux virus - au moins à certains d’entre eux - une place à part entière sur l’arbre du vivant.

La première grande remise en question remonte à mars 2003. Des chercheurs français de l’Unité des rickettsies et pathogènes émergents (CNRS, université de la Méditerranée) décrivent alors, dans la revue Science, un virus gigantesque découvert dix ans plus tôt, infectant des amibes, dans le système de climatisation de l’hôpital de Bradford (Royaume-Uni). Entre sa découverte et sa caractérisation, son inventeur, le Britannique Tom Rowbotham, l’avait confondu avec une bactérie, eu égard à ses dimensions imposantes (de l’ordre du micron). D’où son nom de baptême : Mimivirus (Mimicking Microbe Virus, ou "virus imitant un microbe")...

Un an plus tard, le séquençage du génome de la bestiole jette plus encore le trouble : il se révèle long de plus d’un million de paires de bases, quand la majorité des virus n’en alignent qu’une dizaine de milliers. Non seulement Mimivirus est plus volumineux que bon nombre de bactéries, mais son génome, composé d’un millier de gènes, n’a rien à leur envier. Il possède en outre les neuf gènes communs à tous les gros virus à ADN, attestant l’existence d’un ancêtre unique, ayant sans doute existé il y a plus de trois milliards d’années, à cette famille virale. A bien des égards, la découverte de Mimivirus est si déconcertante que bon nombre de biologistes se posent la question du caractère accidentel de ce virus si inattendu...

La métagénomique, qui consiste à séquencer massivement tout le matériel génétique d’un milieu, leur a donné tort. "Depuis la description de Mimivirus, nous avons découvert en réanalysant les données de métagénomique, que les virus appartenant à sa famille (les mimiviridae) sont extrêmement abondants dans la nature, explique Jean-Michel Claverie, chercheur (CNRS) au laboratoire Information génomique et structurale, coauteur du séquençage de Mimivirus. Il y a environ un million de particules virales dans un millilitre (ml) d’eau de mer - jusqu’à un milliard dans les zones côtières -, dont environ un tiers est sans doute très proche de Mimivirus." C’est, en tout cas, ce que suggère l’abondance de certaines séquences génétiques, caractéristiques des mimiviridae, dans l’océan.

Les virus géants sont donc partout, ou presque. Et ce bien que leur existence même ait été ignorée jusque très récemment. La raison en est simple : "Depuis le milieu du XIXe siècle, on a toujours détecté les virus en les faisant passer par des filtres de plus en plus petits, explique M. Claverie. Les gros virus restaient donc bloqués avec les bactéries et n’étaient pas identifiés." On ne trouve jamais, dit-on, que ce que l’on cherche.

Tout récemment, dans le système de climatisation des Halles, à Paris, l’équipe de Didier Raoult (unité des rickettsies et pathogènes émergents), l’un des pères de Mimivirus, a trouvé un tout proche cousin du virus géant - plaisamment baptisé Mamavirus. Plus gros encore que son prédécesseur, sa séquence génétique devrait être publiée dans l’année. Mais surtout, avec lui, une découverte publiée fin 2008 dans Nature, qui sème un peu plus le doute sur le caractère présumé inerte de ces "poisons" (virus en latin). Car cette fois, avec l’énorme Mamavirus, les chercheurs identifient un petit virus-satellite, baptisé Spoutnik, qui a cette singularité d’infecter Mamavirus, lorsque celui-ci a lui-même infecté l’amibe qui lui sert d’hôte... comme un emboîtement de poupées russes.

"Lorsque Mimivirus ou les membres de sa famille infectent une cellule vivante, ils y créent, en exprimant leur génome, une "usine à virus" qui ressemble beaucoup à un noyau secondaire, explique Jean-Michel Claverie. Le fait que ce "noyau secondaire" puisse être à son tour infecté par un autre virus montre à quel point il ressemble à un noyau cellulaire classique !" "Les virus ont longtemps été confondus avec leur virion", renchérit le microbiologiste Patrick Forterre (Institut Pasteur, université Paris-XI), évoquant la particule virale qui pénètre dans la cellule vivante pour y installer le virus proprement dit et lui permettre de s’y répliquer... "Un peu comme si on confondait l’homme avec son spermatozoïde !", décrypte Jean-Michel Claverie, qui va jusqu’à comparer la pénétration du virion dans une cellule pour y exprimer ses gènes, à un cycle sexuel...

Un virus infecté par un autre virus. Il est tentant de résumer cette étrangeté par une formule : "Puisqu’ils peuvent être malades, c’est donc que les virus sont vivants." La découverte de Spoutnik replace surtout les virus dans un nouveau schéma d’évolution. "Ils ont toujours été conçus comme étant seulement sélectionnés par leurs proies alors que les "organismes vivants" sont sélectionnés par leur proie et leur prédateur, dit Didier Raoult. L’existence de Spoutnik montre que les virus peuvent, eux aussi, être pris entre la proie qu’ils exploitent et le virus qui les attaque..."

Les virus sont-ils vivants ? Pour répondre, il faut en passer par une autre question : qu’est ce que la vie ? Pour Didier Raoult, "ce n’est pas une question de biologie, mais plutôt de sémantique ou de théologie". D’autant, ajoute-t-il en substance, que les progrès de la métagénomique nous donnent la mesure de notre ignorance : la majorité des gènes identifiés dans la nature ne se rattachent à rien de décrit. "Comment définir un champ dont on ignore encore toute l’étendue ?", interroge M. Raoult. Patrick Forterre propose une définition simple : "On peut commencer à parler de vie lorsque les mécanismes de la sélection darwinienne s’appliquent." Or, rappelle-t-il, "les virus y sont soumis..."

Stéphane Foucart

Aux origines de la reproduction sexuée ?

Les conflits entre virus et organismes cellulaires sont un puissant moteur de l’évolution. Ils pourraient même avoir engendré la reproduction sexuée. C’est ce que suggèrent des travaux publiés fin 2008 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). En étudiant Emiliana huxleyi, un petit plancton unicellulaire, les auteurs, menés par Colomban de Vargas, chercheur (CNRS) à la station biologique de Roscoff (Finistère), ont noté la présence de petites particules en suspension dans le milieu de culture. Il s’agissait de la version haploïde d’Emiliana huxleyi (une seule copie de chaque gène est présente) -, c’est-à-dire de cellules sexuelles, des gamètes.

Quel rapport avec les virus ? Les chercheurs ont aussi détecté un virus connu pour infecter le petit plancton. Mais ils ont remarqué que la version haploïde n’est pas touchée par le virus, lequel ne cible que la version diploïde. "On peut imaginer que le virus "force" le plancton aux relations sexuelles et que celles-ci puissent être une stratégie de survie", explique Jean-Michel Claverie (CNRS). Emiliana huxleyi suivrait ce que les auteurs ont surnommé la "stratégie du Chat du Cheshire", du nom du félin d’Alice aux pays des merveilles, de Lewis Caroll, qui disparaît dès que prend l’envie à la Reine de coeur de le décapiter.

Les trois domaines classiques du vivant, plus un...

Eucaryotes Ce domaine - dont font partie les animaux, les plantes - est caractérisé par une organisation cellulaire complexe. Chaque cellule est composée d’un noyau et de composants membranaires.

Bactéries De forme sphérique ou ovoïde, ces organismes, composés d’une seule cellule, sont présents dans l’air, l’eau, le sol, etc. Leur taille est généralement de l’ordre du micron.

Archées En 1977, le microbiologiste Carl Woese établit que ces micro-organismes unicellulaires forment une branche du vivant distincte de celle des bactéries.

Virus à ADN En 2008, on découvre qu’ils s’infectent les uns les autres.

Article paru dans l’édition du 21.02.09

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