Bernard Golse, pédopsychiatre, explique les risques engendrés par une expulsion : « L’enfant va hériter de cette honte »

Publié le 14 février 2009 sur OSIBouaké.org

par Julie LASTERADE Libération, jeudi 29 juin 2006

Bernard Golse, pédopsychiatre et chef de service à l’hôpital Necker de Paris, revient sur les conséquences de la circulaire Sarkozy sur les enfants de sans-papiers.

En cas d’expulsion, les plus jeunes peuvent-ils facilement se réadapter ?

Renvoyer soudainement un enfant et sa famille, en cours ou en fin d’année scolaire, a des conséquences extrêmement négatives. Au plan réel, car tout d’un coup l’enfant est changé de milieu, il va devoir apprendre une nouvelle langue, si ses parents l’avaient abandonnée, et connaître un nouveau mode de vie. C’est une rupture majeure. Or, un enfant doit connaître des variations mais, fondamentalement, vivre dans la continuité. Il faut leur éviter les ruptures, les déménagements multiples qui compliquent leur apprentissage. Mais cela aura aussi des répercussions symboliques. Il s’agit d’une mesure juridique, l’enfant va donc penser que le parent est puni. En l’occurrence, le parent n’est pas fautif, mais le petit va s’interroger. Ce qui devrait être un retour aux sources, ce qui peut être une fête, une initiation, devient une punition. Comme si leur origine culturelle était une faute, c’est parfaitement xénophobe. Et ce n’est pas dans ces pays qu’ils vont pouvoir être pris en charge psychologiquement. Les renvoyer chez eux, c’est leur faire vivre un vrai séisme, mais on s’en fiche, ils ne seront plus chez nous lorsqu’ils iront mal.

Que pensez-vous du cas de figure où un des parents est expulsé, l’autre restant en France avec les enfants ?

C’est inadmissible. Cette idée impose une rupture de lien dramatique. On perturbe le système d’attachement avec tous les effets à long terme que cela entraîne. C’est contraire à toutes les études sur le développement de l’enfant depuis cinquante ans. Quels adultes deviendront-ils ? Quels parents seront-ils ? Cette solution crée des pathologies de toutes pièces.

La mobilisation autour des enfants les aide-t-elle psychologiquement ?

La situation est moins dramatique que lorsqu’il n’y a personne. Comme dans toutes les histoires de traumatisme, c’est important qu’un tiers puisse témoigner et être compatissant. Cela ne fait qu’atténuer la souffrance, mais ne résout pas le problème de fond.

Quels sont les effets à long terme ?

Ils risquent l’instabilité, l’hyperactivité ou la déprime, mais surtout d’être fragilisés par une double source de dépression, celle liée à la honte et celle fondée sur la culpabilité. Renvoyer leurs parents dans leur pays d’origine revient à les déclarer indignes d’être en France. L’enfant va hériter de cette honte. Et puis s’ajoute la dépression liée à la culpabilité, parce que l’enfant se demande pourquoi on arrête ses parents. Il va se construire une théorie subjective irrationnelle qui ne peut être que douloureuse. Et cette culpabilité peut courir sur deux ou trois générations, c’est ce que l’on appelle la « transmission transgénérationnelle des sentiments ». Leur faire subir cela, c’est totalement irresponsable.

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