L’Afrique privée de médicaments collectés en Europe

Publié le 22 janvier 2009 sur OSIBouaké.org

Le Monde | 21.01.09 | 15h11 • Ouagadougou envoyée spéciale

Antibiotiques, antianémiques, médicaments intestinaux : les cartons placés sur les étagères du bureau du dispensaire Saint-Jean de l’Ordre de Malte à Ouagadougou (Burkina Faso) proviennent d’un conteneur arrivé début janvier. Une des deux cargaisons de dix tonnes que recevaient chaque année depuis des lustres les membres de l’organisation caritative dans le pays.

Ce conteneur sera le dernier, en vertu de la transposition d’une directive européenne sur les normes de qualité et de sécurité des produits de santé, qui met un terme à la distribution de médicaments non utilisés collectés dans certains pays développés. En France, cette directive a été transposée en avril 2007 et a pris effet au 1er janvier 2008.

L’accès aux médicaments de plusieurs millions de malades, principalement en Afrique, s’en trouve menacé. "Sur les 1 500 tonnes de médicaments récupérés chaque année, 2 % à 3 % étaient utilisables pour fournir des soins à un million de personnes à l’étranger", explique Alain de Tonquedec, de l’Ordre de Malte France. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays européens, où seule la quantité nécessaire de médicaments est délivrée par les pharmaciens.

Au Burkina, la décision est vécue comme un drame. "Lors de la dernière distribution, quand nous avons dit aux responsables de centres de santé que cela allait cesser, les visages étaient catastrophés. Les réserves actuelles vont couvrir trois ou quatre mois, guère plus", raconte Paula Chamond, chargée de mission de l’Ordre de Malte.

Car ces médicaments recyclés approvisionnent une bonne partie de la trentaine de centres de santé dirigés par des congrégations religieuses, disséminés dans le pays. L’Ordre de Malte tente de contrôler la bonne utilisation des médicaments fournis avant leur date de péremption et de s’assurer que le matériel (pansements, seringues, etc.) est conservé dans de bonnes conditions.

Souvent ouverts jour et nuit, ces dispensaires sont très fréquentés. Celui de Saint-Paul a reçu l’an dernier quelque 8 500 personnes en consultation. "Quasiment personne ne voit un médecin au Burkina, ce sont les infirmiers qui assurent le travail", explique Christian Monkorou, un des trois infirmiers spécialisés que rémunère le dispensaire. Il vient prendre la relève d’une nuit et d’une matinée calmes : un cas de paludisme, une fièvre intestinale, une blessure, entre autres. Le dispensaire dispose de trois lits où les patients peuvent être perfusés. La règle est que personne ne doit repartir sans soin ni médicaments, achetés sur place.

Car le dispensaire, comme tous les autres centres, ne donne pas les médicaments, il les vend : un paracétamol en sirop est vendu 500 francs CFA (moins d’un euro), des comprimés d’amoxicilline, 1 000 francs, etc. Des prix modiques au regard du "marché" où le prix d’une boîte d’antibiotiques va de 9 000 à 15 000 francs CFA.

De ce fait, la récupération des médicaments a généré une micro-économie qui se trouve aujourd’hui menacée. Leur vente permet aux centres d’en acheter d’autres, pour le traitement du paludisme, notamment. Ces sommes permettent aussi d’assurer le fonctionnement des centres gérés par les congrégations.

Comme celui de soeur Edith Kaboré de l’instruction chrétienne Saint-Gildas, qui emploie une quinzaine de personnes. "Ma grande crainte, c’est le problème des salaires", lâche cette religieuse énergique. Même problème au centre de Zignaré, à quelques kilomètres de là, qui reçoit entre 30 et 60 personnes par jour, des femmes et des enfants surtout.

La fin du recyclage aura aussi pour effet de contraindre les gens à se fournir dans la rue, une pratique répandue. "On interdit l’accès à des médicaments correctement gérés, alors que d’autres se vendent n’importe comment. Qu’on fasse confiance à nos missions !", enrage Paula Chamond.

A l’époque où il était ministre de la santé, Xavier Bertrand s’était engagé à prendre les mesures nécessaires au financement de la fourniture de médicaments. "Depuis, rien de concret n’est venu", s’indigne Alain de Tonquedec. En attendant que le gouvernement français passe aux actes, l’Ordre de Malte dit qu’il "ne laissera pas tomber les malades" et assurera la continuité de l’approvisionnement. "Mais nous ne pourrons pas indéfiniment assumer un coût évalué à près de 2 millions d’euros par an, ce serait au détriment d’autres missions sociales", met en garde Alain de Tonquedec.

Brigitte Perucca (avec Paul Benkimoun à Paris) Article paru dans l’édition du 22.01.09.

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