« Une stratégie de réussite sociale », par Pap Ndiaye

Publié le 27 novembre 2008 sur OSIBouaké.org

Libération, 26/11/08, Propos recueillis par Marie-Joëlle Gros

Pap Ndiaye, enseignant à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), est l’auteur de la Condition noire (1).

Pourquoi des femmes noires sont prêtes à abîmer leur peau pour paraître plus blanches ?

Il ne faut pas les croire folles ou irrationnelles, bien au contraire. Celles qui utilisent des produits blanchissants en connaissent généralement la dangerosité. Mais elles estiment que le jeu en vaut la chandelle. Tant que la peau sombre restera un handicap   social, on continuera à prendre des risques pour paraître moins foncé. L’éclaircissement répond à une stratégie de réussite sociale. Des sites Internet vantent par exemple le "teint hollywoodien". C’est celui de vedettes de cinéma ou de chanteurs dont on remarque qu’ils étaient plus foncés quand ils étaient jeunes. Prenons Beyonce : sa réussite semble associée à l’éclaircissement de sa peau.

Le phénomène touche-t-il seulement les femmes ?

Non, les hommes sont également concernés, mais la pression est particulièrement forte sur les femmes. Beaucoup se plaignent que les hommes noirs préfèrent les femmes à peau claire. C’est l’idée de la femme trophée. Quand un homme réussit, il épouse une femme claire de peau, voire blanche. Cela fait partie des savoirs implicites. Malgré les carrières de top-models noirs, les critères de beauté restent ceux dérivés du monde blanc. On pourrait le rapprocher des Asiatiques qui se font débrider les yeux.

La situation est-elle la même en Europe et en Amérique ?

En France comme dans le monde de la diaspora noire en général, mieux vaut être métis que noir. Aux Antilles, les enfants plus clairs que leurs parents sont appelés des "échappés". On leur prédit un destin meilleur. Dans le monde caribéen et américain, les gens qui appartiennent aux strates supérieures de la société sont les plus clairs de peau. Comme Barack Obama, l’élite noire aux Etats-Unis est souvent métisse. Tandis que les prisonniers sont noirs-noirs et les ouvriers aussi. Les hiérarchies sociales ont aussi à voir avec la couleur. L’Afrique n’y échappe pas.

Le marché des produits éclaircissants ne peut donc pas se tarir ?

Si on veut réduire le phénomène, c’est au handicap   de la peau sombre qu’il faut s’attaquer et aux formes d’aliénation mélanique qui en découlent. En attendant, les produits interdits sont vendus sous le manteau et certaines femmes en sont dépendantes. Or on ne répond pas à une addiction par un interdit catégorique. Il conviendrait d’encourager des produits de substitution, exactement comme il existe des patchs contre le tabac. Miser sur des cosmétiques non toxiques, comme du maquillage ou des fonds de teint.

(1) La Condition noire. Essai sur une minorité française. Calmann-Lévy.

Sur ce sujet, lire aussi : Les peaux cassées des crèmes éclaircissantes.

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