L’aide au développement africain sacrifiée sur l’autel du budget

Publié le 26 octobre 2008 sur OSIBouaké.org

Libération, 24 octobre 2008, Cédric Mathiot

Crise. La France suspend une grosse partie des subventions promises pour 2009.

Les dirigeants de plusieurs pays africains devraient recevoir prochainement une visite désagréable de leur ambassadeur de France. Il leur sera annoncé que la France, pour raison budgétaire, va couper le robinet d’une partie des aides publiques au développement (APD) pour 2009. C’est l’ONG Oxfam qui a levé le lièvre, interceptant un document qui fait déjà grand bruit dans le monde de l’aide au développement. Le projet de télégramme charge la diplomatie française en Afrique de porter une mauvaise nouvelle : « La limitation des autorisations d’engagement disponibles dans la loi de finances 2009-2010 va conduire l’AFD [Agence française de développement, ndlr] à suspendre sine die l’instruction d’un certain nombre de financements de projets de subvention, dont l’octroi était prévu entre aujourd’hui et 2009. » Dans un contexte de recul généralisé de l’APD, la France a résolument pris le parti de rompre avec la jurisprudence Chirac de hausse (- 15 % en 2007). Pour favoriser le soutien au secteur privé.

Santé. Les engagements pris pour 2008 seront respectés, mais le robinet sera ensuite largement fermé. Le document liste 55 projets principaux qui feront les frais du tour de vis budgétaire (essentiellement en Afrique subsaharienne). Des projets aussi « accessoires » que l’aide à la santé, l’agriculture ou l’éducation, dans des pays aussi « prospères » que le Bénin, la République démocratique du Congo, le Mali ou Madagascar. Selon Oxfam, pour la seule Afrique de l’Ouest, les suppressions de subventions entre 2008 et 2009 représentent 49 millions d’euros. Pour l’Afrique centrale, ce montant est de 19 millions d’euros. Le programme Fast Track (Initiative internationale pour la mise en œuvre accélérée du programme Education pour tous) trinquera lui aussi.

Au total, les autorisations d’engagement de subventions passeraient, selon nos informations, de 320 à 134 millions d’euros en 2009. Une coupe de près de deux tiers. Non sans un certain cynisme, il est suggéré aux ambassades de « souligner que l’AFD continuera, sur un nombre de pays limité compte tenu de la limite des enveloppes de subventions, des petits projets de microfinances, d’ONG, ou à forte visibilité politique ». De quoi faire bondir les ONG.

« Ce qui est clair, c’est qu’il y a un transfert vers le secteur privé au détriment des secteurs sociaux », confie une source gouvernementale. « La France a annulé les dettes de plusieurs pays pauvres ces dernières années, analyse Sébastien Fourmy, d’Oxfam. Mais ces annulations ont été utilisées pour gonfler son aide au développement. Désormais, on va réendetter les pays africains. » Ces coupes se décident alors que le secrétaire d’Etat à la Coopération, Alain Joyandet, a voulu rassurer, jeudi au Burkina Faso : « Les engagements pris par la France de déployer un milliard d’euros supplémentaires en 2009 au travers de l’AFD et de mettre en place un fonds de développement de 250 millions d’euros à destination des entreprises privées africaines seront maintenus et consolidés malgré la crise. »

Prêts. Un simple jeu de bonneteau qui consiste à remplacer les subventions publiques par un déploiement global de prêts, et de garanties dirigés vers le privé. « L’AFD joue de plus en plus un rôle de banque plutôt que celui d’un donateur », regrette Henri Emmanuelli, le rapporteur spécial pour la mission APD à l’Assemblée. Aux dépens des projets publics, comme les dirigeants africains en seront bientôt avisés.

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