Angolagate : la Françafrique dans le box des accusés
Publié le 11 octobre 2008 sur OSIBouaké.org
lundi 6 octobre 2008, par Stéphane Ballong
Au total, 42 personnes dont deux hommes d’affaires, Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak, des personnalités, comme Charles Pasqua, Jean-Christophe Mitterrand et Jacques Attali, vont répondre, dès cet après-midi, de leur rôle dans un commerce d’armes entre la France et l’Angola, estimé à 790 millions de dollars. Le procès va durer six mois. Les prévenus risquent de 5 à 10 ans de prison. Aucun ressortissant angolais ne comparaît, mais Luanda veut demander l’annulation du procès.
C’est sans doute l’un des procès les plus célèbres de l’histoire de la Françafrique qui démarre cet après-midi au tribunal correctionnel de Paris. Célèbre par le rang et le nombre de ses prévenus, célèbre par la valeur du commerce incriminé, 790 millions de dollars, par ses implications politiques et aussi par le temps qu’il va prendre : six mois.
Au premier rang des accusés, deux hommes d’affaires, le Français Pierre Falconne et son associé, l’Israélien d’origine russe Arcadi Gaydamak. Leur faute ? Avoir vendu entre 1993 et 1998, des armes à l’Angola en enfreignant la législation française sur ce type de commerce. Avec eux, ils entraînent devant la justice, anciens ministres et hommes politiques français qu’ils auraient corrompus pour faciliter leur business. Ils encourent de cinq à dix ans de prison. Cette affaire est un imbroglio sans nom dont la compréhension nécessite de reprendre l’histoire depuis sa genèse.
Angola, 1993. Le pays est en proie à une violente guerre civile. Les hommes du Président José Eduardo Dos Santos du MPLA au pouvoir, perdent du terrain face à ceux de Jonas Savimbi de l’Unita. Dos Santos a besoin d’armes pour mater la rébellion. Il se tourne vers la France, celle-ci refuse de lui venir en aide. Mais une diplomatie parallèle se met en place. L’ex-conseiller Afrique du PS, Jean-Bernard Curial, Jean-Christophe Mitterrand, fils du président, mettent Dos Santos en contact avec l’homme d’affaire Pierre Falcone. Falcone s’associe à l’Israélien d’origine russe, ancien colonel du KGB, Arcadi Gaydamak qui, grâce à ses contacts dans les états-majors de l’ancien bloc soviétique, sait où trouver l’arsenal nécessaire. Le présumé trafic d’armes démarre. Les associés s’enrichissent et, pour faciliter les transactions, ils glissent des enveloppes dans le milieu politique français.
Le business dure cinq ans. Jusqu’en 1998. Au total, « 420 chars, 150 000 obus, 170 000 mines anti-personnel, 12 hélicoptères, six navires de guerre.. », auraient été livrés à l’armée de José Eduardo Dos Santos en provenance de certains pays de l’ancien bloc soviétique. L’argent est fourni par les préfinancements accordés par la banque Paribas à l’Etat angolais et garanti sur la future production de pétrole, indique l’Ong Survie France.
Une perquisition chez l’avocat de Falcone révèle l’affaire
En 2000, dans une affaire de blanchiment d’argent, le juge Philippe Courroye fait perquisitionner le domicile d’Allain Guilloux, avocat fiscaliste de Falcone et Gaydamak : des documents liés à ce « trafic » sont retrouvés. L’Angolagate est dévoilé. Le ministère de la Défense, représenté par le ministre Alain Richard, porte plainte contre les deux hommes d’affaires pour « Infraction à la législation sur les armes. »
En somme, il leur est reproché d’avoir violé les règlementions françaises stipulant qu’un homme d’affaires français engagé dans un commerce d’armes, même entre deux pays étrangers, doit auparavant faire une demande d’autorisation auprès du ministère de la Défense. Dès cet après-midi, ils répondront aux juges. Ils encourent dix ans de prison. A leurs côtés, comparaissent d’autres personnes, comme Jean-Christophe Mitterrand, qui auraient servi d’intermédiaires, et ceux qui, comme Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani, auraient facilité les contacts avec les Angolais. L’écrivain Paul-Loup Sulitzer, lui, est accusé d’avoir tenté de redorer l’image des deux hommes d’affaires dans les médias. Et Jacques Attali comparaît pour avoir été sollicité pour user de son influence dans un redressement fiscal.
L’Angola veut demander une annulation du procès
Ce procès de l’Angolagate s’ouvre aussi à un moment où la France cherche à renouer ses liens avec les autorités angolaises. L’Angola qui dispose aujourd’hui de l’une, sinon de la plus importante réserve pétrolifère du continent africain. En mai 2008, Nicolas Sarkozy, en visite à Luanda, demande à son homologue de « tourner les pages du passé », allusion à cette affaire que le président français qualifie de « malentendu ». Un malentendu qu’il demande à José Eduardo Dos Santos d’oublier. D’ailleurs, le président angolais et aucun autre de ses ressortissants ne seront directement impliqués dans cette affaire.
A l’approche de ce procès, des pressions fusent de tout bord. A commencer par le ministère français de la Défense à l’origine du scandale. Le département retourne aujourd’hui sa veste et va jusqu’à défendre les personnes qu’il a trainées devant la justice. Hervé Morin, actuel ministre de la Défense, a adressé le 11 juillet dernier, un courrier destiné à affaiblir la position de l’accusation, aux avocats de Falconne, rapporte Le Monde. Dans cette correspondance, il indique qu’en l’absence de transit par le territoire français, la législation nationale sur le commerce des armes « ne s’applique pas à l’activité exercée par M. Falcone ».
Plus récemment, ce lundi matin, l’Angola a annoncé qu’il veut, au nom du « respect du secret défense » d’un pays étranger, déposer un recours, pour que le procès ne se tienne pas, rapporte Le Monde. Selon le quotidien français, l’Angola « relève que les droits attachés à sa qualité d’Etat souverain ont été bafoués depuis le début de cette procédure ». Luanda indique aussi, toujours selon Le Monde, que « Pierre Falcone a agi comme un représentant de son gouvernement, avec tous les pouvoirs requis pour conduire les opérations dont il était chargé et que pour tous les actes qui lui sont imputés par la procédure, il n’a fait qu’exécuter et se conformer à ses directives. » Apparemment, toute la machine politique s’est mise en marche pour entraver la tenue de ce procès.