Inquiétude grandissante face aux adoptions illégales au Népal

Publié le 3 septembre 2008 sur OSIBouaké.org

Katmandou, 3 septembre 2008 (IRIN) - Depuis quatre ans, Nirmala Thapa, 35 ans, lutte pour récupérer ses trois enfants, qui vivent en Espagne depuis qu’ils ont été adoptés illégalement par l’intermédiaire d’un foyer népalais pour enfants.

« Sa situation semble désespérée. On l’a dupée en lui faisant signer tous les documents juridiques attestant qu’elle renonçait à ses droits sur ses enfants », a expliqué à IRIN Madhav Pradhan, directeur de Child Workers in Nepal (CWIN), une organisation non-gouvernementale (ONG) spécialisée dans la protection de l’enfance.

Confrontée à des difficultés financières après le décès de son mari, Mme Thapa n’a pas pu envoyer ses six enfants à l’école, dont trois avaient moins de 10 ans.

Un foyer pour enfants de la région lui a proposé d’héberger ses trois plus jeunes enfants et de leur offrir une éducation, lui demandant de signer un document à cet effet. Mais Mme Thapa n’a pas su lire les papiers en question, un document juridique par lequel elle consentait à l’adoption de ses enfants.

Après plusieurs mois, elle a appris que ces derniers avaient été envoyés à l’étranger. Bien qu’elle ait demandé qu’ils reviennent, le foyer pour enfants l’a menacée de la faire arrêter et d’engager des poursuites à son encontre.

Les autorités locales ont refusé de l’aider, expliquant qu’elle avait renoncé à ses droits parentaux et que l’adoption avait été approuvée par le ministère des Femmes, des enfants et de la protection sociale, qui prend la décision finale en matière d’adoptions, selon CWIN.

Vente d’enfants

Un rapport intitulé A study on inter-country adoption and its influence on child protection in Nepal [Une étude sur l’adoption internationale et son influence sur la protection des enfants au Népal] a été publié dernièrement par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et la Fondation Terre des hommes (TDH), une ONG suisse d’aide aux enfants.

Cette étude a révélé que la vente, les enlèvements et la traite d’enfants avaient lieu dans un environnement mal réglementé. Le rapport de 62 pages est l’aboutissement d’une étude de six mois, menée par les chercheurs du Centre for Research on Environment, Health and Population Activities, une ONG nationale, et les défenseurs des droits de l’enfant du Népal.

« Nous ne sommes pas contre l’adoption », a affirmé Gillian Mellsop, représentante de l’UNICEF Népal, tout en ajoutant néanmoins qu’une industrie s’était développée autour de l’adoption, dans le cadre de laquelle le profit prenait le pas sur l’intérêt de l’enfant.

« Dans chaque cas, l’intérêt de l’enfant concerné doit être le principe directeur de la décision en matière d’adoption. [Cette décision] ne devrait pas être guidée par les intérêts de ceux qui travaillent avec les enfants, ni d’autres individus, qui profitent financièrement des adoptions internationales qu’ils organisent », a indiqué Mme Mellsop.

« La plupart des enfants des centres n’ont pas besoin d’être là. Ils ont de la famille, des proches parents qui peuvent peut-être s’occuper d’eux », a observé Joseph Aguettant, représentant pays pour TDH.

Les orphelinats et autres foyers pour enfants de ce pays himalayen comptent 15 000 jeunes pensionnaires et les admissions dans ces centres sont, pour bon nombre, le résultat de fraudes, de coercition et de fautes professionnelles, a-t-il dit.

Un commerce lucratif

Au Népal, l’adoption internationale est une industrie qui pèse plusieurs millions de dollars, à en croire les défenseurs des droits de l’enfant.

En 2006 seulement, ce commerce a généré près de deux millions de dollars, un chiffre d’affaires qui devrait même être nettement plus élevé en 2007, avec 300 à 500 adoptions.

« Ceux qui en profitent sont généralement les foyers pour enfants qui dirigent des orphelinats, et les fonctionnaires corrompus », a soutenu un défenseur des droits de l’enfant, qui a requis l’anonymat.

Les activistes s’inquiètent à l’idée que l’adoption internationale des enfants népalais, un commerce lucratif -les clients, originaires d’Europe ou des Etats-Unis, sont prêts à payer pas moins de 25 000 dollars par enfant- n’augmente le risque d’enlèvement, de traite et de vente illégale d’enfants par les foyers pour enfants.

« J’ai dépensé près de 30 000 dollars pour payer l’agent dans mon pays, le foyer pour enfants local, les avocats et le traitement des documents », a indiqué un parent espagnol, qui n’a pas souhaité être nommé.

« Ce qui nous inquiète, c’est que les enfants sont souvent faussement présentés comme des orphelins, et adoptés, moyennant finance, par des clients étrangers qui ne sont pas conscients des fautes professionnelles commises par les agents locaux », a déclaré Madhav Pradhan, directeur de CWIN.

Cette dernière année, l’organisation a sauvé plus de 15 enfants originaires de villages pauvres de l’ouest du Népal, qui avaient été envoyés dans des foyers par leurs parents convaincus qu’ils y recevraient une éducation.

Processus de réforme

Le gouvernement ne surveille pas suffisamment les centres qui travaillent dans le secteur de l’adoption internationale, et l’absence totale de suivi dans les régions rurales expose davantage d’enfants aux dangers de cette pratique, selon l’UNICEF et TDH.

« Le gouvernement reste engagé à remplir son obligation envers les enfants, et prendra, dès lors, les mesures appropriées, conformément aux accords internationaux », a affirmé Punya Prasad Neupane, haut responsable du gouvernement et secrétaire du ministère des Femmes, des enfants et de la protection sociale.

Le gouvernement a lancé l’élaboration d’un projet de loi sur l’adoption, qui pourrait introduire des réformes dans le domaine de l’adoption internationale, a-t-il expliqué.

Les activistes doutent toutefois que ces réformes concernent la mise en place d’un mécanisme de contrôle solide qui permettrait de surveiller l’industrie lucrative de l’adoption, a noté M. Pradhan de CWIN.

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